第十一天:2010 年 1 月 22 號
L'ONU lance un programme "argent contre travail" pour reconstruire Haïti
LEMONDE.FR avec AFP, Reuters et AP |
L'ONU va lancer un programme consistant à donner du travail à des Haïtiens pour reconstruire leur pays, dévasté par le séisme du 12 janvier. Ce projet, appelé "argent contre travail" (cash-for-work), prolonge une initiative expérimentale des Nations unies qui a déjà permis d'employer 400 Haïtiens pour aider au transport et à la distribution de l'aide humanitaire. Le programme, doté jusqu'ici de cinq millions de dollars provenant du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), et du gouvernement espagnol, doit permettre aux Haïtiens de percevoir cinq dollars par jour, sur une période de deux semaines, pour participer aux travaux de déblaiement, de nettoyage et de reconstruction après le séisme et ainsi "contribuer à revigorer leur économie", selon M. Ban.
Le but est d'employer ainsi 220 000 personnes, ce qui permettrait à un million de personnes, si l'on compte leur famille, d'en bénéficier indirectement, ont précisé des responsables onusiens. Les efforts se concentreront dans un premier temps sur un quartier du sud de Port-au-Prince, Carrefour-Feuilles, avant d'être mis en place dans d'autres villes touchées par le séisme, dont Léogâne et Jacmel.
Le PNUD a lancé un appel de fonds d'urgence de 41 millions de dollars pour alimenter le programme, pour lequel la réponse internationale se fait attendre. "Nous espérons recevoir des contributions généreuses", a déclaré, jeudi, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, qui a reçu l'appui de l'ex-président américain Bill Clinton, son émissaire spécial pour Haïti, pour ce dispositif. "J'ai demandé au président Clinton s'il pouvait œuvrer en faveur de ce programme appelé 'argent contre travail' (cash-for-work)," a déclaré M. Ban lors d'une conférence de presse commune. "Je suis heureux qu'il se soit engagé à travailler avec l'ONU là-dessus".
Le chef de l'ONU et M. Clinton se sont rendus séparément à Port-au-Prince ces derniers jours, pour évaluer les dégâts causés par le séisme, qui a ravagé la ville et fait au moins 75 000 morts. L'ancien président américain a qualifié le programme de "vraiment important", ajoutant que les Etats-Unis avaient "beaucoup d'expérience dans ce domaine au Proche-Orient et en Afghanistan".
"Il est vraiment important de donner aux gens quelque chose à faire de positif et nombreux sont ceux là-bas qui veulent prendre part à la reconstruction de leur pays", a souligné M. Ban. Il a également indiqué avoir discuté avec M. Clinton des moyens d'améliorer l'acheminement de l'aide humanitaire d'urgence aux victimes du tremblement de terre, de renforcer la sécurité, ainsi que des projets pour la reconstruction d'Haïti sur le long terme. Il a indiqué qu'il dépêcherait son adjoint chargé des affaires humanitaires, John Holmes, et la directrice du PNUD, Helen Clark, à une conférence ministérielle des pays donateurs lundi à Montréal, au Canada, qui doit aussi préparer une future conférence internationale sur la reconstruction d'Haïti proposée par la France.
Port-au-Prince lance un vaste programme de relogement
LEMONDE.FR avec AFP |
Les autorités haïtiennes ont annoncé leur volonté, jeudi 21 janvier, de reloger quelque 400 000 rescapés du séisme du 12 janvier dans des nouveaux villages, qui seront édifiés en dehors de la capitale du pays, Port-au-Prince. Chaque village pourrait accueillir 10 000 personnes.
Dans un premier temps, a précisé le ministre de l'intérieur, Paul Antoine Bien-Aimé, 100 000 survivants seront conduits dans une dizaine de villages de tentes. Pour ce faire, le gouvernement a d'ores et déjà réquisitionné une trentaine de bus pour transporter les sinistrés vers le nord et le sud de la ville. La destination finale des déplacés n'est pas clairement connue, mais les autorités ont déclaré avoir commencé à repérer des lieux d'accueil, en collaboration avec les maires de tout le pays.
L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a déclaré jeudi qu'au moins un demi-million de personnes vivaient actuellement dans des camps improvisés dans les rues de Port-au-Prince. La plupart vivent sous des abris fabriqués avec des draps, des couvertures, du carton et des débris. D'autres se sont abrités sous des tentes distribuées par les autorités haïtiennes et les forces américaines. "A l'heure actuelle, précise un porte-parole de l'OIM, 447 campements improvisés, hébergeant 500 000 personnes, ont été localisés dans la capitale, et 350 d'entre eux sont supervisés par le gouvernement haïtien et les organisations humanitaires ."
