二○一四年三月一號(禮拜六),法國男導演阿藍˙雷奈(Alain RESNAIS)過世,對這一位優秀的作者來說,阿藍˙雷奈過世構成一件重要的電影事件。他的過世,幾乎又再讓我們再提起《夜與霧》這一部僅僅只有三十二分鐘的紀錄片。
《夜與霧》(Nuit et brouillard)
《夜與霧》不僅獨特,《夜與霧》這部紀錄片它自己的歷史,也已經構成值得仔細研究————研究其上諸多事件的歷史————的主題。
《夜與霧》並不是阿藍˙雷奈他自己想要執行的紀錄片;而是法國的「第二次世界大戰歷史委員會」(le Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale)希望在一九五五年紀念解放(納粹的)集中營十週年。昂黎˙米歇(Henri MICHEL)是當時該委員會的秘書長。「第二次世界大戰歷史委員會」是法國政府在一九五一年成立的委員會,功能最主要是蒐集歷史資料。
既然他們有意拍攝一部紀錄片,方法是蒐集資料影片跟資料照片拍成一部紀錄片,他們找上已經在拍紀錄片、而且已經有些知名度的阿藍˙雷奈。阿藍˙雷奈答應了,該紀錄片將由阿納托勒˙多曼(Anatole DAUMAN)擔任製片。
的確,阿藍˙雷奈必須整理不少資料影片跟資料照片,但他也找上男作家尚˙凱侯(Jean CAYROL)來編寫旁白文稿。後來,所有的旁白文稿,都由男演員米歇˙布凱(Michel BOUQUET)口述;但是,從近期法國《世界報》的文章才揭露說米歇˙布凱為了向受害者致敬而婉拒在片頭字幕掛名。後來,阿藍˙雷奈帶著攝影團隊前往波蘭奧許維茨(Auschwitz)拍攝已經廢棄的集中營。
尚˙凱侯的旁白文稿、米歇˙布凱口述、阿藍˙雷奈拍攝的彩色影片、蒐集來的資料影片跟資料照片,就剪接成一部《夜與霧》。喔,《夜與霧》的標題,就像《夜與霧》片中就已經提到,是納粹集中營的大字號 « Nacht und Nebel » ————就是「夜與霧」的意思,實際上出自德國納粹一九四一年十二月七號的法令————,阿藍˙雷奈/尚˙凱侯運用「夜與霧」寫出旁白文稿:「死神作了他的第一個選擇。第二個選擇就在他們到達的時候完成,就在夜中、就在霧中。」(La mort fait son premier choix. Un second est fait à l'arrivée, dans la nuit et le brouillard.)
你們注意到了嗎?蒐集很多東東,剪一剪,就是一部片;而且立即就是一個電影事件。
但,事實上,「剪一剪」正是要剪出「意義」。或,應該說:「剪一剪」正是在建構「意義」,即使是紀錄片,編寫劇本依舊有其意義,因為正是在建構「意義」、創造「意義」。是在這樣的基礎上,我們討論紀錄片《夜與霧》之成形,才有它的意義。
《夜與霧》會不會被台灣文化部影視局判為「限制級」?的確有可能;由我本人周星星(以及肥內)在二○○九年春策展的「法國新浪潮五十週年紀念影展」(活動在國家電影資料館以及金車文化中心舉辦),《夜與霧》就還是被劃為「限制級」。
理由呢?很好:阿藍˙雷奈拍攝的彩色影片都沒有問題,但黑白的資料影片有太多斷頭、斷身體、全裸體的屍體的畫面跟用推土機推屍體的畫面。但是,《夜與霧》這部「僅只有三十二分鐘的紀錄片」,在法國教育部推動下,是介紹第二次世界大戰跟納粹罪行的教學影片,放給……論年級是相當於台灣國中三年級(九年級?)的學生觀看。怎麼會?變成「保護級」嗎?
