薯條革命薯條革命

Une minorité boycotte les cours
LE MONDE | 07.06.2012 à 19h59 • Mis à jour le 07.06.2012 à 19h59

Beaucoup de choses ont été dites sur le boycottage des cours par une minorité d'étudiants québécois. Parlons des faits.

D'abord, il importe de prendre en considération qu'à l'heure actuelle plus de 70 % des étudiants québécois ont terminé leurs cours et leur trimestre d'études, comme prévu. Cependant, un autre groupe, qui représente moins de 30 % de la population étudiante, a fait le choix de boycotter ses cours. A l'intérieur de ce groupe, une proportion importante d'étudiants n'a pu suivre les cours pour lesquels ils ont payé, puisque l'accès à leur établissement d'enseignement leur était bloqué par des étudiants qui employaient l'intimidation pour les empêcher d'aller à leurs cours.

Il va de soi que l'éducation joue un rôle central dans la réussite et le développement de la société. En ce sens, le Québec doit augmenter le financement de ses universités, lesquelles font face à des problèmes en raison de leur sous-financement. Sur ce point, tout le monde doit faire sa juste part : l'Etat, les institutions d'enseignement, le secteur privé et les étudiants.

Après des dizaines d'années de débats, notre gouvernement a mené en 2010 une vaste consultation. Tous les partenaires du milieu de l'éducation ont été invités à discuter des enjeux touchant à l'avenir de nos collèges et universités. Nous avons mené cet exercice avec rigueur, ouverture et franchise. Des consensus en sont ressortis. Le gouvernement croit qu'il est maintenant temps d'agir.

Sur cette question, notre position est juste et équitable. Elle s'appuie entre autres sur notre objectif, qui est d'assurer l'accessibilité à tous les domaines d'études, pour tous les étudiants, et ce, tout en respectant la capacité de payer des contribuables. En aucun cas, les droits de scolarité ne doivent être un obstacle à l'accès à l'enseignement supérieur.

Rappelons que les droits de scolarité au Québec sont les plus bas d'Amérique du Nord. Le Québec dispose également du programme de prêts et bourses le plus généreux du continent. Le gouvernement demande aux étudiants de faire leur part, avec une contribution qui représente 17 % du coût de leur éducation. Il s'agit d'une hausse annuelle des droits de scolarité qui représente 39 centimes d'euro par jour.

Afin d'assurer l'accès aux études, depuis mars, nous avons notamment bonifié le programme de prêts et bourses et annoncé la mise en place d'un mécanisme de remboursement de la dette d'études proportionnel au revenu. Néanmoins, certains leaders des associations étudiantes du Québec continuent de militer pour le gel des droits de scolarité. Pour protester, ils encouragent le boycottage des cours.

C'est donc dans ce contexte que notre gouvernement a fait adopter la loi 78 , "loi permettant aux étudiants de recevoir l'enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu'ils fréquentent". Celle-ci vise à garantir l'accès à l'éducation, à permettre aux étudiants de suivre leurs cours en toute sécurité. Elle vise également à encadrer les manifestations en assurant la sécurité de chacun, tout en protégeant le droit de manifester et celui de l'accès à l'éducation.

Le Québec est une société moderne et démocratique dont le système judiciaire est indépendant. Notre gouvernement a le devoir de protéger ses citoyens comme l'indique la Charte québécoise des droits et libertés : "Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice."

Enfin, rappelons que le Québec est un Etat de droit et une démocratie, qui s'exprime dans l'un des plus vieux Parlements au monde. Notre société a une longue tradition de débats tenus dans le respect des uns et des autres. C'est le Québec que je connais et celui que vous appréciez.
Par Jean Charest, premier ministre du Québec

Au Québec, "le pouvoir libéral de Jean Charest est usé"
Le Monde.fr | 07.06.2012 à 19h58 • Mis à jour le 07.06.2012 à 19h58

Le dictionnaire des synonyme a déjà été retourné plusieurs fois pour décrire la mobilisation ayant actuellement cours au Québec. Une grève étudiante sans précédent, qui s'est transformée au fil des semaines en mobilisation citoyenne historique, en grande partie grâce à l'intransigeance du gouvernement de
Jean Charest. Depuis les dernières semaines, les médias internationaux se sont emparés de l'affaire. Les images de manifestations et d'affrontements font les manchettes partout à travers le monde. Que se passe-t-il au Québec ?