Survivre dans un camp de fortune à Port-au-Prince dévasté par le séisme
LE MONDE |
Port-au-Prince, envoyé spécial
Chaque jour, les réfugiés du camp planté devant l'aéroport Toussaint-Louverture de Port-au-Prince, voient passer des dizaines d'avions, venus du monde entier, chargés de nourriture, de médicaments ou de tentes. Mais dans leurs abris de fortune, à quelques centaines de mètres des gros-porteurs, il n'y a presque aucune trace de l'élan de solidarité internationale. Neuf jours après le tremblement de terre, ces sinistrés de la capitale haïtienne dorment toujours à même le sol et le ventre creux. "Je n'arrive pas à comprendre", explique Cancol Milcon, un habitant du camp, membre du Comité secours de Mais Gaité.
"Peut-être que les organisations pensent que, parce qu'on est à côté de l'aéroport, on a déjà tout", avance Josselin, son "collègue". "Mais on nous néglige, on n'a presque rien, confirme-t-il. Nous ne sommes même pas à l'abri du soleil ou de la pluie", s'exclame Josselin. "Il y a seulement quatre toilettes dans cette zone, elles sont pleines et on n'a pas nettoyé", ajoute Cancol. Quatre sanitaires pour 3 500 personnes, dont 665 chefs de famille, comptés et recensés dans un petit cahier
NOURRITURE HORS DE PRIX
En se promenant dans les allées poussiéreuses du camp de bric et de broc, Josselin soulève une bâche au ras du sol d'où émergent trois petites têtes souriantes. Vous avez assez à manger ? "Non, on n'a rien", répondent les garçons en chœur. Périodiquement, le vrombissement des avions et des hélicoptères couvre les voix.
Dans la famille de Josselin, il y a sept personnes. Leur tente, minuscule, est réservée pour "les plus petits, les plus fragiles". Lui et sa femme dorment dehors. Dans un coin, des adolescents désœuvrés jouent à lancer un bâton dans un panier de basket.
En bordure du camp, au-dessus de la route congestionnée de l'aéroport, des femmes vendent quelques oignons, des carottes, des aubergines et des bonbons. Pas une seule trace des denrées estampillées qu'on retrouve dans les camps de réfugiés du monde entier. La nourriture est relativement abondante, mais elle est hors de prix. Du riz avec de la sauce de pois, un plat courant qui coûte 50 gourdes (0,65 euro) en temps normal, coûte aujourd'hui 125 gourdes (1,62 euro).
"On n'a pas d'argent", explique Josselin. Quelques banques ont réouvert. Des foules se pressent devant les compagnies de transfert d'argent, grâce auxquelles la diaspora maintient le pays sous perfusion.
CAMIONS DE VIVRES REPARTIS PRÉCIPITAMMENT
"Nous avons tous soif et l'aide venant des Etats-Unis n'a pas encore été distribuée", se plaint Jeff Alexis, 22 ans, les yeux pleins de colère. Le jeune homme raconte comment les camions venus distribuer des vivres, la veille, sont repartis précipitamment lorsque les habitants du camp, anxieux, ont tenté de se servir sans attendre la distribution. Lui se dit "bibliophile" et passe le temps en lisant un livre élimé. Il s'en remet "à la volonté de Dieu" et à son père, qui vit au Canada, mais ne "cherche pas à savoir " comment il va.
"Ma mère se trouve en France", dit une jeune fille, qui a écrit sur sa main un numéro de portable français. Après le bip d'une messagerie anonyme, elle se laisse aller : "Ma maman, par la grâce de Dieu, je suis saine et sauve. Viens me chercher. Ils sont tous morts, je suis toute seule." Plus loin, une femme, mains sur les hanches, s'emporte. "J'ai perdu mon enfant. J'ai besoin de nourriture pour mes enfants.". "J'ai faim, j'ai faim", se lamente un homme, en soulevant son tee-shirt.
Dans le camp, des employés de la Croix-Rouge espagnole qui distribuent de l'eau sont la seule présence internationale. "Il est assez difficile de voir que toute cette aide arrive pendant qu'eux continuent de vivre dans des conditions précaires", admet Cristina Castillo, une secouriste. "On a encore beaucoup à faire mais on est là, on fait de notre mieux, et on a essayé de faire passer le message" ajoute-t-elle, expliquant qu'il y a "tant de besoins qu'il est difficile d'avoir de l'aide partout".
