不過當然,像《白色緞帶》這種片,很難讓媒體一面倒全都是某一種意見。《世界報》(Le Monde) 似乎就只給《白色緞帶》兩顆星而已。
以下文字僅供周星星我作備忘用。年底將映《白色緞帶》時,再考慮將之中譯。
La voix qui nous raconte cette histoire est rauque. Comme éraillée par le temps. Mais, en cette année 1913 où le ramènent ses souvenirs, l'instituteur était un tout jeune homme. Un bon garçon joufflu à la Peter Ustinov, qui, dans le village où il enseignait, venait de rencontrer une pure, timide et radieuse jeune fille. Il faisait sa cour. Il se préparait à être heureux. Et puis il y avait eu ce câble. Solide et invisible, tendu entre deux arbres, il avait fait chuter le docteur qui rentrait tranquillement chez lui à cheval. Quelle farce stupide, avait-on pensé... Seulement, quelques semaines après, il y avait eu le fils du riche propriétaire, roué de coups. Puis un bébé laissé devant une fenêtre ouverte, en plein hiver. Plus grave encore : le gamin attardé de la sage-femme à qui on avait brûlé les yeux. L'horreur doucereuse...
Lent et somptueux, ce film étrange se déroule dans la pureté éclatante de paysages qui semblent inaccessibles à la noirceur. Sorte de suspense permanent, où rien, à la fin, ne serait révélé vraiment. Réflexion terrifiée sur des êtres frustrés, inexorablement poussés à la haine de l'autre... Michael Haneke est un rigoriste. Un exigeant. Un moraliste sombre. Dans ses films les plus réussis (Benny's Video, Caché) ou franchement discutables (Funny Games), il n'a fait que filmer la violence à l'oeuvre. Chez lui, le mal court, toujours. Il se répand comme un gaz invisible. Il s'attrape comme un virus mortel. Cette fois, il en traque l'origine. Il en dévoile les racines. Il en mesure les conséquences. Ce village allemand à la veille de la grande catastrophe, qu'il a imaginé de A à Z, lui sert de laboratoire pour dénoncer tous les terrorismes passés, présents et futurs.
Dans ce chaudron s'agitent oppresseurs et opprimés : propriétaire terrien indifférent face à des paysans qui semblent nés pour accepter les coups du sort ; parents inconscients élevant dans la terreur leurs enfants qui, eux, paraissent accepter tous les coups, au propre comme au figuré. Un même désir de révolte couve, pourtant, chez les « victimes ». Alors que chez les « bourreaux » domine la certitude d'agir pour le bien de ceux qu'ils oppriment. Mais le réalisateur montre constamment à quel point l'autorité dont ils usent et abusent cache mal le vide qui les submerge. Ces puissants sont tous des fantômes d'êtres à la carapace desséchée. Il y a une scène bouleversante où le pasteur - celui qui fait porter un ruban blanc à ses enfants pour leur rappeler le sens de la pureté - est ému, soudain, par son fils cadet, venu timidement dans son bureau lui offrir ce qu'il a de plus cher au monde. Les larmes montent brusquement aux yeux du pasteur, on le sent un instant, rien qu'un instant, au seuil de l'humain. Mais non, il résiste à la grâce et le voilà bien vite rendu à lui-même. Humain, pour quoi faire ? Après tout, c'est à Dieu de l'être, pas forcément à Ses créatures...
Ce que filme Michael Haneke, ce sont des êtres en enfer qui, pour s'y sentir moins seuls, tentent d'y entraîner les autres. « Tu dois atrocement souffrir pour être si odieux », dit la sage-femme à son amant, le docteur, qui vient de la briser, de la réduire à néant, lors d'une scène de rupture dont l'atrocité rendrait presque affables les affrontements conjugaux de Bergman dans Scènes de la vie conjugale... Les enfants, eux, résistent tant bien que mal : les yeux du petit Rudi s'agrandissent d'étonnement lorsqu'il apprend de sa soeur ce qu'est la mort (inoubliable séquence qui laisse pantois). Malgré lui, Martin pleure devant ce père justicier qui l'humilie pour avoir cédé « à l'appel de sa jeune chair »...