Les premières traces de la lutte actuelle sont à rechercher dès 2010. À la fin mars, le ministre des Finances du Québec Raymond Bachand dépose un budget qu'il qualifie lui-même dans les journaux de "révolution culturelle". Il n'aurait pas pu mieux dire : le budget est historique. Il contient une série de mesures de tarification et de privatisation des services publics : la hausse des frais d'inscription à l'université y est annoncée (75% en 5 ans), ainsi que l'instauration d'une "taxe-santé" annuelle de 200 dollars pour avoir accès au système de santé public et universel québécois et une augmentation de 30% des tarifs d'électricité. Déjà, on le voit : la hausse des frais de scolarité s'inscrit dans une vague beaucoup plus large de mesures d'austérité néolibérales.

C'est à partir du dépôt de ce budget incendiaire que la mobilisation s'ébranle, en crescendo jusqu'au 13 février dernier, où 11 000 étudiants et étudiantes déclenchent une grève générale illimitée. Rapidement, ce nombre gonflera, pour atteindre 300 000 grévistes le 22 mars, dont au moins 200 000 dans les rues de Montréal. Un moment clé de la grève : les étudiants et les étudiantes prennent conscience de l'ampleur et du potentiel de leur propre mobilisation. La lutte commence à s'élargir : les expressions "Printemps québécois" et "Printemps érable" naissent sur la bouche des manifestants. Cela se traduit aussi dans la rue. Les citoyens sont de plus en plus nombreux dans les rues. Des collectifs de poésie apparaissent. De nombreux événements de prise de parole sont organisés. Un mois plus tard, au jour de la Terre, les Québécois sont 250 000 dans les rues pour défendre le bien commun. L'ébullition politique est sociale est à son maximum. Chaque soir, des milliers de personnes descendent dans les rues, majoritairement les étudiants et les étudiantes.

Lorsque le gouvernement de Jean Charest adopte sous bâillon parlementaire la loi spéciale 78 qui suspend les sessions universitaires et encadre sévèrement le droit de manifester. C'en était trop : la marmite saute. La colère accumulée contre le gouvernement Charest en plus de 10 ans se traduit enfin dans la rue. Par dizaines de milliers, des familles québécoises descendent spontanément dans les rues casseroles à la main, et plus seulement à Montréal. Depuis, le tintamarre se fait entendre chaque soir, à 20 heures dans toutes les villes du Québec.

Le pouvoir libéral est usé. La montée de lait actuelle s'inscrit dans une escalade de l'insatisfaction qui s'étire sur plusieurs années : corruption, scandale des gaz de schiste, favoritisme envers le milieu des affaires, saccage de l'héritage social-démocrate du Québec, gestion déficiente des ressources naturelles. Quelle que soit l'issue de la grève étudiante, la vague de changement qui s'est ébranlé ce printemps ne s'arrêtera pas de si tôt. Contre tout les préjugés, la jeunesse québécoise a accepté de jouer son rôle historique : défendre la justice sociale. Et nous sommes des centaines de milliers. Difficile de ne pas être optimiste.
Par Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de la CLASSE

On prend aux jeunes l'argent nécessaire à la "conquête du Nord"
LE MONDE | 07.06.2012 à 15h24 • Mis à jour le 07.06.2012 à 15h24

Il est remarquable que les protestations étudiantes portent aussi sur la gestion de nos ressources naturelles. Banderoles et pancartes en font foi. Et quand le 22 avril, Journée de la Terre, les deux thèmes se sont rencontrés, 300 000 personnes ont débarqué dans les rues de Montréal.