《夜與霧》值得我們再多談論。但是,《夜與霧》拍完五十九年過後,今年、最近才又有一部/一系列紀錄片值得我們在這邊提起。
《末日》(Apocalypse)
《末日》是由法國男歷史學家丹尼爾˙寇斯泰勒(Daniel COSTELLE)跟法國女導演伊莎貝˙克拉克(Isabelle CLARKE)聯合執導,並且由知名的法國男演員兼導演馬提厄˙卡索維茲(Mathieu KASSOVITZ)口述旁白。它是在談第一次世界大戰。是的,是的,第一次世界大戰是在一九一四年爆發,到今年已經一百週年了。
要提《末日》、要提伊莎貝˙克拉克跟丹尼爾˙寇斯泰勒,就得先提二○○九年的《末日˙第二次世界大戰》(Apocalypse. La deuxième guerre mondiale, 2009),它是由法國國營電視頻道 France 2 製作的一系列紀錄片,最大的特色就是它是彩色的紀錄片。《末日˙第二次世界大戰》在 France 2 播出的時候,全法國有六百五十萬觀眾收看。這叫作地震般地驚人。
然後,還是伊莎貝˙克拉克跟丹尼爾˙寇斯泰勒的團隊,二○一一年他們再為 France 2 剪出《末日˙希特勒》(Apocalypse. Hitler, 2011),還是一樣是彩色的紀錄片。全法國有六百一十萬觀眾收看《末日˙希特勒》;這叫作打雷般地驚人。
為紀念第一次世界大戰一百週年,伊莎貝˙克拉克跟丹尼爾˙寇斯泰勒剪出《末日》。《末日》還是彩色的紀錄片。可是,這兒就出現問題了————問題當然包括《末日˙第二次世界大戰》跟《末日˙希特勒》————:以《末日》全部運用第一次世界大戰前跟第一次世界大戰期間的資料影片,不管是新聞影片還是家庭影片,不管是來自歐洲或遠渡重洋到澳大利亞、南美洲但又再蒐集過來,在當時,一九一四年到一九一八年,根本還沒有彩色電影底片。《末日》之所以是彩色的,是在後製作期間再上色的。
這就是為什麼當《末日˙第二次世界大戰》跟《末日˙希特勒》在播出的時候,有不少法國歷史學家、美學家、哲學家等等批評《末日》系列的紀錄片很醜陋、在搞操作。但是歷史學家丹尼爾˙寇斯泰勒知道:唯有打上彩色,才會有收視率;這就意謂會有電視觀眾、會有法國公民觀看這些關於歷史的紀錄片。以六百五十萬觀眾跟六百一十萬觀眾的數字來看,既然收視結果很是驚人,就表示打上彩色的策略是奏效的。
事實上,跟剛剛《夜與霧》一樣,「剪一剪」正是要剪出「意義」。《夜與霧》的資料影片、資料照片跟彩色影片大抵是一九四○年代、一九五五年(彩色影片),《末日》的資料影片可推到更早,一九一四年到一九一八年期間,根本是奧古斯特˙盧米埃(Auguste LUMIÈRE)、路易˙盧米埃(Louis LUMIÈRE)的年代再過十八年、再過二十二年而已。
電影事件剛好要跟歷史事件結合在一起:記錄。
這一回,看到法國《世界報》的文章,《末日》蒐集的資料影片真的非常珍貴,珍貴到這些底片幾乎已經有一百年的歷史。不僅僅是電影底片對業餘拍攝家來說本來就很罕見、又昂貴,還牽涉到拍攝器具如腳架相當笨重、沖洗成本又是高昂。但是,《末日》呈現不少既是法國這邊的景象,例如早已聞名全世界的壕溝的場景;但也有德國那邊的景象,像是坦克車剛剛出現在世界上快速地壓過泥土堆的畫面。但是,不管是法國阿兵哥在上戰場前誤以為十幾天後就能回家吃飯————結果眾所周知:法國阿兵哥死亡的數目超級慘重————所以還露出輕敵的笑容,或德國阿兵哥在上戰場前作戰技訓練的畫面,都還是不足以撐起一個大敘事。終究還是得依靠旁白文稿、由馬提厄˙卡索維茲口述,才建構「意義」、創造《末日》這紀錄片的「意義」。
這就是我們在思考電影事件的樂趣之一:知道從一大堆彼此之間毫無邏輯、都只是某些時間片段下的『小事件』,透過文字去組織成具備一套邏輯的紀錄片,一部或一系列影片,公開播映時又再是一個電影事件,因為它找到它的觀眾、評論者,任何人不管是不是歷史學家或影評人,不管是不是哲學家或影評人,都可以再針對這一部或這一系列影片作出評論。而,這些影評,還是電影事件。
(原發表日期:二○一四年三月二十號禮拜四)
« Nuit et Brouillard », film de toutes les polémiques |
LE MONDE | 03.03.2014 à 11h26 • Mis à jour le 04.03.2014 à 16h14 | |
On l'oublie parfois : d'une durée de trente-deux minutes, Nuit et Brouillard, l'un des films les plus importants d'Alain Resnais, était une commande du Comité d'histoire de la seconde guerre mondiale, un organisme gouvernemental chargé de rassembler de la documentation sur la période de l'Occupation. Sorti en 1956, dix ans après la libération des camps, produit par Anatole Dauman, Samy Halfon et Philippe Lifchitz, il débute par l'impératif biblique « souviens-toi ». Mêlant archives en noir et blanc et images en couleur, le film fut supervisé par deux historiens de la déportation : Olga Wormser-Migot et Henri Michel. Ecrit par l'écrivain Jean Cayrol, lui-même ancien déporté, le texte est dit par Michel Bouquet – ce dernier, en hommage aux victimes, refusa que son nom figure au générique. LES NN, NACHT UND NEBEL Quant à la musique, composée par Hanns Eisler, elle amplifie l'émotion que l'on ressent en voyant ce film dont le titre évoque le nom donné aux déportés par les nazis : les NN (Nacht und Nebel). Nuit et Brouillard est un film sur l'univers concentrationnaire, en ce sens qu'il ne différencie pas explicitement les camps de concentration des camps d'extermination. Et si l'on y voit les chambres à gaz d'Auschwitz, la spécificité du génocide juif n'apparaît pas (le mot juif n'est cité qu'une seule fois) : il faudra pour cela attendre le film de Claude Lanzmann, Shoah, en 1985. Le film s'achève sur un travelling arrière des chambres à gaz, citant les 9 millions de morts qui hantent le paysage : « Il y a nous, qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s'éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d'un seul temps et d'un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n'entendons pas qu'on crie sans fin. » ALLUSION À LA COLLABORATION A l'époque, c'est l'allusion à la Collaboration qui