« The Banality of Evil » « la banalité du mal » ,「把『壞事』當作稀鬆平常」,這是阿亨特(H. ARENDT)傳世的概念。革命

Julian Assange : "L'avancée des technologies de l'information annonce la fin de la vie privée"
LE MONDE | 07.06.2013 à 19h32 • Mis à jour le 09.06.2013 à 19h02

Le livre The New Digital Age, ("La Nouvelle Ère numérique", non encore traduit) est un projet clair et provocateur d'impérialisme technocratique rédigé par deux de ses principaux thaumaturges, Eric Schmidt et Jared Cohen. Dans cet essai, ils créent le nouveau langage de la puissance américaine au XXIe siècle. Ce langage traduit la relation plus proche que jamais qu'entretiennent la diplomatie américaine et la Silicon Valley, M. Schmidt étant le président exécutif de Google, tandis que M. Cohen, ancien conseiller de Condoleezza Rice et d'Hillary Clinton, dirige aujourd'hui le think tank Google Ideas.

Les auteurs se sont rencontrés dans Bagdad occupée en 2009, et c'est là que le projet de livre a vu le jour. Déambulant parmi les ruines, les deux hommes s'enthousiasmèrent à l'idée que la technologie était en train de transformer une société laminée par l'occupation américaine. Ils parvinrent à la conclusion que l'industrie technologique pouvait être un puissant agent de la politique étrangère américaine.

Le livre vante le rôle joué par la technologie dans la manière dont les peuples et pays du monde sont peu à peu remodelés, qu'ils le veuillent ou non, à l'image de la superpuissance mondiale. Le style est austère, l'argumentation assurée et la réflexion banale. Mais ce n'est pas un livre conçu pour être lu. Il s'agit plutôt d'un appel destiné à entretenir des alliances.

VERTUS PROGRESSISTES


The New Digital Age est, avant tout, une tentative de la part de Google de se positionner comme le visionnaire géopolitique de l'Amérique – la seule entreprise capable de répondre à la question : "Où doit aller l'Amérique ?" Il n'est donc guère surprenant qu'un certain nombre des plus grands fauteurs de guerre soient convoqués pour apporter leur caution à cette défense du soft power occidental. Les remerciements mettent en exergue le nom d'Henry Kissinger qui, aux côtés de Tony Blair et de l'ancien directeur de la CIA Michael Hayden, a formulé avant même sa parution des critiques élogieuses du livre.

Les auteurs assument allègrement le fardeau du "geek" blanc. On voit surgir au fil des pages tout une série de faire-valoir à peau sombre aussi commodes qu'hypothétiques : femmes pêcheurs du Congo, graphistes du Botswana, militants anticorruption salvadoriens et bergers massaï analphabètes du Serengeti sont tour à tour docilement convoqués pour démontrer les vertus progressistes des téléphones Google connectés à l'empire occidental.

Schmidt et Cohen proposent une vision savamment banalisée du monde de demain : ils prévoient que les gadgets en circulation d'ici quelques décennies ressembleront beaucoup à ceux d'aujourd'hui – en plus cool. Le "progrès" avance au rythme de la propagation inexorable de la technologie américaine. Aujourd'hui déjà, environ un million d'appareils portables pilotés par Google sont activés chaque jour. Google, et donc le gouvernement américain, s'immiscera dans les communications de tout être humain vivant ailleurs qu'en Chine (vilaine Chine !). Les produits deviennent de plus en plus merveilleux ; les jeunes urbains actifs dorment, travaillent et font leurs achats avec plus de facilité et de confort ; la démocratie se trouve subvertie par les technologies de surveillance, et le contrôle est rebaptisé avec enthousiasme "participation".


Les auteurs jettent un regard amer sur la grande victoire des Egyptiens en 2011. Ils rejettent avec mépris les revendications de la jeunesse égyptienne, affirmant que "le mélange de militantisme et d'arrogance est quelque chose d'universel chez les jeunes". La mobilisation sur les réseaux sociaux signifie que les révolutions seront "plus faciles à déclencher" mais "plus difficiles à terminer". En raison de l'absence de dirigeants forts, elles ne pourront déboucher, explique M. Kissinger, que sur des gouvernements de coalition dégénérant peu à peu en autocraties. Le livre affirme en outre qu'il n'y aura "plus de printemps" (mais la Chine est dans les cordes).

