七星文庫 (La Pléiade) 的米蘭˙昆德拉作品集分兩卷,第一卷二○一一年三月二十四號上市,1,504 頁,包含有 Risibles amours (可笑的愛); La Plaisanterie (玩笑); La Vie est ailleurs (生活在他方); La Valse aux adieux (賦別曲); Le Livre du rire et de l'oubli (笑忘書); L'Insoutenable Légèreté de l'être (生命中不能承受之輕)(Édition définitive. Préface et biographie de l'œuvre par François Ricard. Traducteur : Marcel Aymonin, François Kérel第二卷二○一一年三月二十四號上市,1,328 頁,包含有  L'Immortalité (不朽); La Lenteur (緩慢); L'Identité (身分); L'Ignorance (無知); Jacques et son maître (雅克和他的主人); L'Art du roman (小說的藝術); Les Testaments trahis (被背叛的遺囑); Le Rideau (簾幕); Une rencontre (相遇)(Édition définitive. Préface et biographie de l'œuvre par François Ricard

第一卷售價 53.00 €(只到二○一一年十二月三十一號;過後漲價),第二卷售價 52.00 €(只到二○一一年十二月三十一號;過後漲價),兩卷套書合購 105.00 €(只到二○一一年十二月三十一號;過後漲價)。


這第一卷跟第二卷現都被定義成「確定版」(Édition définitive),應該不會再變動了;但除非米蘭˙昆德拉也收手不再創作,否則,以後可能還會有第三卷,專門蒐羅其它的文學評論、散文或致詞。

下面的第一篇不重要,有點像新聞,告知有這件事而已。第二篇是訪談 (entretien),由芙洛紅思˙努瓦維勒 (Florence Noiville) 擬出一些問題,然後再由昆德拉跟她摘出昆德拉在某些書中的其中一小段作為回答


三篇我安排的是菲利普˙佛黑斯特 (Philippe Forest) 所寫的文章,文章名為〈不朽,然後呢?〉(L'immortalité, et après ?),故意用《不朽/原意是不死/》(L'Immortalité) 的標題。菲利普˙佛黑斯特引用昆德拉說「不朽是永遠的審判」(L'immortalité est un éternel procès.)。這篇文章大致在講昆德拉的作品的意義。

第四篇就是七星文庫這一套兩卷本的文集的序言撰稿人弗杭蘇瓦˙黎卡 (François Ricard) 所寫的〈語言就像是校正的工具〉(La langue comme instrument de précision),談昆德拉的用捷克文寫作的時期跟用法文寫作的時期。他特別強調,因為昆德拉已經學會法文、由他自己來校正原有的法譯版,所以昆德拉宣稱現有的法譯版跟捷克文原版是完全符合原意的。

最後一篇是由芙洛紅思˙努瓦維勒 (Florence Noiville) 訪問到英國作家亞當˙瑟威爾 (Adam Thirlwell),由他來談發現到昆德拉的作品後怎樣影響到他自己的創作。
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圖片米蘭˙昆德拉:





Milan Kundera "Pléiadisé" vivant
LE MONDE DES LIVRES | 24.03.11 | 11h21  •  Mis à jour le 24.03.11 | 11h21

Et d'abord un avertissement. Une mise en garde à la Magritte : "Ceci n'est pas une interview de Milan Kundera..." Non, ceci n'est pas une interview de Milan Kundera, au sens habituel du terme. C'est une "interview de son oeuvre". Le principe en est simple : il s'agit de questionner ses livres, d'interroger ses romans, de faire parler ses essais...

Depuis plus de vingt-cinq ans, en effet, l'auteur de L'Insoutenable Légèreté de l'être n'intervient plus dans les médias. En 1986, il écrivait dans L'Art du roman : "J'ai fermement décidé : jamais plus d'interviews." Par peur qu'on rapporte de lui des propos inexacts. Mais aussi, et peut-être surtout, parce que, comme disait Isaac B. Singer, "seule l'oeuvre compte, pas le bonhomme" (Singer disait aussi : "Quand on a grand faim, on se moque bien de la vie du boulanger !")