Les avions, qui se succèdent à une cadence infernale, n'exacerbent-ils pas les frustrations des habitants du camp ? "Non, on se réjouit de voir le bon cœur de la communauté internationale, ça nous fait du bien ", exlique Josselin. "Il n'est jamais trop tard pour bien faire", ajoute Cancol, magnanime.
Philippe Bolopion
Article paru dans l'édition du
Analyse
Catastrophes et pauvreté, la double peine, par Pierre Le Hir
LE MONDE |
Face aux colères de la nature, les peuples ne sont pas égaux. Le séisme qui vient de terrasser Haïti en apporte une nouvelle et tragique illustration. S'il a été aussi destructeur - la moitié des bâtiments de la région de Port-au-Prince effondrés, un tiers des constructions de la capitale écroulées, d'autres villes dévastées à 90 % - et aussi meurtrier - au moins 75 000 morts selon les autorités haïtiennes, le double ou le triple peut-être -, ce n'est pas tant en raison de la force de la secousse que de l'extrême vulnérabilité de la République des Caraïbes. Vulnérabilité de ses habitations et de ses édifices publics, vulnérabilité de ses infrastructures collectives. Ce n'est pas faire injure à la souffrance et au courage d'une communauté si durement éprouvée que de rappeler que 70 % de la population urbaine vit dans des bidonvilles et que 78 % des Haïtiens survivent avec moins de 2 dollars par jour.
Lors d'un récent colloque sur le risque sismique, trois chercheurs, Denis Hatzfeld, géophysicien à l'université Grenoble-1, James Jackson, directeur du département de géologie de l'université de Cambridge (Royaume-Uni), et Brian Tucker, président de l'ONG américaine GeoHazards International, ont présenté une communication édifiante. Elle montre, avec la froide cruauté des statistiques, que le nombre de victimes des tremblements de terre n'est pas lié à l'activité sismique, ni même à la densité de population, mais à la richesse. Ou plutôt à la pauvreté.
Les chercheurs ont recensé tous les séismes survenus depuis 1900, en comparant les pertes humaines. Résultat : alors que les régions sismiques les plus actives sont le pourtour de l'océan Pacifique et la chaîne alpine-himalayenne, les secousses ayant fait plus de 10 000 morts ont touché principalement l'Asie et l'Amérique latine, ceux qui ont fait plus de 100 000 morts étant tous localisés en Asie. "Les séismes sont beaucoup plus meurtriers dans les pays pauvres que dans les pays développés qui ont appris progressivement à s'en protéger", constate Denis Hatzfeld.
Rapportés à la population, les chiffres sont encore plus éloquents. Sur 1 million d'habitants, le risque annuel de mort par séisme est de 92 en Arménie, 41 au Turkménistan, 29 en Iran et 25 au Pérou, alors qu'il n'est que de 0,6 en Californie (pourtant située sur une faille très active), et de 0,008 en France (où la sismicité est faible). "Un écolier a 400 fois plus de probabilités de mourir dans un tremblement de terre à Katmandou qu'à Tokyo", pointent les chercheurs. Autrement dit, "les pays à fort risque sont tous à faible produit national brut (PNB) par habitant".
Ce constat vaut pour l'ensemble des catastrophes naturelles. Au cours des deux dernières décennies, les dérèglements de la nature ont tué plus de 2 millions de personnes, et 98 % d'entre elles vivaient dans des pays à faibles ressources. Ainsi, alors que les Philippines et le Japon essuient peu ou prou le même nombre de typhons, ceux-ci font 17 fois plus de victimes dans l'archipel du Pacifique que dans l'archipel nippon. Une terrible fracture qui se retrouve dans le coût économique de ces désastres. "Les pertes dues aux catastrophes naturelles sont vingt fois plus importantes (en pourcentage du produit intérieur brut) dans les pays en développement que dans les pays développés", note la Banque mondiale.