Il y a dix ans, nos forêts, nos mines, nos capacités de production énergétique apparaissaient encore comme des ressources sur lesquelles nous pouvions éternellement compter. Peu importait si elles étaient gérées de façon bancale, elles fournissaient ce qu'il fallait d'emplois bien payés. Le secteur se contentait de les extraire massivement pour les vendre en vrac.

Petit à petit, un doute s'est installé dans la conscience collective. D'abord en région. Avec l'émergence de l'hyperinformatisation de l'industrie, le bassin d'emploi diminue alors que la production augmente. Il faut aujourd'hui, dans les "techno-mines", dix fois moins d'hommes qu'il y a cinquante ans pour extraire le même volume de minerai. De la route, on peut désormais soupçonner un problème en forêt : les camions transportent des arbres d'un diamètre de plus en plus petit. En 2004, une commission d'enquête publique portant sur la gestion forestière a confirmé ce fait. On y apprenait au passage que les subventions accordées aux sociétés forestières dépassaient les revenus qu'on en tirait.

En 2009, le vérificateur général du Québec [chargé de contrôler les fonds et biens publics confiés par l'Assemblée nationale au gouvernement] s'invita au ministère responsable des mines. Pour en ressortir bien sonné. Quatorze mines sur les vingt-quatre en opération au Québec n'avaient payé aucune redevance à l'Etat depuis sept ans ! Les autres avaient déboursé 1,5 % de la valeur minérale excavée. Nous apprenions aussi que nous assumions en grande partie le nettoyage des sites miniers taris. Cette facture publique s'élève aujourd'hui à plus de 1 milliard de dollars canadiens ( 774,2 millions d'euros).

Les constatations, un peu froides, n'ont pas créé d'onde de choc. Le problème imprègne néanmoins la conscience collective. Le Québec s'est peut-être remémoré le fait que 90 % de son territoire est de propriété publique - en proportion inverse de ce qu'on peut observer en Europe - et que le plus humble des Québécois en est le légataire. L'avenir nous le dira, mais il m'est avis que la révolte au Québec a pris racine, en bonne partie, en réaction à cette calamiteuse gestion du territoire.

Au cours des dernières années, une succession d'irritantes anomalies, sans rapport entre elles, n'a eu de cesse d'alimenter la grogne populaire. Comme la brutale incursion des promoteurs de gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, parfois représentés par d'anciens hauts fonctionnaires ou politiciens.

Comme l'invraisemblable poursuite, à hauteur de 11 millions de dollars canadiens, intentée par la société aurifère Barrick Gold à l'encontre du petit éditeur Ecosociété [qui a fait paraître en 2008 un livre à charge contre les sociétés minières canadiennes. Conséquence des poursuites engagées, Noir Canada a été retiré de la vente].

Comme l'annonce selon laquelle la construction d'une route coûte 30 % plus cher au Québec qu'en Ontario, symptôme de ce qui s'apparenterait à des pratiques mafieuses. Comme les habitants de ce quartier populaire de la petite ville boréale de Malartic sommés de déménager pour permettre le creusement d'une mine à ciel ouvert avant même que les consultations publiques n'aient complété leurs travaux.

Alors, quand le premier ministre du Québec, devenu impopulaire, a voulu frapper l'imagination en annonçant la conquête du Nord [Jean Charest a mis en place en 2011 un plan pour faciliter l'exploitation des ressources naturelles au nord du 49e parallèle], eh bien... on l'a laissé causer : on déploie, dans ces grands espaces de toundra québécoise, des chemins de fer, des aéroports, des ports en eaux profondes, de nouveaux barrages pour desservir deux énormes gisements de fer et de nickel déjà trouvés. Ne manquait qu'une chanson de Gilles Vigneault version hip-hop !

Petit problème : nous sommes invités à financer collectivement ce méga-projet. Soit. Mais les deux compagnies récipiendaires des gisements, l'une indienne et l'autre chinoise, nous verseront des redevances non pas calculées en fonction du volume de minerai extrait mais sur leurs profits purs. Une fois que leurs mystifiants comptables auront déduit ce que nos lois leur permettent, nous sera octroyé quelque chose comme une obole symbolique de notre soumission.

