《危險關係》革命

"Les Liaisons dangereuses", de Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos : une parfaite perfidie
LE MONDE DES LIVRES | 03.03.11 | 10h33  •  Mis à jour le 03.03.11 | 10h33
Deux cent trente ans après leur publication, il va sans dire que Les Liaisons dangereuses ne désignent plus seulement l'un des plus grands romans de tous les temps mais la matrice d'un mythe dont la fécondité semble inépuisable. Pourquoi et comment l'unique roman de Laclos est-il parvenu à pénétrer le cercle très restreint des oeuvres dont jamais la malléabilité ne s'est épuisée, ni démentie l'actualité ? C'est bien sûr la question centrale que pose la postérité de ce singulier chef-d'oeuvre et dont la réponse dépend de l'idée que chaque lecteur, à chaque époque, se fait de la "morale" de l'amour et de l'érotisme.

En témoigne cette nouvelle édition de "La Pléiade" dont l'innovation tient surtout à l'important dossier qui en occupe la moitié. Entre l'abbé Royou, qui signe le premier compte rendu, et Hervé Le Tellier, qui s'est amusé à scander les principales lettres en brèves "cartes postales", toute la "fortune" des Liaisons dangereuses défile, aussi étendue que polymorphe, de 1782 à 2005. Composé pour partie d'articles critiques, de notes et d'exégèses ; traversé d'illustrations de tous styles et talents confondus, de photos noir et blanc et couleur ; il englobe aussi des extraits d'adaptations théâtrales (Christopher Hampton, Quartett, d'Heiner Müller), de scripts (ceux des films de Roger Vadim et Stephen Frears), de romans récents fonctionnant sur le mode du pastiche ou inspirés par une suite possible des Liaisons (Hella Hasse ou Pascal Quignard).

Une corne d'abondance aussi symptomatique que discutable ? Bien sûr. D'où son immense intérêt. Et dont se dégagent, pour qui a (à tant faire !) lu ou relu le roman, trois leçons. Un : Merteuil, vraie nouveauté littéraire, écrase de sa supériorité tous les autres personnages. Deux : dans son match contre l'"Eve satanique", Tourvel ("Eve touchante", "admirable création", ajoute Baudelaire) l'emporte haut la main dans le coeur des interprètes comme sur le terrain des succédanés. Trois : l'art et l'intelligence de Laclos sont indépassables.

Publiées sous trois initiales mystérieuses, tirées à 2 000 exemplaires en 1782 et réimprimées de manière pirate seize fois la même année, Les Liaisons dangereuses, qui furent l'un des livres les plus lus à la fin du XVIIIe siècle, doivent leur succès immédiat à deux facteurs aveuglants. Le premier, s'agissant d'un roman où la plus grande délicatesse amoureuse est indissociable de la perfidie la plus profonde, est lié à l'énigme des "clés" supposées des personnages, question qui excitera les contemporains jusqu'à Stendhal. Le second tient à l'ambiguïté intrinsèque d'un ouvrage unanimement jugé atroce, quoique simultanément considéré comme un modèle de perfection formelle, d'intelligence narrative, de profondeur réflexive et de virtuosité stylistique.

Capitaine d'artillerie spécialiste des fortifications "perpendiculaires", futur inventeur du boulet "creux", dont Tilly a noté la "conversation froide et méthodique" tout autant que "l'impatience sombre d'un philosophe ou d'un conspirateur", Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos (1741-1803) ne révèle pas seulement sa science mathématique et militaire dans cet élégant jeu échiquéen du désir et de la vanité, où "conquérir" pour "prendre poste" implique toujours "attaque", "manoeuvres", "combat à soutenir", "campagne" et "siège" jusqu'à la "capitulation". Maître ès stratégies littéraires, il augmente la nouvelle édition de 1787 d'un dispositif composé de la préface d'un supposé "rédacteur", de deux avertissements supposés du "libraire", ainsi que sa correspondance avec Mme Riccoboni. Prétendant que ces "lettres recueillies dans une société et publiées pour l'instruction de quelques autres" sont authentiques, se défendant de toute licence, jurant d'avoir voulu instruire les femmes vertueuses, les mères et les jeunes gens des stratagèmes sataniques susceptibles de les perdre, Laclos n'en tient pas moins à défendre bec et ongles la valeur artistique de son livre. Résultat ? Un "message" sciemment brouillé et des lecteurs "baladés" à jamais. Qui est bon et qui est méchant ? La "vertu tigresse" de la sensible Tourvel défaite par l'hystérie et la mort ? Le libertin cynique, vaincu quoique magnifiquement souverain ? Qu'est-ce qui est beau et qu'est-ce qui est affreux ? La passion ? La bêtise ? L'ignorance ? Le préjugé ? Où se situe la morale ? Dans le plaisir des sens ? Le mariage d'amour ? Le couvent ?