Schmidt et Cohen fantasment sur l'avenir de groupes révolutionnaires disposant de "solides ressources financières". Une nouvelle "équipe de consultants" "utilisera les données pour façonner avec précision une personnalité politique".


Le livre reflète les tabous et les obsessions du département d'Etat. Il évite toute critique significative d'Israël et de l'Arabie saoudite. Il affirme de manière parfaitement ahurissante que le mouvement latino-américain pour la souveraineté, qui depuis trente ans a libéré tant de gens des ploutocraties et des dictatures soutenues par les Etats-Unis, n'existe tout simplement pas. Se référant aux "dirigeants vieillissants" de la région, le livre confond l'Amérique latine avec Cuba. Et bien entendu, les auteurs s'inquiètent des croque-mitaines préférés de Washington : la Corée du Nord et l'Iran.

CYBERTERRORISME


En dépit du fait qu'il n'est responsable que d'une fraction infime des morts violentes dans le monde, le terrorisme reste une des premières préoccupations des milieux de la politique étrangère américaine. Comme c'est une obsession qu'il convient d'alimenter, un chapitre entier est consacré à "l'avenir du terrorisme". Nous y apprenons que cet avenir sera le cyberterrorisme. S'ensuit un long passage où sont complaisamment nourries les peurs, notamment sous la forme d'un scénario catastrophe dans lequel les cyberterroristes prennent le contrôle des systèmes de régulation du trafic aérien américain, envoient des avions s'écraser contre des immeubles, coupent les réseaux de distribution d'électricité et déclenchent des tirs d'armes nucléaires. Puis les auteurs s'empressent de mettre les militants participant à des sit-in numériques dans le même sac que ces terroristes.

Mon point de vue est très différent. L'avancée des technologies de l'information telle qu'incarnée par Google annonce la fin de la vie privée pour la plupart des êtres humains et entraîne le monde vers le totalitarisme. Mais si MM. Schmidt et Cohen nous disent que la disparition de la vie privée aidera les gouvernements des "autocraties répressives" à "cibler leurs citoyens", ils soulignent également que les gouvernements des démocraties "ouvertes" la considéreront comme "un cadeau" leur permettant de "mieux répondre aux préoccupations des citoyens et des consommateurs". En réalité, l'érosion de la sphère privée individuelle en Occident et la centralisation concomitante du pouvoir rendent inévitables les abus, rapprochant de plus en plus les "bonnes" sociétés des "mauvaises".

La partie concernant les "autocraties répressives" décrit différentes mesures de surveillance : dispositions juridiques autorisant l'installation de portes dérobées sur les logiciels afin de pouvoir espionner les citoyens, contrôle des réseaux sociaux et collecte d'informations sur des populations entières. Toutes ces mesures sont déjà largement en usage aux Etats-Unis. En fait, certaines d'entre elles – comme l'obligation faite à tout profil de réseau social d'être lié à un nom réel – ont été lancées par Google lui-même.

La menace est là mais les auteurs ne s'en rendent pas compte. Ils empruntent à William Dobson l'idée que les médias, dans une autocratie, "autorisent une presse d'opposition tant que les opposants au régime comprennent où se situent les limites tacites". Or ces tendances commencent à se manifester aux Etats-Unis. Personne ne doute de l'effet dissuasif qu'ont eu les investigations dont ont fait l'objet l'agence de presse Associated Press et le journaliste James Rosen de la chaîne d'information Fox News. Mais on n'a guère lu d'analyses sur la façon dont Google s'est plié aux demandes relatives à l'assignation de Rosen. J'ai moi-même fait l'expérience de ces tendances.

FUNESTE ŒUVRE


Le département de la justice a reconnu en mars dernier qu'il entamait sa troisième année d'enquête sur WikiLeaks. La déclaration du tribunal spécifie que ses objectifs visent "les fondateurs, propriétaires ou gérants de WikiLeaks". Le 3 juin s'est ouvert le procès d'une source présumée de WikilLeaks, Bradley Manning, procès au cours duquel vingt-quatre témoins à charge devraient déposer à huis clos.