Seule l'oeuvre compte, et toutes les réponses aux questions que vous posez sont dans les livres : Kundera m'avait tellement répété cela, au cours d'années de conversations, qu'un jour j'ai eu envie de le prendre au mot. Et si nous en faisions l'expérience grandeur nature ? La sortie des deux volumes de "La Pléiade" n'était-elle pas l'occasion idéale ? L'écrivain s'est prêté au jeu. Le choix des thèmes, des mots-clés, est le sien. A chacune des questions, il répond avec des extraits de L'Art du roman, des Testaments trahis, de La Vie est ailleurs, etc. C'est l'oeuvre qui parle, donc. Et voici ce qu'elle dit.


Entretien
Kundera : c'est l'oeuvre qui parle
LE MONDE DES LIVRES | 24.03.11 | 11h19  •  Mis à jour le 24.03.11 | 11h19

Commençons par une question simple : pourquoi détestez-vous autant le "biographique" ? Pourquoi cette répugnance à parler de vous ?

"L'artiste doit faire croire à la postérité qu'il n'a pas vécu"
, dit Flaubert. Maupassant empêche que son portrait paraisse dans une série consacrée à des écrivains célèbres : "La vie privée d'un homme et sa figure n'appartiennent pas au public." Hermann Broch sur lui, sur Robert Musil, sur Franz Kafka : "Nous n'avons tous les trois pas de biographie véritable." Ce qui ne veut pas dire que leur vie était pauvre en événements, mais qu'elle n'était pas destinée à être distinguée, à être publique, à devenir biographie (...). Et Faulkner désire être "en tant qu'homme annulé, supprimé de l'histoire, ne laissant sur elle aucune trace, rien d'autre que les livres imprimés". (Soulignons livres et imprimés, donc pas de manuscrits inachevés, pas de lettres, pas de journaux.)

D'après une métaphore célèbre, le romancier démolit la maison de sa vie pour, avec les briques, construire une autre maison, celle de son roman. D'où il résulte que les biographes d'un romancier défont ce que le romancier a fait, refont ce qu'il a défait. Leur travail, purement négatif du point de vue de l'art, ne peut éclairer ni la valeur ni le sens d'un roman. Au moment où Kafka attire plus l'attention que Joseph K., le processus de la mort posthume de Kafka est annoncé. (Extrait de L'Art du roman.)

Que peut-on faire pour éviter que la biographie des auteurs ne vienne peu à peu recouvrir leur oeuvre ?

Je rêve d'un monde où les écrivains seraient obligés par la loi de garder secrète leur identité et d'employer des pseudonymes. Trois avantages : limitation radicale de la graphomanie ; diminution de l'agressivité dans la vie littéraire ; disparition de l'interprétation biographique d'une oeuvre. (L'Art du roman.)

A propos de graphomanie, vous en avez une définition très personnelle...

La graphomanie n'est pas la manie d'écrire des lettres, des journaux intimes, des chroniques familiales (c'est-à-dire d'écrire pour soi ou pour ses proches), mais d'écrire des livres (donc d'avoir un public de lecteurs inconnus). Ce n'est pas la manie de créer une forme mais d'imposer son moi aux autres. C'est la version la plus grotesque de la volonté de puissance. (L'Art du roman.)

Si vous détestez tant les interviews, c'est aussi parce qu'elles sont "rewritées", comme on dit aujourd'hui. En quoi cette pratique est-elle dangereuse ?

Interviews, entretiens, propos recueillis. Adaptations, transcriptions, cinématographiques, télévisées. Rewriting comme esprit de l'époque. Un jour toute la culture passée sera complètement réécrite et complètement oubliée derrière son rewriting. (L'Art du roman.)

Toute votre vie, vous avez pratiqué "l'art du roman". Pourtant, dans "Les Testaments trahis" vous dites combien, à vos yeux, le roman est bien plus qu'un simple "genre littéraire". Très profondément, que signifie pour vous être romancier ?