Dans ce quintette mortel entremêlant l'oie blanche, l'ingénu libertin, la dévote vertueuse, le "scélérat méthodique" et la femme de tête, Laclos dépasse les types convenus du roman libertin à la mode pour les élever à hauteur d'archétypes. A commencer par celui "simple, grandiose, attendrissant" de la présidente de Tourvel dont il est de notoriété publique qu'il a été inspiré par son épouse, "maîtresse adorable, excellente femme et tendre mère", restée toute sa vie l'objet de son indéfectible amour. Mais surtout, et comme l'a bien vu Malraux dans un fulgurant article paru en 1939 où il théorise son fameux concept d'"érotisation de la volonté", "de tous les romanciers qui ont fait agir des personnages lucides et prémédités, Laclos est celui qui place le plus haut l'idée qu'il se fait de l'intelligence". De fait, il est frappant que Merteuil et Valmont semblent moins jouir des objets de leur désir que de leur intellect et de l'image qu'ils s'en font. Néanmoins, plus intelligente que son complice et rival, qu'elle dirige, conseille et contrôle sans jamais cesser de l'assommer de sa supériorité ("Qu'avez-vous donc fait, que je n'ai surpassé mille fois", lui écrit-elle), le surpassant infiniment par son sens de l'échiquier, sa virtuosité épistolaire, mais surtout son inlassable énergie à se donner les moyens de ses fins, Merteuil se révèle la plus brillante création du livre, inaugurant et clôturant à elle seule un libertinage féminin mâtiné de féminisme sans équivalent dans la littérature.

Dans la brillante "Apologie" qu'il lui a consacrée à l'occasion du bicentenaire de la Révolution, Sollers affirme à juste titre que la gêne provoquée par Les Liaisons "se manifeste dans le désir d'éviter la Merteuil, de tout ramener à la présidente de Tourvel. On oblige le livre à se conformer à la phase romantique qui a suivi. On gomme autant que possible la parodie et le blasphème qu'il accomplit froidement par rapport au sentiment racinien et à l'effusion de La Nouvelle Héloïse. Il faut que l'interprétation aboutisse le plus vite possible aux états d'âme et à l'oppression d'Emma Bovary, à ses tourments comme à ses vapeurs". C'est si vrai que le XIXe siècle n'a pas hésité à condamner le livre à la destruction pour outrage aux bonnes moeurs. Et qu'une bonne part du cinéma du siècle suivant a préféré le tirer vers le drame romantique ou la comédie bon enfant.

Faussement crépusculaires et tout à fait séminales, gageons que Les Liaisons dangereuses nous réservent encore des surprises. N'est-ce pas tout le mal que nous devons nous souhaiter ?
LES LIAISONS DANGEREUSES de Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos. Edition établie, présentée et annotée par Catriona Seth. Gallimard, "La Pléiade", 970 p., prix de lancement : 42 € ; à partir du 1er juillet : 49,50 €.
Cécile Guilbert

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Destin d'un "long-seller"
LE MONDE DES LIVRES | 03.03.11 | 10h28  •  Mis à jour le 03.03.11 | 10h28
Pourquoi publier dans "La Pléiade" une nouvelle édition des Liaisons dangereuses ? Le roman libertin de Choderlos de Laclos est paru dans la prestigieuse collection en 1932, soit un an après son lancement. Il porte d'ailleurs le no 6. Deux éditions des oeuvres complètes de Choderlos de Laclos ont suivi, en 1944 et en 1979, qui font toujours référence. Alors pourquoi ? "Laclos est l'homme d'un seul roman, qui a donné lieu à une réception multiforme d'une ampleur inégalée, précise Hugues Pradier, directeur littéraire de "La Pléiade". Il a tout de suite fait l'objet d'une mode, de suites, il a été interdit par la censure, a inspiré des chansons et de nombreuses adaptations théâtrales et cinématographiques." A ce livre unique correspond par conséquent un traitement exceptionnel, qui retrace toute la carrière sur deux cents ans de ce "long-seller".

"Il ne s'agit pas d'ouvrir une série au sein de la collection. Nous agissons au coup par coup", poursuit l'éditeur, qui a néanmoins en tête une autre oeuvre (pas un roman) pouvant elle aussi faire l'objet d'un "Pléiade" unique - mais, à ce stade, cela reste encore un secret. En 2009, la "Bibliothèque de la Pléiade" a aussi proposé une réédition des oeuvres de Lautréamont, sans les écrits de Germain Nouveau, poète contemporain de l'auteur des Chants de Maldoror dont les écrits avaient été ajoutés dans l'édition de 1970. Pour M. Pradier, "le cas Lautréamont est très différent du cas Laclos. Il s'agit d'un écrivain qui fut en quelque sorte "inventé" par ses grands lecteurs, et ce sont ces lectures successives qui permettent à son oeuvre de traverser les époques".

A bien des égards, ces éditions ressemblent à celles de certains livres de poche "intelligents". La comparaison ne choque pas Hugues Pradier, pour qui ""La Pléiade" est un livre de poche un peu plus durable que les autres".
Alain Beuve-Méry
 

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