fait réagir en France : une des images du film montre un gendarme français dans le camp de Pithiviers, où transitent les juifs avant leur déportation. A la demande de la commission de contrôle, Alain Resnais devra censurer son film, en apposant un bandeau noir sur la photographie incriminée – il y restera jusqu'en 1997. Resnais expliquera également que le Service des armées lui avait refusé l'utilisation d'une archive en raison du « caractère » de son film. A l'annonce du choix de Nuit et Brouillard pour représenter la France au Festival de Cannes, l'ambassade d'Allemagne de l'Ouest fit une démarche, couronnée de succès, auprès du gouvernement de Guy Mollet pour faire retirer le film de la sélection officielle. Outre les protestations nombreuses – y compris en Allemagne même –, s'ensuivit une campagne de presse en faveur du film. Jean Cayrol, le scénariste, s'exprima dans Le Monde du 11 avril 1956 : « La France refuse ainsi d'être la France de la vérité, car la plus grande tuerie de tous les temps, elle ne l'accepte que dans la clandestinité de la mémoire. (…) Elle arrache brusquement de l'histoire les pages qui ne lui plaisent plus, elle retire la parole aux témoins, elle se fait complice de l'horreur. » Finalement, le film sera projeté à Cannes, mais hors compétition. ABSENCE DE RÉFÉRENCE À LA SHOAH Concernant l'absence de référence à la Shoah, Alain Resnais connaissait les réticences de Claude Lanzmann. Avec élégance, il s'en était expliqué dans Alain Resnais, Liaisons secrètes, accords vagabonds, de Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat (Ed. Cahiers du cinéma, 2006) : « Il a raison. Mais je ne pense pas que Claude Lanzmann dise que cela a été volontaire. Nuit et Brouillard a été fait en 1955, c'est ce qu'il faut tout le temps redire. En le regardant, il faut essayer de s'imaginer ce qu'étaient la mentalité et les connaissances à cette époque. Et puis, il y avait cette idée qu'il fallait réconcilier tous les Français. » « A l'époque, ajoutait Resnais, la notion de Shoah n'existait pas. Pour le commentaire, Olga Wormser et Henri Michel se sont interrogés sur le nombre de morts ; celui retenu à l'époque est un chiffre global de 9 millions. Est-ce qu'il fallait détailler le nombre de Tziganes, d'homosexuels, de politiques ? Nous ne connaissions pas les chiffres. Six millions de Juifs sur 9 millions, nous ne le savions pas. » LE FILM LE PLUS MONTRÉ AUX COLLÉGIENS Encore aujourd'hui, Nuit et Brouillard est le film qui est le plus souvent montré aux collégiens lorsqu'il s'agit d'enseigner les horreurs nazies. Affaire de durée sans doute – Shoah dure plus de neuf heures et dix minutes – mais pas seulement. Interrogé au lendemain de la mort d'Alain Resnais, Claude Lanzmann estime que « les responsables de l'éducation nationale, mais aussi ceux des institutions juives, n'aiment pas la précision, l'exactitude. Au fond, le monde entier se serait bien satisfait de Nuit et Brouillard. Comme s'il n'y avait pas besoin d'en savoir plus. Le reste, tout ce que j'ai appris en faisant Shoah, aurait relevé de travaux obscurs d'historiens. Pour les non-spécialistes, Nuit et Brouillard disait tout. Le nazisme se résumait à cela ». Alain Resnais était bien conscient de l'importance fondamentale de Shoah pour la connaissance historiographique. « Sans Lanzmann, disait-il, la notion de Shoah n'aurait pas été perçue de la même manière. » Alain Resnais ajoutait : « Maintenant, on dit que Nuit et Brouillard est trop édulcoré, mais en 1955, il était trop violent. En tout cas, à sa sortie, avec tous les problèmes qu'il y a eus, je n'ai jamais vu un déporté dire : “Quand même, il faudrait plus parler de ceci ou de cela.” » |