Rien ne laisse espérer que cette inégalité devant les aléas naturels s'estompe, bien au contraire. D'abord, parce que la croissance démographique se fait surtout dans les pays en développement, au sein de mégalopoles que leur densité rend plus vulnérables. Ensuite, parce que le changement climatique, s'il n'entre pas en jeu dans les séismes ou les tsunamis, va accentuer les phénomènes météorologiques extrêmes - précipitations et inondations d'un côté, sécheresses de l'autre - et, sans doute, provoquer des cyclones plus violents. Or les pays pauvres sont aussi les plus menacés par ce bouleversement.
Une étude du cabinet britannique Maplecroft montre que les pays les plus exposés à "un risque extrême", du fait du réchauffement, sont la Somalie, Haïti, l'Afghanistan et la Sierra Leone. Sur les 28 pays les plus en danger, 22 sont situés en Afrique subsaharienne. De son côté, la Banque asiatique de développement a averti que la fonte des glaciers de l'Himalaya met en péril l'approvisionnement en eau de 1,6 milliard d'habitants d'Asie du Sud : une région qui concentre la moitié des personnes en situation de "pauvreté absolue" dans le monde.
Que faire ? "Il existe des moyens éprouvés pour éviter les morts et minimiser les dégâts subis par les maisons, les écoles, les hôpitaux, les routes et les récoltes", plaide Olav Kjorven, l'un des responsables du Programme des Nations unies pour le développement. Les pays riches ont appris à construire des bâtiments parasismiques qui, s'ils ne garantissent pas une sécurité absolue, épargnent des vies.
GeoHazards International propose ainsi que 10 % des sommes consacrées à la reconstruction d'Haïti soient affectées à la prévention du risque sismique. Le prix à payer pour que l'apparente fatalité des calamités naturelles ne demeure pas une malédiction de la pauvreté.
Article paru dans l'édition du
Point de vue
Ce que l'histoire d'Haïti nous enseigne, par François Blancpain
LEMONDE.FR |
L'Histoire peut nous apporter quelques éléments de réflexion pour la reconstruction d'Haïti. Ce pays est issu d'une révolte d'esclaves qui a atteint son paroxysme et a triomphé du colonisateur français en 1803, lorsque Bonaparte voulut rétablir l'esclavage que la Convention avait aboli en 1794. La nouvelle République d'Haïti, proclamée le 1er janvier 1804, fut mise au ban de toutes les nations, toutes esclavagistes à cette époque. La France fut la première à reconnaître cette indépendance en 1825, sous forme d'une ordonnance de Charles X qui imposait une indemnité de 150 millions de francs destinée à indemniser les colons. L'indemnité fut ramenée, après négociation, à 90 millions en 1838. Les Etats-Unis ne reconnurent l'indépendance d'Haïti qu'en 1865, à l'époque de la guerre de Sécession. Car, auparavant, les Etats du Sud n'auraient pu tolérer la présence d'un ambassadeur noir venant présenter ses lettres de créances à la Maison Blanche. Pendant tout le XIXe siècle, Haïti vécut en paix avec la France et les Etats-Unis. La France exerçait le contrôle financier du pays par le moyen de la Banque d'Haïti qui était la seule banque du pays, filiale à 100 % d'une banque française et titulaire des privilèges d'émission de la monnaie locale ainsi que trésorier du gouvernement. Il arriva, principalement tout à la fin du siècle, que ces privilèges furent cause de scandales financiers dans lesquels les principaux membres du gouvernement ainsi que les directeurs de la banque furent impliqués. Cependant, le pays vivait honorablement de l'exportation du café et de ses cultures vivrières qui faisaient vivre ses quelque 2 millions d'habitants.
En 1915, les Etats-Unis occupèrent militairement le pays et lui imposèrent un régime de protectorat. Trois raisons à cela :
- Faire cesser des troubles politiques et sociaux qui dépassaient largement les normes habituelles dans le pays. En effet, entre 1911 et 1915, six présidents se succédèrent, le dernier assassiné par la foule dans la résidence-même de l'ambassadeur de France qui lui avait donné asile.
- En conséquence de ce qui précède, éviter de créer une zone de troubles alors que l'Europe est en guerre et que l'on vient d'inaugurer le canal de Panama.
- Profiter de l'absence de la France pour se substituer à elle dans le contrôle financier d'Haïti.
Le protectorat dura dix-neuf ans de 1915 à 1934. Au cours des premières années, il fut très mal supporté par les paysans haïtiens qui se révoltèrent parce que les Américains avaient accaparé des terres agricoles et rétabli la corvée pour l'entretien des routes, et par l'oligarchie qui se trouvait privée des prébendes politiques et s'offusquait du comportement raciste et autoritaire de certains fonctionnaires américains, généralement de qualité médiocre.