Etre romancier fut pour moi plus que pratiquer un "genre littéraire" parmi d'autres ; ce fut une attitude, une sagesse, une position excluant toute identification à une politique, à une religion, à une idéologie, à une morale, à une collectivité ; une non-identification consciente, opiniâtre, enragée, conçue non pas comme évasion ou passivité, mais comme résistance, défi, révolte. (Les Testaments trahis.)

Pourriez-vous nous donner un exemple ?

J'avais fini par avoir ces dialogues étranges : "Vous êtes communiste, monsieur Kundera ?" "Non, je suis romancier." "Vous êtes dissident ?" "Non, je suis romancier." "Vous êtes de gauche ou de droite ?" "Ni l'un ni l'autre. Je suis romancier." (Les Testaments trahis.)

Un élément biographique, un seul. Vous êtes né en 1929 à Brno, dans ce qui était à l'époque la Tchécoslovaquie. Qu'évoque aujourd'hui pour vous ce mot, "Tchécoslovaquie" ?

Je n'emploie jamais ce mot Tchécoslovaquie dans mes romans, bien que l'action y soit généralement située. Ce mot composé est trop jeune (né en 1918), sans racine dans le temps, sans beauté, et il trahit le caractère composé et trop jeune (inéprouvé par le temps) de la chose dénommée.

Si on peut, à la rigueur, fonder un Etat sur un mot si peu solide, on ne peut pas fonder sur lui un roman. C'est pourquoi pour désigner le pays de mes personnages, j'emploie toujours le vieux mot de Bohême. Du point de vue de la géographie politique, ce n'est pas exact (mes traducteurs se rebiffent souvent), mais du point de vue de la poésie, c'est la seule dénomination possible. (L'Art du roman.)

Restons dans la géographie et dans la culture. Quelle est votre vision de l'Europe ?

Au Moyen Age, l'unité européenne reposait sur la religion commune. A l'époque des Temps modernes, elle céda la place à la culture (art, littérature, philosophie), qui devint la réalisation des valeurs suprêmes par lesquelles les Européens se reconnaissaient, se définissaient, s'identifiaient. Or, aujourd'hui, la culture cède à son tour la place. Mais à quoi et à qui ? Quel est le domaine où se réaliseront des valeurs suprêmes, susceptibles d'unir l'Europe ? Les exploits techniques ? Le marché ? La politique avec l'idéal de démocratie, avec le principe de tolérance ? Mais cette tolérance, si elle ne protège plus aucune création riche ni aucune pensée forte, ne devient-elle pas vide et inutile ? Ou bien peut-on comprendre la démission de la culture comme une sorte de délivrance à laquelle il faut s'abandonner avec euphorie ? Je n'en sais rien. Je crois seulement savoir que la culture a cédé la place. Ainsi l'image de l'identité européenne s'éloigne dans le passé. Européen : celui qui a la nostalgie de l'Europe. (L'Art du roman.)

Dans cette édition de "La Pléiade", il y a votre dictionnaire personnel. Ce que vous appelez vos mots-clés, vos mots-problèmes, vos mots-amour. Et parmi eux : "infantocratie". Qu'est-ce donc que l'infantocratie ?

(Musil écrit dans L'Homme sans qualités) : "Un motocycliste fonçait dans la rue vide, bras et jambe en O, et remontait la perspective dans un bruit de tonnerre ; son visage reflétait le sérieux d'un enfant qui donne à ses hurlements la plus grande importance." Le sérieux d'un enfant, le visage de l'âge technique. L'infantocratie, (c'est) l'idéal de l'enfance imposé à l'humanité. (L'Art du roman.)

Toujours au chapitre des "I", il y a un mot très important dans votre univers : "Ironie". L'ironie, dites-vous, c'est ce qui "dévoile le monde comme ambiguïté"...