Le gouvernement s'apprête à engager des dizaines de milliards pour un projet aux retombées hypothétiques, comme l'estiment la plupart des analystes indépendants. C'est dans ce contexte qu'il sabre dans les budgets de la santé et de l'éducation, qu'il augmente les frais de scolarité. "Votre juste part", a-t-il réclamé aux étudiants. Leur réponse : la rue, les casseroles, le tintamarre. Et peut-être plus.

Ce texte est extrait de la préface d'Alain Deneault et William Sacher, "Paradis sous terre", à paraître le 4 ocotobre (Eds. Ecosociété et Eds. Rue de l'échiquier).
Par Richard Desjardins, auteur-compositeur, documentariste, vice-président de l'Action boréale

Une révolte étudiante qui rompt la routine d'une société devenue ennuyeuse
LE MONDE | 07.06.2012 à 14h22 • Mis à jour le 07.06.2012 à 14h22

Présenter la jeunesse étudiante québécoise comme un groupe "opprimé" ou comparer au "printemps arabe" le mouvement de protestation qui se déroule au Québec relève de la pure mystification. En réalité, cette jeunesse est l'une des plus choyées, des moins contraintes et des plus "heureuses" de la planète, dont la "révolte" peut d'ailleurs être vue comme une expression tout à fait éloquente.

Au départ, le conflit était limité : il s'agissait pour les organisations étudiantes de résister à la hausse des droits d'inscription universitaire décrétée par l'Etat, résistance normale de la part de qui ne veut pas perdre ce qu'il possède (la possibilité d'étudier dans d'excellentes universités à coût modeste dans le contexte nord-américain). Mais comme cette revendication risquait d'être mal vue par la majorité de la population, pour qui les étudiants appartiennent qu'on le veuille ou non aux classes privilégiées, la lutte n'a pas tardé à prendre un tour plus noble et à mettre en jeu l'"accès" aux études, principe avec lequel tout le monde est d'accord.

De là, on est passé, grâce à l'entrée en scène des intellectuels et des professeurs, à un débat plus large et encore plus noble portant cette fois sur la nature et le rôle de l'université dans la société : la première doit-elle répondre aux besoins de la seconde, ou vice versa ? Doit-elle former des professionnels et des travailleurs et contribuer à la prospérité et à la "compétitivité" générales, ou se concevoir comme un lieu de culture et de réflexion critique à l'abri des pressions économiques ?

Ces débats théoriques ne suffisent pas à expliquer la durée ni l'ampleur du conflit, même si la contestation n'émane que de groupes assez circonscrits : les étudiants ou une fraction importante d'entre eux, notamment ceux de lettres et de sciences humaines, auxquels s'allient une bonne partie du public scolarisé (artistes, enseignants, animateurs sociaux, penseurs "citoyens", etc., eux-mêmes ex-étudiants de lettres et sciences humaines) et divers groupes d'opposition politique.

Qu'est-ce qui fait que tous ces gens, après avoir vaqué à leurs occupations (personne n'a fait jusqu'ici une seule journée de grève), prennent la peine, le soir venu, de descendre dans la rue pour taper sur des casseroles et scander des slogans subversifs ?

La rigidité et la maladresse du parti au pouvoir y sont pour beaucoup. Plus le premier ministre s'obstine à ne rien entendre et à se réclamer de la "majorité silencieuse", jusqu'à recourir à une loi d'exception excessive et odieuse, plus les protestataires, en retour, s'obstinent à démontrer leur détermination, selon le phénomène bien connu de l'escalade.

Ce conflit survient à un moment où le Québec est devenu une société ennuyeuse, dans laquelle il fait bon vivre, sans doute, mais que plus rien, aucun "projet", aucune cause commune ne mobilise. Faute d'adversaires, le combat national et linguistique s'est étiolé ; le désir d'émancipation collective a cédé aux charmes de la mondialisation et du bonheur individuel ; et la grande modernisation entreprise à l'époque de la "révolution tranquille" a soit tourné à la routine et à la défense de "droits acquis", soit pris le visage d'un néolibéralisme implacable qui veut tout soumettre, y compris le fonctionnement de l'Etat, à la logique des coûts et profits.

