克勞德˙李維─史陀(Claude Lévi-Strauss)革命
克勞德˙李維─史陀(Claude Lévi-Strauss)
克勞德˙李維─史陀(Claude Lévi-Strauss)
Claude Lévi-Strauss, un regard japonais |
LE MONDE DES LIVRES | 07.04.11 | 11h09 • Mis à jour le 07.04.11 | 17h36 |
En 1985, Claude Lévi-Strauss visita pour la première fois Israël et les Lieux saints. En 1986, il fit le tour de l'île de Kyushu, où se sont déroulés les événements les plus anciens de la mythologie japonaise. Deux ans plus tard, il confia, lors d'une conférence à Kyoto, avoir ressenti "des émotions beaucoup plus profondes" devant le mont Kirishima que devant le temple de David. L'anecdote est révélatrice d'un trait propre au fondateur de l'anthropologie structurale : ce que certains verront comme une "haine de soi" doit plutôt être envisagé comme une critique, ou une "dissolution", du sujet occidental. Selon Lévi-Strauss, alors que la culture judéo-chrétienne a dissocié l'histoire du mythe, le Japon a maintenu les mythes en liberté, exprimant les puissances d'une nature habitée. Lévi-Strauss (1908-2009) nourrissait une véritable passion pour le Japon. Son père, peintre influencé par les impressionnistes, lui donnait des estampes japonaises en récompense de ses succès scolaires. Après un long détour par le Brésil et les sociétés amérindiennes, il attendit 1977 pour mettre le pied au Japon, inaugurant une série de voyages qui en comptera cinq jusqu'en 1988, et dont l'objectif sera notamment d'étudier le travail des artisans traditionnels. Alors qu'on lui a souvent reproché de réduire les cultures à des formes logiques, Lévi-Strauss parle de ce pays avec des élans d'amour, avouant même y trouver la seule forme de musique non européenne capable de le toucher, ou cuisiner le riz accompagné d'algues... Les deux recueils publiés aujourd'hui permettent de mesurer non seulement cet amour de Lévi-Strauss pour le Japon, mais aussi son influence sur le "regard éloigné" que l'anthropologue a porté sur la modernité. Le premier rassemble trois conférences données à Tokyo au cours du voyage de 1986. Comme les cours de Michel Foucault au Collège de France, le texte de ces conférences circulait jusque-là dans sa traduction italienne. Désormais, le public français peut donc prendre connaissance de l'original. Le lecteur familier de Lévi-Strauss y retrouvera les grands thèmes de son anthropologie, éclairés par les questions très contemporaines posées par le sida, la génétique des populations ou les mères porteuses. Comme le note Maurice Olender dans son avant-propos, ce texte constitue une bonne introduction à l'oeuvre de Lévi-Strauss. Le recueil intitulé L'Autre Face de la Lune étonne davantage, car on y découvre un Lévi-Strauss moins magistral, plus humoristique, osant formuler des propositions fulgurantes sur un pays qu'il connaît mal. Selon lui, en effet, la mythologie japonaise forme une variante d'un fond mythologique d'Asie centrale qui serait passé, d'un côté, en Amérique, et, de l'autre, en Europe ; parce qu'ils se trouvent aux deux pointes du continent eurasien, la France et le Japon auraient développé ce même fond mythologique dans des directions inverses. Il note : "Si la France, dans la lignée de Montaigne et de Descartes, a poussé plus loin peut-être qu'aucun autre peuple le don d'analyse et la critique systématique dans l'ordre des idées, le Japon a, de son côté, développé plus qu'aucun autre peuple un goût analytique et un esprit critique s'exerçant dans tous les registres du sentiment et de la sensibilité." Ainsi s'ouvre l'espace d'une comparaison, permettant par exemple à Lévi-Strauss de mettre en rapport Le Dit de Genji, grand roman courtois du XIe siècle, et La Nouvelle Héloïse de Rousseau. Une telle hypothèse expliquerait une observation fréquente des voyageurs européens au Japon, selon laquelle tous les comportements y sont inversés : "Ils montent à cheval par la droite", ils scient en tirant vers eux... Lévi-Strauss rattache ces singularités à des structures de la langue : en japonais, le sujet est ce sur quoi finit la phrase, alors qu'il est ce qui la commence en français. L'anthropologue africaniste Junzo Kawada, qui ouvre ce recueil par un avant-propos et le conclut par un dialogue avec Lévi-Strauss datant de 1993, fait remarquer que beaucoup de ces comportements, comme la montée à cheval par la droite, sont en fait le produit d'une histoire militaire récente et non le reflet d'une mentalité archaïque. Pourtant, il faut maintenir ces moments d'incertitude où Lévi-Strauss, confronté à l'histoire, s'en tire par la logique des mythes. Racontant ses voyages, il dit avoir vu des paysages dévastés par la guerre et recouverts par les camps militaires américains, mais c'est aussitôt pour détourner les yeux vers une nature préservée, ou plutôt reprenant ses droits. La méditation devant le mont Kirishima apparaît ainsi comme un détour nécessaire pour éviter de regarder en face Hiroshima - ou, plus près de nous, Fukushima. |
L'ANTHROPOLOGIE FACE AUX PROBLÈMES DU MONDE MODERNE de Claude Lévi-Strauss. Seuil, "La Librairie du XXIe siècle", 160 p., 14,50 €. L'AUTRE FACE DE LA LUNE. ECRITS SUR LE JAPON. Seuil, "La Librairie du XXIe siècle", 204 p., 17,50 €. |
Frédéric Keck |
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