Que deviendront-ils, vingt ans, trente ans plus tard, ces enfants brisés au nom du bien ? Quand on les quitte, omniprésents et silencieux, ils ressemblent à un inquiétant choeur antique - comme les gamins blonds aux yeux vides d'un vieux film de SF en noir et blanc, Le Village des damnés. Le Ruban blanc (Palme d'or du dernier festival de Cannes) est lui aussi tourné en noir et blanc (superbe, signé Christian Berger). Une angoisse sourde naît de ces plans-séquences où tout semble constamment caché - derrière des portes closes et des esprits verrouillés. Mais sous son apparente austérité, la fureur y brûle. Haneke filme magistralement la noirceur qui s'infiltre dans les coeurs. D'où elle ne s'évadera plus.
Pierre Murat
以下文字僅供周星星我作備忘用。年底將映《白色緞帶》時,再考慮將之中譯。

Lent et somptueux, ce film étrange se déroule dans la pureté éclatante de paysages qui semblent inaccessibles à la noirceur. Sorte de suspense permanent, où rien, à la fin, ne serait révélé vraiment. Réflexion terrifiée sur des êtres frustrés, inexorablement poussés à la haine de l'autre... Michael Haneke est un rigoriste. Un exigeant. Un moraliste sombre. Dans ses films les plus réussis (Benny's Video, Caché) ou franchement discutables (Funny Games), il n'a fait que filmer la violence à l'oeuvre. Chez lui, le mal court, toujours. Il se répand comme un gaz invisible. Il s'attrape comme un virus mortel. Cette fois, il en traque l'origine. Il en dévoile les racines. Il en mesure les conséquences. Ce village allemand à la veille de la grande catastrophe, qu'il a imaginé de A à Z, lui sert de laboratoire pour dénoncer tous les terrorismes passés, présents et futurs.
Dans ce chaudron s'agitent oppresseurs et opprimés : propriétaire terrien indifférent face à des paysans qui semblent nés pour accepter les coups du sort ; parents inconscients élevant dans la terreur leurs enfants qui, eux, paraissent accepter tous les coups, au propre comme au figuré. Un même désir de révolte couve, pourtant, chez les « victimes ». Alors que chez les « bourreaux » domine la certitude d'agir pour le bien de ceux qu'ils oppriment. Mais le réalisateur montre constamment à quel point l'autorité dont ils usent et abusent cache mal le vide qui les submerge. Ces puissants sont tous des fantômes d'êtres à la carapace desséchée. Il y a une scène bouleversante où le pasteur - celui qui fait porter un ruban blanc à ses enfants pour leur rappeler le sens de la pureté - est ému, soudain, par son fils cadet, venu timidement dans son bureau lui offrir ce qu'il a de plus cher au monde. Les larmes montent brusquement aux yeux du pasteur, on le sent un instant, rien qu'un instant, au seuil de l'humain. Mais non, il résiste à la grâce et le voilà bien vite rendu à lui-même. Humain, pour quoi faire ? Après tout, c'est à Dieu de l'être, pas forcément à Ses créatures...
Ce que filme Michael Haneke, ce sont des êtres en enfer qui, pour s'y sentir moins seuls, tentent d'y entraîner les autres. « Tu dois atrocement souffrir pour être si odieux », dit la sage-femme à son amant, le docteur, qui vient de la briser, de la réduire à néant, lors d'une scène de rupture dont l'atrocité rendrait presque affables les affrontements conjugaux de Bergman dans Scènes de la vie conjugale... Les enfants, eux, résistent tant bien que mal : les yeux du petit Rudi s'agrandissent d'étonnement lorsqu'il apprend de sa soeur ce qu'est la mort (inoubliable séquence qui laisse pantois). Malgré lui, Martin pleure devant ce père justicier qui l'humilie pour avoir cédé « à l'appel de sa jeune chair »...
Que deviendront-ils, vingt ans, trente ans plus tard, ces enfants brisés au nom du bien ? Quand on les quitte, omniprésents et silencieux, ils ressemblent à un inquiétant choeur antique - comme les gamins blonds aux yeux vides d'un vieux film de SF en noir et blanc, Le Village des damnés. Le Ruban blanc (Palme d'or du dernier festival de Cannes) est lui aussi tourné en noir et blanc (superbe, signé Christian Berger). Une angoisse sourde naît de ces plans-séquences où tout semble constamment caché - derrière des portes closes et des esprits verrouillés. Mais sous son apparente austérité, la fureur y brûle. Haneke filme magistralement la noirceur qui s'infiltre dans les coeurs. D'où elle ne s'évadera plus.
Pierre Murat
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