Bref, le Québec, où les choses sont devenues aussi ambiguës et compliquées que dans n'importe quelle société moderne, n'a plus grand-chose à offrir aux assoiffés d'idéal et aux "lyriques" nouveaux ou anciens (ceux qui ont fait la pluie et le beau temps dans les années 1960 et 1970 mais dont on n'entend plus la voix).

Or voilà que les événements des derniers mois, en simplifiant, rendent un réveil possible. De nouveau, on peut savoir où est le mal (un gouvernement véreux au service du capital) et où est le bien (la jeunesse instruite et innocente) ; et de nouveau, par conséquent, le lyrisme peut fleurir, redonnant enfin droit de cité à tout ce qui semblait perdu : la poésie des grands mots claquant comme des drapeaux, l'assurance d'oeuvrer au progrès de l'humanité, le frisson de la désobéissance civile, et surtout la joie d'être en foule, d'être vu parmi des milliers de gens qui marchent du même pas, qui sentent et pensent de la même manière et qui sont persuadés que leur colère et leur audace ne servent pas leurs propres intérêts mais ceux de la collectivité tout entière.

Chaque soir, quand les sonneurs de casseroles défilent dans ma rue, je vois bien cette colère et cette audace. Mais j'entends aussi cette joie.

François Ricard est l'auteur de "La Génération lyrique" (Boréal, 1993).
Par François Ricard, essayiste.

Sous le bruit des casseroles la voix de l'indépendance
LE MONDE | 07.06.2012 à 13h50 • Mis à jour le 07.06.2012 à 13h50

La colère qui s'exprime chaque soir depuis des semaines dans les rues de Montréal s'expose maintenant au grand jour, amplifiée par un déficit démocratique patent. Partout dans nos pays, les citoyens constatent l'impuissance des Parlements et des gouvernements vis-à-vis de la dictature des marchés financiers et subissent, avec plus ou moins de fatalisme, les crises à répétition provoquées par les dérives du capitalisme.

Au Québec, c'est pire encore, puisque depuis neuf ans de règne libéral, sont révélées régulièrement des allégations de corruption et de collusion, de financement politique intéressé, de conflits d'intérêts et de dangereux manquements à l'éthique. Le gouvernement de Jean Charest a progressivement anéanti la confiance des citoyens envers les élus censés les représenter. C'est un gouvernement usé qui a dévalué la parole politique, dont l'autorité est abîmée, et qui a perdu légitimité et respect. Résultat : puisqu'il n'arrive plus à convaincre, il tente de contraindre.

L'adoption précipitée d'une loi spéciale pour mettre fin à la grève étudiante crée la controverse partout sur la scène internationale et révèle l'inadéquation de l'approche judiciaire choisie par le gouvernement. A l'inverse, elle démontre surtout, maintenant plus que jamais, le nécessaire retour à la centralité du politique. Non seulement en ce qui concerne cette crise sans précédent, mais par rapport à l'ensemble de notre vie collective.

En frappant sur des casseroles, les Québécois font un pied de nez au gouvernement, se rebellent et s'inscrivent de façon originale, en ce "printemps érable", dans la foulée d'une multitude d'autres mouvements du même type dans le monde. Cette descente dans la rue est aussi une démonstration que le Québec n'est pas et ne sera jamais une "province" comme les autres ; de son histoire et de ses luttes singulières, de son passé et de son présent résulte une nation distincte dont les valeurs et les choix s'inscrivent en faux avec ceux du reste du Canada, particulièrement avec le premier ministre canadien Stephen Harper qui nous est de plus en plus étranger et auquel nous sommes de plus en plus indifférents.