Par Franck Nouchi |
薯條革命
« Apocalypse » ravive la Grande Guerre en couleurs |
LE MONDE CULTURE ET IDEES | 13.03.2014 à 16h26 • Mis à jour le 14.03.2014 à 16h10 | |
Il semble bien loin le temps où l’Histoire se regardait en noir et blanc, à travers des images rayées, poussiéreuses et floues. A présent, à l’heure du tout-numérique, on imaginerait mal que les documentaires diffusés par la télévision ne montrent pas les couleurs de la vie – le rouge du sang des soldats morts au combat, par exemple, ou le bleu du ciel pendant les assauts. A l’occasion du centenaire de la guerre de 14-18, France Télévisions va proposer tout au long de l’année plus de trente-cinq films et documentaires pour commémorer ce conflit. Parmi eux, un nouveau volet de la série « Apocalypse », conçue et entièrement « mise en couleurs par l’historien Daniel Costelle et la réalisatrice Isabelle Clarke. En cinq épisodes d’archives, diffusés sur France 2 à partir du 18 mars, les deux auteurs racontent les débuts chaotiques du XXe siècle, pris dans le fracas des armes, les nationalismes exacerbés, la colère des peuples et l’affrontement des idéologies. Un succès d’audience (quasiment) assuré pour la chaîne publique qui, après les deux premiers volets de la série, « Apocalypse. La deuxième guerre mondiale » (6,5 millions de téléspectateurs pour chacun des six épisodes en 2009) et « Apocalypse. Hitler » (6,1 millions de téléspectateurs en 2011), compte bien, une nouvelle fois, attirer un public jeune grâce à la mise en couleurs des images, qui avaient été tournées en noir et blanc. Des séquences rares : au moment où éclate la première guerre mondiale, l’invention du cinématographe par les frères Lumière n’a pas 20 ans. Il existe donc peu de reportages filmés sur ce conflit. Il faut dire qu’à cette époque le travail des rares reporters de guerre, bloqués à l’arrière des tranchées par la hiérarchie militaire, était rude. Les caméras à pied étaient lourdes et inadaptées au terrain, les premiers amateurs de cinéma maîtrisaient peu la technique, la pellicule était rare et, bien sûr, le procédé de la couleur quasi inexistant. Faute de mieux, les preneurs d’images se contentaient de filmer les cadavres et faisaient « rejouer » la plupart des scènes d’assaut. De ces scènes, il reste quelques centaines d’heures d’archives audiovisuelles conservées dans les différents dépôts et cinémathèques à travers le monde (notamment l’Imperial War Museum de Londres, la Bundesarchiv de Berlin ou l’Etablissement de communication et de production de la défense – ECPAD). UN RÉCIT COMME AU CINÉMA C’est à partir de toutes ces archives audiovisuelles que Daniel Costelle et Isabelle Clarke ont monté leur série « Apocalypse » pour en faire un récit tel qu’on le conçoit au cinéma. Une histoire dans l’Histoire, qui permet de voir le passé en couleurs. « Le noir et blanc est une sorte d’amputation, alors que la couleur c’est la réalité », disent-ils en chœur. « Nous sommes plus cinéastes que documentaristes », souligne Isabelle Clarke. « Nous racontons l’Histoire avec des personnages qui évoluent dans une construction cinématographique », poursuit Daniel Costelle. « Le but, c’est de se rapprocher des journaux télévisés actuels. Les images doivent être belles comme si elles sortaient de la caméra. Si l’on veut montrer la guerre, il faut faire voir le rouge du sang et sentir la sueur qui dégouline dans le cou des soldats », s’emporte Isabelle Clarke. Et d’ajouter : « De toute façon, il est impossible de prendre les images d’archives telles qu’elles sont, nous sommes obligés d’intervenir dessus. Nos documentalistes, qui n’ont pas le droit de