Commémorons le génocide des Arméniens en Turquie


LE MONDE | 22.04.2014 à 10h47 Mis à jour le 23.04.2014 à 09h35 | Par Collectif

En 1915, suivant un plan établi à l'avance et une mise en acte méthodique, un million et demi d'Arméniens étaient assassinés dans l'Empire ottoman, avec pour but ultime la destruction de leur civilisation. Les Arméniens étaient alors victimes d'un génocide qui allait devenir une funeste référence pour ceux qui suivraient.

Depuis lors, les gouvernements turcs successifs ont lutté avec force afin de faireoublier cette sombre part du passé de leur pays. Encore aujourd'hui, notamment en Turquie, la simple énonciation de cette vérité historique suscite, contre ceux qui en sont les auteurs, des oppositions farouches, des menaces physiques et parfois même des meurtres. Le négationnisme alimente le racisme et la haine contre les Arméniens et d'autres minorités non musulmanes.

Certains veulent faire croire que la reconnaissance de la réalité du génocide des Arméniens est une attaque contre tous les Turcs et contre la « turcité », alors que c'est une attaque contre le négationnisme et une démarche pour la justice et la démocratie.



VÉRITÉ ET JUSTICE

Depuis quelques années maintenant, une partie de la société civile turque organise avec courage la commémoration du génocide des Arméniens. Un cercle vertueux de vérité et de justice s'est graduellement amplifié pour rassemblertoujours plus d'individus, unis dans une émouvante démonstration d'humanité pourfaire face au discours officiel négationniste.

L'année dernière, pour la première fois en presque un siècle, une délégation étrangère, composée de dirigeants de la diaspora arménienne et de dirigeants antiracistes européens, a pris part aux commémorations en Turquie, en réponse à l'appel à la solidarité lancé par la société civile turque.

Tous ensemble, le 24 avril 2013, nous avons montré que ceux, en Turquie, qui reconnaissent et commémorent le génocide des Arméniens sont chaque jour plus nombreux. Nous avons montré qu'une partie de la société turque, attachée aux valeurs de démocratie et des droits de l'homme, est prête à faire face à son passé avec lucidité.

Cette année, tous ensemble, militants antiracistes, dirigeants de la société civile, citoyens engagés, intellectuels et artistes, de Turquie et d'ailleurs en Europe, d'origines diverses mais tous unis par le désir de voir la vérité historique enfin reconnue, nous commémorerons, en Turquie, le 24 avril 2014, le génocide des Arméniens, qui fait partie du présent, bien que nous soyons à l'aube du centenaire de sa perpétration.

Notre démarche partagée est une démarche de reconnaissance, de solidarité, de justice et de démocratie.

C'est une démarche de reconnaissance en ce qu'elle permet simultanément aux membres de la diaspora arménienne et aux Arméniens de Turquie, qui ont résisté à l'exil, de porter ouvertement le deuil de leurs ancêtres, comme elle permet aux organisations et individus turcs de demander pardon aux descendants des victimes de certains de leurs ancêtres.
 

PROJET COMMUN

C'est une démarche de solidarité entre tous ceux qui se battent pour la vérité historique. La ligne de clivage n'est pas entre les Turcs et les Arméniens, mais entre ceux qui se battent pour la reconnaissance du génocide des Arméniens et ceux qui promeuvent le négationnisme. En un mot, ce n'est pas une question d'origines mais d'idées, de projet commun.

C'est une démarche de justice. Comme le dit Elie Wiesel, « le génocide tue deux fois, la seconde par le silence », c'est-à-dire que le négationnisme est la continuation du génocide, qui est l'événement le plus violent auquel le racisme puisse aboutirCombattre le négationnisme, c'est tenter d'apaiser la vivacité du traumatisme transmis dans les communautés arméniennes d'une génération à l'autre. C'est se battre contre le racisme, pour une société plus égale et plus juste. C'est offrir aux nouvelles générations la possibilité de se projeter ensemble vers l'avenir.

C'est enfin une démarche pour la démocratie. Non seulement parce que souleverle tabou du génocide est une indispensable condition pour faire progresser la liberté d'expression en Turquie, mais également parce que, comme le rappelait souvent Jorge Semprun, la démocratie suppose une certaine vitalité de la société civile. Renforcer les liens parmi les sociétés civiles, c'est renforcer ceux qui luttent pour promouvoir la démocratie en Turquie comme dans le reste de l'Europe.

Ainsi, le 24 avril prochain, nous commémorerons, ensemble et en Turquie, le génocide des Arméniens, ou soutiendrons ceux qui le feront, et nous appelons tous les individus attachés à la reconnaissance, à la solidarité, à la justice et à la démocratie à nous rejoindre pour tourner enfin la page d'un siècle de négationnisme.



Tribune cosignée par :

 

Charles Aznavour, chanteur ; Bernard-Henri Lévy, philosophe et membre du conseil de surveillance du « Monde » ; Serge Klarsfeld, président de Fils et filles des déportés juifs de France ; Bernard Kouchner, ex-ministre des affaires étrangères ; Adam Michnik, ex-dirigeant de Solidarnosc (Pologne) ; Paul Morin, directeur exécutif du Mouvement antiraciste européen (EGAM, Europe) ; Ayse Gunaysu, présidente de la branche Istanbul de l'association pour les droits de l'homme ; Abdullah Demirbas, maire d'arrondissement de Diyarbakir ; Levent Sensever, porte-parole de Durde ! (Turquie) ; Alexis Govciyan, président de l'Union générale des Arméniens de bienfaisance (UGAB) - Europe ; Ayse Öktem, porte-parole de la plate-forme « Campaign for Confronting a Century of Denial » (Turquie) ; Ara Toranian, Directeur des Nouvelles d'Arménie magazine ; Murat Timur, président de l'association du barreau de Van (Turquie)


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