Pour les indépendantistes québécois, dont je suis, il y a à espérer que ce sursaut démocratique, cet élan citoyen, porte en lui le germe d'une mobilisation durable et que cette volonté du peuple de changer les choses se manifestera lors des prochaines élections. Le projet d'indépendance, porté par le Parti québécois et par d'autres, mais surtout par des millions de Québécois, repose sur cette ardente obligation de redonner au peuple une véritable emprise sur son destin collectif en liant souveraineté, démocratie et pouvoir citoyen.
Par Louise Beaudoin, ancienne ministre, députée du Parti québécois

Elargir l'accès à l'éducation, une volonté encore récente
LE MONDE | 07.06.2012 à 13h53 • Mis à jour le 07.06.2012 à 13h53

Si la hausse des frais d'inscription décrétée par le gouvernement Charest (Parti libéral) a pu susciter une résistance si passionnée, c'est d'abord que cette hausse s'en prend à ce qui est, au Québec, un acquis récent, précieux et qui demeure très fragile. Ce véritable trésor collectif est celui de l'accessibilité de l'éducation et des études supérieures.

Cette conquête ne date en effet que de la "révolution tranquille" (1960-1966), et de la célèbre commission Parent (1961-1966), vaste chantier de réflexion et de recommandations qui crée le ministère de l'éducation du Québec (1964), invente des écoles dites "polyvalentes" pour l'enseignement secondaire et, surtout, vise à démocratiser l'accès à l'éducation.

L'éducation au Québec était jusqu'alors dominée par le clergé et volontiers considérée par l'Eglise catholique avec une suspicion confinant parfois à l'obscurantisme. La commission Parent la voudra offerte à tous par l'Etat et la verra comme un indispensable outil d'émancipation individuelle et de progrès collectif, par quoi le Québec moderne prend en main son destin.

Dans la foulée de la commission Parent sont ainsi créés, à la fin des années 1960, d'une part, un réseau de collèges d'enseignement général et professionnel (Cegeps), qui sont un premier niveau de l'enseignement supérieur, propre au Québec, d'autre part, un réseau d'universités du Québec. Ces deux réseaux, aux établissements bientôt présents sur tout le territoire, vont faire progresser de manière remarquable l'accès des Québécois à l'enseignement supérieur.

La commission Parent établit donc des "frais de scolarité" qu'elle juge minimaux pour l'université (420 euros), mais avec l'ambition déclarée qu'ils seront un jour prochain abolis, ce qui permettra d'offrir la gratuité scolaire à tous les niveaux d'enseignement. Cette promesse n'a pas été tenue. Les frais de scolarité exigés à l'université ont été augmentés pour la première fois en 1990 et progressivement portés à 1 700 euros en 2011, année où le gouvernement a décrété une nouvelle hausse, cette fois de 75 % sur cinq ans : c'est elle qui va déclencher la grève étudiante.

Celle-ci traduit donc la crainte que le retard dans la scolarisation universitaire des Québécois sera accentué par cette mesure, d'autant qu'elle est infligée à une population qui n'a pas encore acquis l'habitus de fréquenter l'université et qui sera en outre lourdement endettée par les prêts qu'on lui propose comme solution de financement.

C'est que , au Québec, où sévit un dramatique taux de décrochage scolaire (29 % des élèves du secondaire étudiant dans le réseau public quittaient l'école sans diplôme), seuls 21,4 % des Québécois obtiennent un diplôme universitaire, alors que ce taux est de 22, 6 % en moyenne au Canada et de 24,7 % en Ontario, la province voisine. Mais on dénonce également cette mesure gouvernementale en la rapportant à la transformation, elle aussi récente, des universités québécoises.

C'est que celles-ci, semblables en cela à tant d'autres universités occidentales, consentent de plus en plus à cette véritable mutation qui en ferait des organisations au service de l'économie dont elles adoptent, en extériorité et de manière acritique, le mode de gestion, mais aussi les normes et les finalités. Recherche, enseignement, services à la collectivité sont dès lors transformés, tandis que l'université renonce à son statut d'institution publique.

Cette grève a donc replacé au coeur du débat la nature de l'université, ce qu'on est en droit d'attendre d'elle, les modalités de sa gestion,

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