Qui a raison et qui a tort ? Emma Bovary est-elle insupportable ? Ou courageuse et touchante ? Et Werther ? Sensible et noble ? Ou sentimental agressif, amoureux de lui-même ? Plus attentivement on lit le roman, plus la réponse devient impossible car, par définition, le roman est l'art ironique : sa "vérité" est cachée, non prononcée, non prononçable. "Souvenez-vous, Razumov, que les femmes, les enfants et les révolutionnaires exècrent l'ironie, négation de tous les instincts généreux, de toute foi, de tout dévouement ; de toute action !", laisse dire Joseph Conrad à une révolutionnaire russe dans Sous les yeux de l'Occident. L'ironie irrite. Non pas qu'elle se moque ou qu'elle attaque mais parce qu'elle nous prive des certitudes en dévoilant le monde comme ambiguïté. (L'Art du roman.)

Il y a chez vous un autre mot-pivot. C'est le mot "kitsch".

Quand j'écrivais L'Insoutenable Légèreté de l'être, j'étais un peu inquiet d'avoir fait du mot "kitsch" un des mots-clés du roman. En effet, récemment encore, ce mot était quasi inconnu en France, ou bien connu dans un sens très appauvri.

Dans la version française du célèbre essai d'Hermann Broch, le mot "kitsch" est traduit par "art de pacotille". Un contresens, car Broch démontre que le kitsch est autre chose qu'une simple oeuvre de mauvais goût. Il y a l'attitude kitsch. Le comportement kitsch. Le besoin du kitsch de l'homme-kitsch (kitschmensch) : c'est le besoin de se regarder dans le miroir du mensonge embellissant et de s'y reconnaître avec une satisfaction émue. (L'Art du roman.)

Et la vieillesse Milan Kundera ? Dans "La vie est ailleurs", vous imaginez un vieux savant observant la jeunesse et découvrant un aspect inattendu et plutôt roboratif de la vieillesse. Vous rappelez-vous ce passage ?

"Le vieux savant observait les jeunes gens tapageurs et il comprenait soudain qu'il était le seul dans cette salle à posséder le privilège de la liberté, parce qu'il était âgé." "C'est seulement quand il est âgé que l'homme peut ignorer l'opinion du troupeau, l'opinion du public et de l'avenir. Il est seul avec sa mort prochaine, et la mort n'a ni yeux ni oreilles, il n'a pas besoin de lui plaire ; il peut faire et dire ce qu'il lui plaît à lui-même de faire et de dire".
Rembrandt et Picasso. Bruckner et Janacek. Bach de L'Art de la fugue. (La Vie est ailleurs.)

ŒUVRE de Milan Kundera. Préface et biographie de l'oeuvre par François Ricard. La Pléiade, tome I, 1 504 p., et tome II, 1 328 p., respectivement 53 € et 52 € (jusqu'au 31 décembre).
Extraits d'oeuvres de Milan Kundera sélectionnés par l'auteur avec Florence Noiville

L'immortalité, et après ?
LE MONDE DES LIVRES | 24.03.11 | 11h19

Pour un écrivain, voir de ses propres yeux son oeuvre entrer dans la "Bibliothèque de la Pléiade" revient assez, on le sait, à accéder de son vivant à cette "grande immortalité" que Milan Kundera évoquait, il y a vingt ans, dans l'un de ses romans. Depuis, toujours rétif aux aveux, ayant choisi de ne plus s'exprimer publiquement, l'auteur est peu susceptible de confier ses impressions quant à la consécration qu'il connaît. Mais relire L'Immortalité permet sans doute de se faire une idée du mélange de satisfaction légitime et d'incrédulité inquiète qu'il doit éprouver désormais.

"L'immortalité est un éternel procès", déclarait Kundera. Devant les deux volumes de "La Pléiade", le lecteur aura du mal à se défendre du sentiment qu'il tient entre ses mains les pièces d'un pareil procès telles que le principal intéressé les a lui-même collectées à l'intention de la postérité.