Ce livre est une funeste oeuvre dans laquelle aucun des deux auteurs ne possède le langage lui permettant ne serait-ce que d'appréhender, et encore moins d'exprimer, le mal centralisateur titanesque qu'il contribue à édifier. "Ce que Lockheed Martin a été au XXe siècle, nous disent Schmidt et Cohen, les entreprises de technologie et de cybersécurité le seront pour le XXIe ." Sans s'en rendre compte, ils ont redécouvert et appliquent la célèbre prophétie de George Orwell.

Si vous voulez avoir une vision du futur, imaginez des Google Glass bénéficiant de la sanction de Washington, fixée – pour l'éternité – sur des visages humains totalement inexpressifs. Les zélateurs du culte des technologies ne trouveront guère dans ce livre de quoi les inspirer, et d'ailleurs ils n'ont pas l'air d'en avoir besoin. Mais c'est une lecture essentielle pour quiconque est impliqué dans la bataille de l'avenir, en vertu d'un impératif tout simple : connais ton ennemi.


© 2013 "The New York Times", traduit de l'anglais par Gilles Berton
Par Julian Assange (fondateur et rédacteur en chef de WikiLeaks)

英文原版在此:

OPINION
 The Banality of ‘Don’t Be Evil’ 

By JULIAN ASSANGE
Published: June 1, 2013
“THE New Digital Age” is a startlingly clear and provocative blueprint for technocratic imperialism, from two of its leading witch doctors, Eric Schmidt and Jared Cohen, who construct a new idiom for United States global power in the 21st century. This idiom reflects the ever closer union between the State Department and Silicon Valley, as personified by Mr. Schmidt, the executive chairman of Google, and Mr. Cohen, a former adviser to Condoleezza Rice and Hillary Clinton who is now director of Google Ideas.
The authors met in occupied Baghdad in 2009, when the book was conceived. Strolling among the ruins, the two became excited that consumer technology was transforming a society flattened by United States military occupation. They decided the tech industry could be a powerful agent of American foreign policy.
The book proselytizes the role of technology in reshaping the world’s people and nations into likenesses of the world’s dominant superpower, whether they want to be reshaped or not. The prose is terse, the argument confident and the wisdom — banal. But this isn’t a book designed to be read. It is a major declaration designed to foster alliances.
“The New Digital Age” is, beyond anything else, an attempt by Google to position itself as America’s geopolitical visionary — the one company that can answer the question “Where should America go ?” It is not surprising that a respectable cast of the world’s most famous warmongers has been trotted out to give its stamp of approval to this enticement to Western soft power. The acknowledgments give pride of place to Henry Kissinger, who along with Tony Blair and the former C.I.A. director Michael Hayden provided advance praise for the book.
In the book the authors happily take up the white geek’s burden. A liberal sprinkling of convenient, hypothetical dark-skinned worthies appear : Congolese fisherwomen, graphic designers in Botswana, anticorruption activists in San Salvador and illiterate Masai cattle herders in the Serengeti are all obediently summoned to demonstrate the progressive properties of Google phones jacked into the informational supply chain of the Western empire.
The authors offer an expertly banalized version of tomorrow’s world : the gadgetry of decades hence is predicted to be much like what we have right now — only cooler. “Progress” is driven by the inexorable spread of American consumer technology over the surface of the earth. Already, every day, another million or so Google-run mobile devices are activated. Google will interpose itself, and hence the United States government, between the communications of every human being not in China (naughty China). Commodities just become more marvelous ; young, urban professionals sleep, work and shop with greater ease and comfort; democracy is insidiously subverted by technologies of surveillance, and control is enthusiastically rebranded as “participation”; and our present world order of systematized domination, intimidation and oppression continues, unmentioned, unafflicted or only faintly perturbed.
The authors are sour about the Egyptian triumph of 2011. They dismiss the Egyptian youth witheringly, claiming that “the mix of activism and arrogance in young people is universal.” Digitally inspired mobs mean revolutions will be “easier to start” but “harder to finish.” Because of the absence of strong leaders, the result, or so Mr. Kissinger tells the authors, will be coalition governments that descend into autocracies. They say there will be “no more springs” (but China is on the ropes).
The authors fantasize about the future of “well resourced” revolutionary groups. A new “crop of consultants” will “use data to build and fine-tune a political figure.”