dupliquer les originaux, les filment sur une visionneuse, et nous travaillons sur ce matériel un peu fantomatique. Puis les archives, qui ont été nettoyées, recalées en raison du saut des images, voire recadrées pour passer du format 4/3 de l’époque au format 16/9 des écrans d’aujourd’hui, reviennent vers nous et tout s’illumine ! » Se définissant comme « des archéologues audiovisuels qui trouvent un objet rare et le font briller », Isabelle Clarke et Daniel Costelle estiment que la « mise en couleurs » des archives – dont certaines se révèlent comme de véritables trésors – n’est « qu’un élément de l’Histoire ». Le passage du noir et blanc à la couleur ne s’est pourtant pas opéré sans heurts. Il y a quelques années, il a même suscité débats et polémiques. S’agit-il d’une création artistique, d’un outil de véracité, ou d’une facilité technologique pour générer de l’audience ? En 2009, lors de la diffusion sur France 2 du premier volet d’« Apocalypse » (vu depuis par plus de 100 millions de téléspectateurs dans 165 pays), plusieurs historiens s’étaient élevés avec véhémence contre la colorisation de ces archives. Certains partisans de l’orthodoxie historique dénonçaient une « falsification » du réel, voire une « mystification », et accusaient la série de « véhiculer un discours franchement réactionnaire ». « Coloriser, technique vieille comme le monde, n’est rien d’autre que maquiller », expliquait ainsi le philosophe et historien Georges Didi-Huberman dans une tribune parue en 2009 dans Libération. « Plaquer une certaine couleur sur un support qui en était dépourvu, c’est ajouter du visible sur du visible. C’est donc cacher quelque chose. Le mensonge ne consiste pas à avoir traité les images mais à prétendre qu’on nous offrait là un visage nu, véritable, de la guerre, quand c’est un visage maquillé, “bluffant”, que l’on nous a servi », poursuivait-il. « HISTOIRE SPECTACLE » En octobre 2011, après la diffusion d’« Apocalypse. Hitler » lui aussi mis en couleurs, le cinéaste Hugues Le Paige accusait Isabelle Clarke et Daniel Costelle de faire de « l’Histoire spectacle particulièrement racoleuse ». « Ce procédé me trouble, écrivait de son côté l’historien Benjamin Stora. Faut-il pour capter, motiver l’intérêt du spectateur, avoir recours à la couleur ? Faudra-t-il, un jour, coloriser les archives des camps de concentration pour que le public puisse encore manifester de l’intérêt pour cette séquence tragique d’histoire ? » La question était d’importance. Dans la série consacrée à la seconde guerre mondiale, les réalisateurs avaient en effet pris le parti de ne pas coloriser les images de la Shoah, pour « ne laisser aucun doute sur leur authenticité » et pour que « personne ne puisse y trouver matière à supercherie ». Au risque, avait souligné Gérard Lefort, journaliste à Libération, « qu’on les accuse d’avoir mis au point une hiérarchie du pire, de la couleur au noir et blanc ». Aujourd’hui, Benjamin Stora reconnaît avoir révisé son jugement. Spécialiste des guerres coloniales, il a réalisé en 2012, avec Gabriel Le Bomin, « La Déchirure », une série documentaire sur le conflit franco-algérien dont une bonne partie des archives a été colorisée. « Lors de la première diffusion d’“Apocalypse”, je craignais que l’archive ne soit rendue plus lisse et que ce soit une facilité pour attirer un public plus large, au détriment de la vérité historique. Mon jugement a évolué car il est évident qu’avec tous les nouveaux outils technologiques, si les historiens n’entrent pas dans le processus de colorisation, il se fera sans eux, et ce serait pire. » Isabelle Clarke et Daniel Costelle l’ont bien compris. Balayant le