A partir de 1922, les choses s'améliorèrent. Le personnel américain fut renouvelé dans le sens d'une meilleure qualité. La révolte des paysans avait été matée. Une bonne partie de la bourgeoisie accepta de coopérer pour la modernisation du pays. Il y eut, certes, des progrès notables : équilibre des comptes publics ; développement des infrastructures publiques (routes, hôpitaux, écoles, etc.) ; création d'une gendarmerie moderne et efficace qui remplaçait une armée d'opérette, etc.
Mais peu à peu, la situation se dégrada. D'une part, les tentatives de modernisation du monde paysan, très majoritaire, se firent de façon impérative, pour ne pas dire autoritaire, c'est-à-dire sans concertation et sans adhésion sincère des paysans, de sorte que tout redevint comme avant sitôt les Américains rembarqués. D'autre part, la gendarmerie s'érigea en arbitre des conflits entre candidats à la présidence. Et on eut à plusieurs reprises des juntes de généraux entre deux mandats de président. Il va sans dire que ces juntes n'étaient pas indifférentes quant au choix du nouveau président.
Mais le plus grave était à venir au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. A partir de 1957, élection de Duvalier. On entre dans un cycle de dictatures sanguinaires et prévaricatrices. L'accroissement de la population s'accélère : on atteint aujourd'hui huit millions d'habitants (non compris la diaspora), ce qui est insupportable dans un pays dépourvu d'infrastructures publiques suffisantes, sous-administré, peuplé en grande partie d'illettrés, sans industries et ravagé par la déforestation.
J'en déduis que la reconstruction du pays ne doit pas être confiée à la classe politique qui n'en a pas la compétence technique ; qu'il ne faut pas rééditer l'erreur de l'occupant de 1915 à 1934, c'est-à-dire tout diriger de façon autoritaire, comme le faisaient les colonisateurs européens en Afrique au cours du XIXe siècle.
Ne pas confier à la classe politique les dons de la communauté internationale. Un demi-siècle de dictatures l'a trop fortement déconsidérée, mais, cependant, on ne peut pas la priver de gérer les fonds des deniers publics provenant des impôts, sous peine d'instaurer un régime colonialiste qui serait inacceptable pour les Haïtiens et pour la plupart des pays étrangers.
Ne pas confier aux Etats-Unis seuls la direction des opérations car le souvenir de l'occupation de 1915 à 1934 est encore présent dans les esprits, comme un régime qui, bien qu'ayant apporté un progrès sur bien des points, constitue néanmoins une grave blessure à l'amour-propre national.
Il faut trouver une formule qui associe les principaux bailleurs de fonds, le gouvernement haïtien, les représentants des principales associations économiques industrielles, commerciales et agricoles. Ensemble, ils établiraient la nature et l'urgence des travaux à entreprendre, la répartition des frais entre ce qui est apporté par des dons extérieurs et ce qui est financé par le gouvernement (pour autant qu'il puisse financer autre chose que les charges courantes de fonctionnement, ce qui est peu probable). Le président de la République d'Haïti présiderait cet organisme.
Le maniement des fonds (appels d'offres, contrats, contrôle des travaux, comptabilité, paiement des factures) serait fait par l'ambassade de chacun des bailleurs de fonds, soit par un organisme ad hoc nommé par le secrétaire général de l'ONU.
Toute référence de la part des Haïtiens, soit à l'indemnité de 1838, soit à la blessure d'amour-propre due à l'occupation américaine, serait totalement et fortement improductive quant aux tâches de la reconstruction.
Une de ces tâches devrait être, d'une part la restauration des forêts et, d'autre part, l'organisation d'un système de contrôle des naissances, comme le fait la Chine, car le pays n'a pas les moyens économiques de faire vivre décemment huit millions d'habitants.
François Blancpain est diplômé de l'Ecole nationale de la France d'outre-mer. Auteur de Haïti et les Etats-Unis 1915-1934 - histoire d'une occupation, L'Harmattan, 1999, Un siècle de relations financières entre Haïti et la France (1825-1922), L'Harmattan, 2001, et Etienne de Polverel, libérateur des esclaves de Saint-Domingue, éditions les Perseides, à paraître en février 2010.
