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Avec les otages de Brillante

Mendoza

Le 2 mars 2011 à 17h00
Dans son pays, où la violence est omniprésente, le cinéaste philippin réalise "Captured". Une histoire vraie d'enlèvement, qu'il tourne dans un climat permanent d'incertitude et de chaos. N'hésitant pas à piéger ses acteurs. Parmi les otages, une certaine Isabelle Huppert…
Brillante Mendoza a soigné son casting, mélangeant acteurs professionnels et amateurs. Au premier plan, un jeune homme de la province de Mindanao, où opèrent les rebelles d'Abou Sayyaf. Le cinéaste l'a choisi pour sa connaissance du dialecte de la province et des usages musulmans. Et parce qu'il fut, lui même, à deux doigts de rejoindre la lutte armée. / Photo : Kate Barry
Manille est un tumultueux dédale qu'on traverse sans rien comprendre. Les embouteillages monstres s'étendent à l'infini, les policiers, armés jusqu'aux dents, ont le geste vague et l'air ailleurs, le vacarme et la tension résonnent sous la chape d'un ciel bas et cotonneux. Un 4 × 4 aux vitres fumées nous tire de là pour filer, par une route serpentant entre les baraquements, jusqu'à un vaste ranch qui mord sur la jungle, près de cascades grandioses où Francis Ford Coppola tourna Apocalypse now. L'imposant chauffeur rasé, aux allures de bad boy, marmonne un dialecte indé­chiffrable et ne lâche aucune information. Les grilles s'ouvrent sur une propriété vallonnée où des autruches pelées s'ébattent péniblement dans la nuit moite.

Quelques étranges insectes planent autour d'une piscine où le maître des lieux a fait dessiner, sur le carrelage bleu lagon, ses initiales en lettres majuscules. On finit par apprendre qu'il s'agit du « président » Joseph Ejército Estrada, ancienne star de cinéma, joueur et séducteur impénitent, qui occupa le pouvoir de 1998 à 2001, avant d'être brutalement débarqué pour corruption et de se retrouver assigné à résidence ici, parmi les autruches et les chevaux, auxquels il semble vouer une passion sans borne. Il s'est représenté en 2010 lors d'élections ordinairement mouvementées, qui ont coûté la vie à une centaine de personnes (dont une trentaine de journalistes). Aux Philippines, les sombres combines et l'extrême violence font partie du paysage. Avant d'être élu, Joseph Estrada a joué dans Les Frères Vendetta, Patrouille de tueurs, Rançon, Panique... Et le jour de son anniversaire, en 2001, les terroristes islamistes d'Abou Sayyaf, qui sévissent au sud du pays, ont offert au président les têtes de deux de leurs otages décapités.

Par une drôle d'ironie toute philippine, les hommes d'Abou Sayyaf sont déployés, ce soir, au bar de la piscine présidentielle. Les kalachnikov sont posées, entre les tables, aux pieds de (faux) terroristes en treillis et d'otages aux traits tirés. Le domaine du président est, pour quelques jours, le camp de base du cinéaste Brillante Mendoza, qui fait du chaos et de l'âpreté du pays son carburant et son sujet d'étude. Après Kinatay (Prix de la mise en scène à Cannes, en 2009) et Lola, qui sondaient le choc de crimes atroces sur les vies ordinaires, il s'attaque avec Captured, son film le plus ambitieux à ce jour, à un sujet ultra sensible : la prise d'otages, sport national très pratiqué. Ce phénomène de violence politique, enfanté par les luttes d'indépendance de la communauté musulmane des îles du Sud, s'est peu à peu transformé en business et s'est propagé, en trafic miséreux, aux quatre coins du pays. « Des amis m'ont dit que j'étais inconscient de m'attaquer à un sujet pareil », confie l'affable cinéaste, que rien ne semble affoler.

Mendoza s'est lancé dans la réali­sation en 2005, à 45 ans ; sept films ont vu le jour depuis ; et, dans la frénésie, il ne recule devant rien. Tenu à bout de bras par un producteur français, Didier Costet, son cinéma, d'un réalisme brut de brut, prend la misère et l'injustice à bras-le-corps. Avec le souci constant de déranger le spectateur, il se lance sans cesse de nouveaux défis artistiques. « La seule condition de l'indépendance, dit-il, c'est d'évoluer en permanence. » Son pari 2011 est le plus risqué : une épopée acrobatique de trois semaines et quelques centaines de kilomètres sur les traces d'une fameuse prise d'otages, en 2001, à la fin du règne Estrada. Le film avance sur des charbons ardents et voyage au rythme heurté de la traque sanglante. Quand on les rencontre, à mi-chemin, les acteurs de cette équipée ont déjà l'air pas­sablement usés.