L'excellente édition de François Ricard se caractérise par une fidélité presque fanatique aux principes mêmes selon lesquels l'auteur entend être lu : l'oeuvre et rien que l'oeuvre, ou plus exactement seulement ce qui, dans l'oeuvre, a reçu l'agrément final de l'auteur. Avec, en lieu et place de l'habituel apparat critique (pas de chronologie, de notes, de variantes, d'annexes), une "biographie de l'oeuvre" qui se limite à quelques repères rapides et essentiels. Toujours est-il qu'ainsi conduite, la démonstration a de quoi convaincre n'importe quel lecteur. Il faudrait être de la plus parfaite mauvaise foi pour ne pas reconnaître que Milan Kundera mérite largement cette "grande immortalité" que consacre son entrée dans "La Pléiade", car son oeuvre se situe tout simplement au premier rang de la littérature d'aujourd'hui.

Tous les livres qui la constituent, que nous avons découverts au fur et à mesure qu'ils paraissaient et dans lesquels nombreux sont les écrivains d'aujourd'hui à avoir appris ce qu'un roman pouvait être, résistent formidablement à la relecture et s'avèrent à la hauteur du souvenir admiratif que l'on en avait conservé. Plus encore : leur réunion fait apparaître leur dimension vraie, derrière les significations partielles et provisoires qui avaient pu leur être successivement attribuées - que ce soit par la critique ou par l'auteur lui-même.

On a d'abord reçu les romans de Kundera comme relevant du témoignage littéraire d'un écrivain dissident, dénonçant sarcastiquement le totalitarisme à l'oeuvre dans l'ancienne Tchécoslovaquie et dans le reste de l'Europe communiste. Ce fut le cas depuis La Plaisanterie, traduit en français en 1968, accompagné de la flamboyante préface de Louis Aragon condamnant l'écrasement du "printemps de Prague" par les chars soviétiques, et jusqu'au Livre du rire et de l'oubli, dont la parution, dix ans après, valut à son auteur, déjà exilé en France, d'être déchu de sa nationalité. En réaction contre une telle réduction de son oeuvre au seul message politique qu'elle était censée exprimer, Kundera a lui-même favorisé une interprétation contraire en plaçant, dans les années 1980 et depuis L'Insoutenable Légèreté de l'être, le roman sous le signe ironique de l'"indécidable", interdisant qu'on le confonde avec la littérature d'idées qui assène avec arrogance ses thèses, lui assignant "comme seule certitude la sagesse de l'incertitude".

Or, l'oeuvre de Kundera est une. Et c'est ce que fait apparaître magistralement la présente édition proposée. Toute la question est de s'entendre sur ce qui fait son unité et qui informe pareillement tous les livres de l'auteur, romans et essais, quelle que soit la langue dans laquelle ils s'expriment et l'époque à laquelle ils furent composés.

Et il n'est pas certain que cette unité se ramène à certaines des idées que Kundera a lui-même mises en circulation afin de mieux se dégager des premiers contresens dont son oeuvre était l'objet et qui, détachées de la réflexion très subtile qu'il proposait, ont pris quelque peu valeur de "lieux communs" désormais (l'"antimodernisme", l'"humour" opposé au "kitsch", "la suspension du jugement moral") alors qu'il est évident que son oeuvre, loin de s'y réduire et d'en proposer la pure illustration, excède de tels slogans.

Revendiquant le paradoxe qui la fonde, son oeuvre se donne également à lire comme le contraire de ce que l'on salue parfois en elle, s'imposant au fond comme celle d'un écrivain éminemment "moderne" (selon la définition alternative de la modernité que construisent L'Art du roman ou Les Testaments trahis), proposant une vision grave de la condition humaine (d'où le formidable pathétique inégalé de certaines des pages de L'Immortalité ou de L'Identité) et dont le désengagement politique revendiqué n'exclut aucunement un regard assumé de moraliste posé sur le monde contemporain (dont l'auteur de L'Insoutenable Légèreté de l'être ou de La Lenteur mérite indiscutablement d'être salué aussi comme l'un des plus incisifs observateurs).