Point de vue
Haïti, pays-roseau, par frère Francklin Armand
LEMONDE.FR |
Le monde moderne a connu quatre grandes révolutions : américaine en 1776, française en 1789, Saint-Domingue en 1804 et russe en 1917. Mais celle de Saint-Domingue complète et couronne la révolution de 1789 en intégrant la femme et l'esclave.
Un ramassis d'esclaves arrachés d'Afrique et transplantés sur ce coin de terre a eu le génie de créer son véhicule de pensée (le créole haïtien), parlé par 100 % des Haïtiens, sa propre religion traditionnelle et originale (le vaudou haïtien), sa manière originale de vivre en famille.
Au lendemain de sa libération de l'esclavage, l'Haïtien a deux pays forgés sur un même territoire : l'un, à la manière de l'Europe et l'autre, à la manière de l'Afrique. Deux sociétés se chevauchent parallèlement avec deux modes de pensée, deux cultures. Sciemment, volontairement, nous avons produit ce pays. Mais malheureusement, il sera vite pris en otage par l'armée et la bourgeoisie locale. Ce coin va être transformé en une société d'apartheid ou baïonnettes et fusils feront la loi et le beau temps. "Konstitusyon se papye, bayonet se fe."
Je ne veux pas être méchant, ce n'est pas non plus le moment de l'être ; "sois gentil quand même, Francklin". Mais je me demande, si au départ, nos aînés, que je respecte, ne confondaient pas la notion même de la liberté. La liberté pour le nouvel homme libre ne signifiait-elle pas : avoir d'autres esclaves à son compte ? Aime Césaire écrit ceci : "Un pays est comme un arbre planté, c'est un mûrissement, une chaîne conçue anneau par anneau" ; mais les circonstances historiques, que je ne veux pas évoquer ici, font que nous avons mis en place un pays improvisé, "dans les airs". Nous avons raté la révolution industrielle, la révolution verte et, face à la mondialisation, que comptons-nous faire ? Cette catastrophe naturelle, qui s'abat sur nous au seuil de l'année 2010, peut-être un point de départ et une opportunité abyssale pour Haïti car toute crise est signe de croissance.
Pour avoir eu la chance de séjourner à Hiroshima, au Japon, et dans le désert du Sahara au Maghreb il y a moins de quatre ans, je ne veux pas laisser tomber les bras. Je demande solennellement à tous les Haïtiens, hommes et femmes, de se mettre immédiatement au travail pour reconstruire le pays. Nous sommes capables et nous devons le faire. Nous n'avons pas perdu une guerre mais une bataille. C'est vrai, le fait n'est pas inédit, le pays a connu des séismes de cette amplitude en 1778 et en 1842. Mais, à part quelques secousses sismiques de faible intensité, les catastrophes qui nous sont familières sont les cyclones qui touchent les petits pays, les pauvres des bidonvilles. Mais dans le cas de ce séisme d'aujourd'hui c'est l'élite intellectuelle, économique, ecclésiale et politique qui est majoritairement atteinte. Et c'est pour cette raison que la diaspora et la jeunesse haïtienne, qui représente plus de 60 % de la population, ont un rôle cardinal, urgent et indispensable à jouer.
Je savais que mon pays était aimé par tous les autres pays de la Terre mais la manifestation qui se dégage en notre faveur me sidère et me touche profondément. Reconstruisons, "reconstruisons" est le nom de la charité en Haïti. Dans les six mois à venir, nous devons être en mesure de produire à manger pour subvenir dans une large part aux besoins en nourriture.
L'Etat haïtien vient de faire l'acquisition de plus de 400 tracteurs, de motoculteurs, de pompes d'irrigation, d'achat de semences, de bus, de véhicules tout-terrain, une flotte d'équipements lourds… nous devons nous mettre au travail. Nous devons rapidement mobiliser notre jeunesse et lui proposer le défi d'aller dans les champs pour creuser des bassins piscicoles, planter des légumes, prendre soin des victimes en installant des abris provisoires pour les gens qui n'ont plus de maison, aider les gens à dépasser leur traumatisme.
Dans la deuxième phase, il faut participer à la reconstruction dans un genre de "plan Marshall" que nous devons concevoir nous-mêmes avec l'aide de la communauté internationale en endettant le pays.
Je formule le vœu, au moment où se prépare une grande conférence internationale sur Haïti, que les contributions de la communauté internationale, qui veut aider mon pays, soient rassemblées en un fonds commun, géré conjointement par le gouvernement haïtien et les bailleurs.