“Brillante Mendoza agit comme si
le cinéma n'avait pas existé
avant lui.”
(Isabelle Huppert)

Parmi eux, la vedette inattendue du film, Isabelle Huppert, dans un rôle d'otage, cherche (ou renonce) à trouver ses marques dans les désordres surréalistes et imbriqués des Philippines et du cinéma de Mendoza. « Il faut lâcher totalement prise, dit-elle. Ou repartir tout de suite. » Après avoir tourné avec ­Rithy Panh au Cambodge et Claire Denis en Afrique, Isabelle Huppert s'est lancée dans cette aventure très exotique par intérêt pour l'auteur de Kinatay. Elle lui avait décerné, elle-même, le Prix de la mise en scène à Cannes, l'année où elle présidait le jury, mais semble encore étonnée, et déroutée, par ce qu'elle découvre : « La formule peut sembler éculée, mais j'ai sans cesse le sen­timent que Brillante invente son propre langage cinématographique. Il se moque réellement des conventions, fait comme s'il ignorait tout de la grammaire et de la logique des raccords. Il agit comme si le cinéma n'avait pas existé avant lui, comme s'il n'y avait pas de modèles ou de références. » Les audaces qui l'avaient épatée dans Kinatay, les embardées d'une mise en scène sur le vif poussent aujourd'hui l'actrice vers des situations inédites où elle ne maîtrise pas grand-chose. Otage con­sentante, elle se retrouve dépouillée d'à peu près tout. De son statut de star comme de son expérience. « Mendoza joue beaucoup sur le fait que nous sommes pris dans un tumulte permanent. Un mélange de bruits, de frénésie et de cris où la langue locale agit comme un brouillard persistant. Dans un désordre très élaboré, il nous mène vers des états de grande incertitude et de grande fatigue. » La science du jeu est à peine un secours. Le cinéaste ne fait pas répéter les scènes. Il demande rarement qu'on les reprenne. « Il faut laisser de côté nos habitudes, poursuit Huppert. Les personnages ne se construisent pas de manière classique, dans la psychologie ou la dramatisation, mais dans la réaction pure, l'immédiateté et le risque. Je sais à peine où sont les caméras, et, parfois, il nous piège. Tout est tourné très vite. En une prise. Comme pour un documentaire. »
Le tournage dure trois semaines, et voyage dans la jungle, à pied ou en bateau. Brillante Mendoza ne dort que trois heures par nuit et règle tous les détails. « Tout est calculé en fonction de cette dépense d'énergie, dit Isabelle Huppert. Il serait impossible de tenir plus longtemps sur ce rythme. »   / Photo : Kate Barry
Près du domaine du président s'étend une vaste base de l'armée. On y tourne une scène de nuit tropicale, à l'ombre d'une végétation exubérante évoquant Basilan, l'île du Sud dont les terroristes ont fait leur sanctuaire. Ceux-ci se réfugient, ce soir, dans un hôpital, où ils doivent encaisser une rançon grâce à la médiation bienveillante d'une huile gouvernementale. L'air est chargé d'électricité. On ne sait si les soldats dorment ou s'ils se tiennent en embuscade. Les acteurs qui interprètent les ravisseurs ignorent tout de ce qui les attend. Aucune information ne leur parvient sur le dérou­lement du scénario. « Ça nous rend nerveux, dit l'un d'eux, Pipo Alfad III, musulman de Jolo, qui fut à deux doigts de rejoindre la lutte ­armée quand il était adolescent. La seule chose que nous demande Mendoza, c'est de rester toujours dans notre personnage. Mais on ne sait pas ce qui va arriver. C'est déstabilisant. Nous en parlions entre nous au dîner, nous ne savons pas si nous allons être attaqués, et, si oui, lesquels d'entre nous vont tomber sous les balles. » Les otages avancent aussi dans le brouillard. Le cinéaste a formé un groupe hétéroclite d'acteurs de métier et de non-professionnels. De Philippins et d'étrangers, comme Isabelle Huppert, membre d'une ONG catholique, mais aussi un homme d'affaires péruvien et un couple d'Anglais jouant des Américains qui fêtaient en 2001 leur anniversaire de mariage dans la station balnéaire où les terroristes ont surgi.