L'unité est d'une autre espèce. Il n'est pas donné à tous les écrivains d'avoir su créer une forme. C'est le cas de Kundera, réinventant le roman depuis La Vie est ailleurs et jusqu'à L'Ignorance, livres où le récit, rompant avec toute linéarité convenue, se construit par variations successives, selon un modèle musical (la sonate pour les amples compositions en tchèque, la fugue pour celles, plus resserrées, en français), de telle sorte que l'intrigue éclate et qu'en lieu et place de celle-ci, le texte fait converser en lui, selon une fluidité parfaite, le roman et l'essai, la prose et la poésie, le rêve et la réalité, le présent et le passé. Une semblable forme - qui n'est pas sans s'apparenter à cette "tierce forme" dont Roland Barthes parlait à propos de Marcel Proust -, Kundera, quant à lui, dans Une rencontre, son dernier livre en date, la baptise "archi-roman".

Mais une telle trouvaille, comme toute trouvaille authentique, est tout sauf strictement formelle. Elle engage avec elle une vraie vision, authentiquement tragique mais que le rire parachève, vision de l'homme dans le monde, avançant en faisant l'épreuve de l'inconnaissable, de l'exil, de l'étrangeté, questionnant sans cesse sa "seule et unique situation dont la compréhension se perd dans l'immensité", marchant vers la mort, puis vers l'immortalité et après, plus loin, vers cette "volupté du non-être total" avec son rien à la "couleur bleutée".

Philippe Forest

La langue comme instrument de précision
LE MONDE DES LIVRES | 24.03.11 | 11h19  •  Mis à jour le 24.03.11 | 11h19

Quelle est la langue de l'oeuvre de Milan Kundera ? On a coutume, pour aborder cette question, de distinguer une période "tchèque" (de Risibles amours à L'Immortalité) et une période "française" (de La Lenteur à Une rencontre), selon la langue (présumée) des manuscrits. Mais les choses sont un peu plus compliquées.

Les premiers livres de Kundera ont beau avoir été écrits en tchèque, seuls Risibles amours et La Plaisanterie ont été édités en Tchécoslovaquie, à la fin des années 1960, pour être aussitôt frappés d'interdit et disparaître pendant vingt ans. Quant aux cinq romans suivants, ils n'ont jamais existé publiquement en tchèque avant la chute du régime communiste. C'étaient des livres fantômes. Ils ne devaient leur existence qu'aux traductions publiées dans le monde entier. D'où cette situation paradoxale et unique : celle d'une oeuvre sans texte original connu, et celle d'un auteur écrivant dans une langue dont il sait d'avance que ce n'est pas celle dans laquelle il sera lu.

Quoique plus subtilement, l'ambiguïté persistera après le déménagement de Milan Kundera en France, alors que son oeuvre traversera, au cours des années 1980, une curieuse phase "bilingue" : tout en écrivant L'Immortalité en tchèque, il rédige en français tous ses essais, prépare lui-même le texte français de sa pièce tchèque Jacques et son maître, et passe deux ou trois années à réviser méticuleusement les traductions françaises de ses romans afin de les "authentifier" et de pouvoir s'y identifier aussi entièrement qu'à leurs versions originales.

Ainsi, très tôt, à cause des circonstances historiques dans lesquelles il s'est trouvé pris, mais aussi pour des raisons d'ordre artistique qui ne feront que s'approfondir avec le temps, Kundera a de son art ce qu'on pourrait appeler une conscience translinguistique ou polylinguistique, c'est-à-dire détachée de telle ou telle langue particulière et portée à se penser d'emblée dans le "grand contexte" (européen ou mondial) du concert et de l'échange des langues.

A cela peuvent être rapportés deux traits de sa pratique de romancier. Le premier est la sobriété et la limpidité de son style, qui est celui d'un écrivain pour qui la langue littéraire n'est pas d'abord
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