“His” speeches (the future isn’t all that different) and writing will be fed “through complex feature-extraction and trend-analysis software suites” while “mapping his brain function,” and other “sophisticated diagnostics” will be used to “assess the weak parts of his political repertoire.”
The book mirrors State Department institutional taboos and obsessions. It avoids meaningful criticism of Israel and Saudi Arabia. It pretends, quite extraordinarily, that the Latin American sovereignty movement, which has liberated so many from United States-backed plutocracies and dictatorships over the last 30 years, never happened. Referring instead to the region’s “aging leaders,” the book can’t see Latin America for Cuba. And, of course, the book frets theatrically over Washington’s favorite boogeymen : North Korea and Iran.
Google, which started out as an expression of independent Californian graduate student culture — a decent, humane and playful culture — has, as it encountered the big, bad world, thrown its lot in with traditional Washington power elements, from the State Department to the National Security Agency.
Despite accounting for an infinitesimal fraction of violent deaths globally, terrorism is a favorite brand in United States policy circles. This is a fetish that must also be catered to, and so “The Future of Terrorism” gets a whole chapter. The future of terrorism, we learn, is cyberterrorism. A session of indulgent scaremongering follows, including a breathless disaster-movie scenario, wherein cyberterrorists take control of American air-traffic control systems and send planes crashing into buildings, shutting down power grids and launching nuclear weapons. The authors then tar activists who engage in digital sit-ins with the same brush.
I have a very different perspective. The advance of information technology epitomized by Google heralds the death of privacy for most people and shifts the world toward authoritarianism. This is the principal thesis in my book, “Cypherpunks.” But while Mr. Schmidt and Mr. Cohen tell us that the death of privacy will aid governments in “repressive autocracies” in “targeting their citizens,” they also say governments in “open” democracies will see it as “a gift” enabling them to “better respond to citizen and customer concerns.” In reality, the erosion of individual privacy in the West and the attendant centralization of power make abuses inevitable, moving the “good” societies closer to the “bad” ones.
The section on “repressive autocracies” describes, disapprovingly, various repressive surveillance measures : legislation to insert back doors into software to enable spying on citizens, monitoring of social networks and the collection of intelligence on entire populations. All of these are already in widespread use in the United States. In fact, some of those measures — like the push to require every social-network profile to be linked to a real name — were spearheaded by Google itself.
THE writing is on the wall, but the authors cannot see it. They borrow from William Dobson the idea that the media, in an autocracy, “allows for an opposition press as long as regime opponents understand where the unspoken limits are.” But these trends are beginning to emerge in the United States. No one doubts the chilling effects of the investigations into The Associated Press and Fox’s James Rosen. But there has been little analysis of Google’s role in complying with the Rosen subpoena. I have personal experience of these trends.
The Department of Justice admitted in March that it was in its third year of a continuing criminal investigation of WikiLeaks. Court testimony states that its targets include “the founders, owners, or managers of WikiLeaks.” One alleged source, Bradley Manning, faces a 12-week trial beginning tomorrow, with 24 prosecution witnesses expected to testify in secret.
This book is a balefully seminal work in which neither author has the language to see, much less to express, the titanic centralizing evil they are constructing. “What Lockheed Martin was to the 20th century,” they tell us, “technology and cybersecurity companies will be to the 21st.” Without even understanding how, they have updated and seamlessly implemented George Orwell’s prophecy. If you want a vision of the future, imagine Washington-backed Google Glasses strapped onto vacant human faces — forever. Zealots of the cult of consumer technology will find little to inspire them here, not that they ever seem to need it. But this is essential reading for anyone caught up in the struggle for the future, in view of one simple imperative : Know your enemy.

Julian Assange is the editor in chief of WikiLeaks and author of “Cypherpunks : Freedom and the Future of the Internet.”
A version of this op-ed appeared in print on June 2, 2013, on page SR4 of the New York edition with the headline: The Banality of ‘Don’t Be Evil’.

周星星我周星星我周星星我周星星我周星星我周星星我周星星我周星星我周星星我周星星我周星星我周星星
arrow
arrow
    全站熱搜
    創作者介紹
    創作者 Tel quel 的頭像
    Tel quel

    就像這樣 Tel quel

    Tel quel 發表在 痞客邦 留言(0) 人氣()