A l'hôpital, les otages arrivent serrés comme des bêtes dans un Jeepney, une de ces anciennes Jeeps de l'armée américaine, moyen de transport en commun usuel des Philippins. Ils sont encordés les uns aux autres, et le cinéaste les réunit pour un rapide briefing. « Essayez juste de fonctionner comme un groupe et d'arriver jusqu'à la porte de l'hôpital... » Ses consignes sont données en anglais et en tagalog, une langue du pays. Elles ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Certains ignorent que d'autres ont pour mission de faire tomber le groupe. Les terroristes hurlent, le chaos est total, et la panique, réelle. Mendoza touche au réalisme hystérique, aux réactions de bêtes traquées qui font le cœur de ses films sur une humanité prise dans l'étau. Première de cordée, Isabelle Huppert observe la scène avec l'air perdu, visage blême que le cinéaste guette à chaque prise. La fatigue est en elle ; elle semble abattue, mais non vaincue. Ses compagnons sont parfois gagnés par la détresse. On en croisera plus tard, dans un couloir, effondrés sur un lit d'hôpital. « Drôle d'expérience, lâche Kathy Mulville, responsable anglaise d'une ONG basée aux Philippines, qui interprète une otage américaine. Je n'aurais jamais pensé faire l'actrice dans ma vie. J'ai rencontré Mendoza lors d'un dîner cet hiver, j'ai fait quelques essais et je me suis retrouvée, un jour, à 7 heures du matin, à un carrefour de Manille où un bus est venu nous ramasser. On nous a conduits dans une chambre d'hôtel, on nous a dit que quelqu'un viendrait frapper, et, en fait, des types qu'on ne connaissait pas sont entrés brutalement. C'était réellement terrifiant, et, depuis, on ne fait que réagir à de nouvelles épreuves. On essaie de découvrir qui sont nos compagnons d'infortune et qui sont nos ravisseurs. On est tellement bousculés, trim­ballés, réduits à néant, qu'on ne peut que chercher à comprendre. » C'est avec cette curiosité et cette observation constante que Mendoza a su la convaincre de participer à son film : « Il s'est abondamment documenté et il cherche à décrire et humaniser les personnages des deux camps. Il n'y a rien de partial dans sa démarche. Il ne cherche qu'à s'approcher au plus près d'une réalité, et j'ai le sentiment qu'à travers nous il y parvient. »
Au premier rang des personnages, en compagnie d'Isabelle Huppert, Rustica Carpio, grande actrice philippine qui jouait déjà dans Lola, de Brillante Mendoza. A 80 ans, elle endure les trois semaines de tournage, de tension et de crapahutage avec une affabilité de tous les instants. « Avec ça, on aurait mauvaise grâce à se plaindre », dit Huppert. / Photo : Kate Barry
Le fil semble parfois si ténu entre réalité et fiction que personne n'est jamais tout à fait tranquille. Les militaires qui stationnent autour du plateau sont-ils ou non des comédiens ? Qui sont ces nouveaux terroristes, masqués par leur chèche, qui viennent prendre la relève ? Et, au fait, qui assure vraiment la sécurité du tournage ? « Certains jours, raconte Isabelle Huppert, je vois arriver des types armés et effrayants que je n'ai pas vus la veille, je ne peux m'empêcher de me dire : "Ceux-là sont des vrais !" Je ne sais pas ce qui peut se passer ici, ça m'inquiète parfois et puis j'oublie... » Et si toutes les balises étaient clairement posées, les certitudes se déroberaient encore. Depuis que la violence politique entre chrétiens et musulmans, entre séparatistes et forces gouvernementales, s'est installée au Sud du pays, dans la région de Mindanao, la situation s'est faite toujours plus opaque. A certaines époques, les chrétiens ont formé de terrifiantes milices, comme celle du « kumander » Aureliano, qui se disait invulnérable aux balles et promettait de tuer au moins un musulman par jour. Des « Afghans » ont organisé des camps et promu la guerre sainte, avant de se laisser séduire par le fructueux business du kidnapping. L'armée et les politiciens ont joué un rôle de plus en plus trouble : « Quand j'ai été libérée, je n'étais sûre que d'une chose : mes ravisseurs avaient un pied dans la rébellion et l'autre dans l'armée... », raconte ­Arlyn de la Cruz, ancienne otage et journaliste, qui joue dans Captured et qui a aidé Mendoza dans ses recherches. « J'espère que j'arriverai à éclairer les motivations et les interrogations des protagonistes, dit le cinéaste. Et à faire saisir le degré de trouble et de manipulation qui existe à l'arrière-plan. »

Brillante Mendoza dort à peine trois heures par nuit et reste toujours sur la brèche, persuadé que « Dieu est dans les détails ». Captured, que l'on découvrira sans doute à Cannes, est tourné avec l'urgence d'un reportage. « Ce n'est pas pour autant un film d'actualité, dit Mendoza, ni un sujet qui resterait borné au cadre des Philippines d'aujourd'hui. » Les terroristes d'Abou Sayyaf ne se manifestent pas beaucoup ces temps-ci. Est-ce une trêve ou le calme avant la tempête ? Courent-ils moins après les rançons parce que la lutte retombe ou parce qu'ils reçoivent des subventions de l'étranger ? Le cinéaste n'apportera pas de réponse. Dans les premiers plans, qu'il nous montre un soir sur son ordinateur, il filme la jungle comme un somptueux paradis où rôdent des fantômes. Pour lui, c'est la violence elle-même qui reste un profond mystère.
Isabelle Huppert n'a pas hésité une seconde à se lancer dans cette aventure avec Brillante Mendoza, à qui elle avait remis le Prix de la mise en scène à Cannes en 2009. Elle a été aussi séduite que bousculée par ses méthodes de tournage « à l'arraché ». « Après ça, raconte-t-elle, notre manière classique de travailler va presque me sembler saugrenue. » / Photo : Kate Barry
Laurent Rigoulet
Télérama n° 3190

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