Jusqu'à présent, l'aide au développement a été trop fragmentée en une multitude de projets et d'opérateurs qui imposent chacun leurs propres procédures. Il faut redonner une capacité d'initiative aux Haïtiens eux-mêmes. Le cas d'Haïti exige de repenser l'aide au développement telle qu'elle est mise en œuvre actuellement.
Nous ne pouvons accepter de vivre éternellement au crochet des autres pays de la planète, c'est hypothéquer notre dignité et notre souveraineté de peuple libre, indépendant et fier. Nous ne devons et ne pouvons pas nous conduire en peuple arrogant et irresponsable dans la situation à genoux dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.
Nous disons merci à tous les amis d'Haïti, du Monde, à tous les Etats, à la France et aux Etats-Unis en particulier. Nous vous serons éternellement reconnaissants.
Point de vue
Pour l'émergence d'une nouvelle Haïti, par Yves Michel B. Canal
LEMONDE.FR |
Le désastre du 12 janvier dernier vient de placer et de positionner une fois de plus Haïti sur la scène internationale avec une ampleur à nul autre pareil. La magie des autoroutes de l'information et de la communication aura aidé et servi à faire connaître ce pays, sa situation géographique, s'il en était besoin, à mieux répandre son histoire et mettre à nu ses conditions socio-économiques, à un niveau tel qu'il n'aura jamais été possible sans ce cataclysme qui a ravagé en priorité sa capitale Port-au-Prince. L'écho a été si puissant et percutant que la quasi-totalité des nations de la Terre se sont dépêchées dans un élan unanime pour porter secours et soutien et, dans une certaine mesure, manifester concrètement leur souci de contribuer, de manière diligente, à l'aider à traverser cette mauvaise passe dont les conséquences se révèlent désormais extrêmement préoccupantes.
Le moins qu'on puisse reconnaître en tout cas est que, malgré les immenses professions de bonne foi, les perspectives ne semblent pas tout à fait reluisantes tant l'énorme travail de reconstruction s'apparente à un projet multisectoriel de grande envergure et de longue haleine qui nécessitera des fonds substantiels risquant de dépasser les capacités de l'Haïti d'aujourd'hui. Il est vrai, qu'il se dit qu'à l'échelle de la planète, des collectes et toutes autres activités à finalité financière et d'entraide sont mises en œuvre pour constituer et accumuler des capitaux indispensables, cependant l'essentiel reste et demeure la définition des objectifs et la hiérarchisation des priorités à défaut d'un plan global auquel il serait judicieux de recourir.
L'événement s'est produit à un moment où le pays abordait une tentative de relance des activités économiques avec des ambitions généreuses de développement des pôles d'attractivité, avec pour corollaire la mise en place de nouvelles infrastructures, surtout en termes énergétiques, de communication, et l'élaboration de politiques publiques visant des secteurs porteurs comme l'agriculture, le tourisme, le relèvement progressif des services de la sous-traitance textile, et l'adoption de mesures appropriées susceptibles d'attirer des investisseurs étrangers, notamment ceux de la diaspora haïtienne... malgré certains dispositifs qui mériteraient d'être ventilés. Il a existé ces derniers mois un certain regain d'activités qui aurait auguré les possibilités de création d'emplois, fruit probable de pépinières d'entreprises que la conjoncture aurait pu favoriser... mais une minute a suffi pour tout remettre en question.
La juvénilité de la population haïtienne, en rupture de motivation, mais qui constitue tout de même un réservoir non négligeable de main-d'œuvre, devrait plaider pour une prise en charge responsable des pistes de réflexions vers le développement, voire au moins et donc pour l'amélioration des conditions de vie. Il devient alors impératif de saisir cette triste opportunité afin de laisser aux jeunes compétences le soin de bâtir leurs expériences. L'éventualité des prochaines élections pourrait servir de piste d'envol pour une nouvelle classe politique plus sensible aux enjeux démocratiques. Elle se manifeste déjà par sa soif de pouvoir et son désir d'assumer des responsabilités mais elle doit également se soumettre aux exigences de savoirs trop souvent négligés. La primauté de l'intérêt général sur les intérêts particuliers trop souvent mesquins, le sens du service public, dans le souci de préserver le bien commun, sont autant d'éléments qui seront déterminants dans la gestion de la chose publique.