débat éthique des historiens, ils se sont emparés de ces archives audiovisuelles en s’entourant de conseillers historiques (Paul Malmassari et Frédéric Guelton) qui ont validé le travail de recherches d’une équipe de trois étudiants en histoire employés à plein-temps pendant un an. Durant de longs mois, ces derniers se sont documentés sur d’innombrables détails pour connaître la couleur des uniformes, des képis, de la gourde, des ceinturons, de la texture de l’herbe selon la saison. « C’est un véritable travail d’enquête, explique Daniel Costelle. Les sources sont croisées et vérifiées avec d’anciens autochromes, des articles de presse, des musées, des sites de collectionneurs. » PLUS DE 80 000 CLICHÉS Comme pour les deux premiers numéros d’« Apocalypse », le fruit de leurs recherches a été confié au coloriste François Montpellier qui, avec son équipe de quatre personnes, a référencé chaque image, soit plus de 80 000 clichés pour les cinq épisodes. Il a mis ceux-ci en couleurs, et chaque nuance, même la plus infime, a été stockée dans une banque de données. Un travail a aussi été réalisé pour retrouver les sons (chenilles des tanks, bruit de moteur des camions ou souffle des locomotives à vapeur, cris pendant les assauts, etc.). S’y ajoutent une musique originale et la narration du comédien Mathieu Kassovitz pour compléter le récit. « Avec la couleur, on comprend mieux une image, explique François Montpellier. Sans trahir l’original d’une archive, on peut retracer des contours, donner du relief et de la présence, et faire passer une émotion. La mise en couleurs est un étalonnage un peu poussé selon les détails que nous ont fournis les auteurs du documentaire », poursuit-il. « Dans le cadre des documentaires historiques, la question n’est pas la colorisation, mais de savoir où est la vérité dans la représentation, souligne Fabrice Puchault, responsable des documentaires sur France 2. Isabelle Clarke et Daniel Costelle ont construit un récit, et leur point de vue n’est pas celui de deux historiens mais de deux cinéastes. Ils tentent d’aller chercher une vérité à travers un point de vue, qui est la pierre angulaire de tout documentaire. » Il ajoute : « Les images d’archives – surtout celles de la guerre de 1914 – ne sont pas seulement le témoignage d’une époque, mais aussi celui d’une idéologie. Elles se lisent comme une grammaire de propagande. Il y a donc une légitimité à ne pas fétichiser ces images d’archives et à se réapproprier l’Histoire. » Une position reprise par l’historien Jean-Noël Jeanneney, qui prépare un documentaire sur Jean Jaurès. « Il n’y a ni triche ni tromperie à coloriser les archives, affirme-t-il. Si je devais le faire, je l’indiquerais simplement par respect du téléspectateur. » D’autres producteurs se sont aussi lancés dans la mise en couleurs. Ainsi, le 8 mars, pour clore la Journée internationale des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des droits des femmes, avait organisé à l’Elysée une projection d’Elles étaient en guerre, un documentaire à base d’archives entièrement colorisées. Coproduit par l’ECPAD et la société Program33, il sera diffusé sur France 3 en novembre. L’Histoire n’a donc pas fini de reprendre des couleurs. Isabelle Clarke et Daniel Costelle travaillent déjà sur deux nouveaux volets qui devraient clore l’épopée « Apocalypse ». L’un sera consacré à Staline, l’autre à la guerre froide, dont il existe de nombreuses archives en couleurs mais qui, avec le temps, ont perdu de leur éclat. Pour le coup, il n’y aura pas trop de « mise en couleurs », mais une restauration qui ne devrait pas susciter de polémiques. |
Par Daniel Psenny |
全站熱搜
留言列表