S'il s'avère peut-être urgent de reconstruire les édifices publics dont la solidité a été éprouvée, et d'envisager les nouveaux plans d'urbanisme qui méritent d'être autrement aménagés, il paraît utile de permettre, au regard de la modernité, d'insuffler un dynamisme pertinent aux potentialités avérées et réelles de croissance. Il devient à tous égards opportun de s'en tenir à de nouvelles donnes pour concevoir des projets d'avenir. De prime abord, les types d'habitat qui devraient être à la fois antisismiques et anticycloniques, notamment dans les départements de l'Ouest, du Sud et du Sud-Ouest récemment touchés. Ensuite, la couverture électrique avec la préférence éolienne et solaire. Le perfectionnement des moyens et techniques pour une meilleure stabilisation des systèmes de communication et, enfin, l'adoption d'une plateforme institutionnelle capable d'accueillir les transferts de technologies de tout ordre.
En tout état de cause, l'accident du 12 janvier peut ou doit servir de prétexte pour modeler un cadre de vie différent comme le profil résolu d'une vision nouvelle qui tienne compte des disponibilités et ressources nationales. Il serait alors indiqué que les technologies qui suivent, en général, la politique des bailleurs de fonds soient appropriées et adaptées aux réalités locales. Dans cette ambiance où la présomption d'une attitude hégémonique attise la méfiance, le bien-faire doit saisir l'urgence en vue de résultats sans cesse performants face aux limites constatées du pouvoir haïtien.
Cette tragédie aura fourni l'occasion de reconsidérer une nouvelle forme du vivre ensemble capable de mobiliser les énergies. Il suffit d'observer la diligence de la communauté internationale laquelle, il faut le souhaiter, ne devrait pas durer l'espace d'une émotion pour que l'après-12 janvier soit révélateur d'une coopération aboutie. Et que les promesses ne connaissent pas le sort des conférences et sommets de bonne intention...
Yves Michel B. Canal est juriste et fonctionnaire au minitère de l'économie et de l'industrie d'Haïti.
HAÏTI, LES ENJEUX DE LA RECONSTRUCTION
L'Etat créole en question, par Wilson Saintelmy
LE MONDE |
En Haïti, l'Etat créole a toujours été un obstacle majeur aux initiatives antérieures de la communauté internationale. De 1919 à 1934, les Américains ont investi en Haïti l'équivalent d'un véritable plan Marshall avant la lettre, dirigé essentiellement vers des secteurs stratégiques.
Peu de temps après le départ des marines en 1934, le brigandage politique coutumier a vite repris du service. Il s'est soldé en 1957 par l'avènement de Duvalier père au pouvoir. Et nous connaissons la suite. Après le renversement de Duvalier fils en 1986, l'Etat créole haïtien a renoué avec son passé instable et violent.
Depuis 1993, il y a eu cinq missions onusiennes en Haïti. Elles se sont toutes soldées par des échecs lamentables ou semi-échecs en raison de la résilience de l'Etat créole haïtien. Celui-ci, à l'instar de Port-au-Prince elle-même, est vissé sur une fracture ethnique, continuatrice de la période coloniale. Dès le lendemain de l'indépendance d'Haïti, les membres de la fraction créole (10 % de la population) se décrètent héritiers du colon et, à ce titre, se considèrent supérieurs à ceux de la majorité bossale (descendants des esclaves d'Afrique). Fondatrice de l'Etat créole, cette fracture en fait le fossoyeur de l'Etat-nation en Haïti.
C'est au passif de l'Etat créole qu'il faut inscrire en partie la perte de crédibilité de l'ONU en Haïti, incluant les difficultés des secours d'urgence suite au mardi noir haïtien. C'est au passif de l'Etat créole haïtien qu'il faut inscrire l'exode massif des Haïtiens à l'étranger.
C'est au passif de l'Etat créole qu'il faut inscrire le fait que nombre d'Haïtiens perdent tout espoir de retourner en Haïti. C'est au passif de l'Etat créole qu'il faut inscrire le démantèlement des infrastructures stratégiques héritées de l'occupation américaine. C'est au passif de l'Etat créole qu'il faut inscrire l'infrahumanité dans laquelle patauge la majorité bossale depuis deux siècles.
Et c'est au passif de l'Etat créole que s'inscrira sans aucun doute la faillite prévisible de tout plan de reconstruction d'Haïti, fût-il Marshall ou autre. L'Etat créole haïtien est responsable autant pour ce qu'il a fait que pour ce qu'il a omis de faire pour forger l'émergence d'une véritable nation haïtienne. Une nation qui serait axé
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