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Nicolas Sarkozy tente de faire taire la polémique sur l'"occupation" américaine

LE MONDE | 20.01.10 | 14h03

Nicolas Sarkozy s'est efforcé, mardi 19 janvier, de clarifier la position française de soutien à l'action américaine en Haïti pour prévenir des tensions avec l'administration Obama. La raison ? La Maison Blanche avait peu apprécié un commentaire fait la veille par le secrétaire d'Etat français à la coopération, Alain Joyandet. "J'espère que les choses seront précisées quant au rôle des Etats-Unis. Il s'agit d'aider Haïti, il ne s'agit pas d'occuper Haïti", avait-il déclaré, en marge d'une réunion à Bruxelles, au micro d'Europe 1.

Alain Joyandet venait alors de rentrer d'Haïti plein d'émotion. Il avait été heurté par les méthodes des militaires américains contrôlant l'aéroport. Déjà, les propos qu'il a tenus sur des "protestations officielles" françaises avaient été démentis par le Quai d'Orsay, puis par Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée. Car les responsables français considèrent que seuls les Etats-Unis pouvaient déployer autant de moyens en aussi peu de temps, pour les secours en Haïti. L'effort américain est donc considéré comme bienvenu.

Les choses en seraient restées là si M. Joyandet n'avait pas récidivé lundi. Cette fois, ses propos sont relayés par des médias américains sur Internet. Un "French minister" accuse les Etats-Unis d'envahir Haïti ! L'administration Obama s'agace de ces retombées. Elle veut faire du sauvetage d'Haïti un emblème de son action. Elle fait comprendre à Paris qu'il serait judicieux de rectifier le tir.

Mardi matin, l'Elysée diffuse un communiqué : "Les autorités françaises" sont "pleinement satisfaites de la coopération" avec Washington. Elles "tiennent à saluer la mobilisation exceptionnelle des Etats-Unis en faveur d'Haïti et le rôle essentiel qu'ils jouent sur le terrain". Entre-temps, l'ambassade de France à Washington a convaincu des journaux américains de retirer de leur site Internet l'information contenant les propos de M. Joyandet.

Dans la journée, Nicolas Sarkozy, en déplacement à La Réunion, rend un hommage appuyé à la "mobilisation exceptionnelle du président Obama" et à son "rôle essentiel". Il prend soin d'évoquer à chaque phrase le rôle de la France : "Demain, c'est ensemble que nous devrons mobiliser la communauté internationale" pour la reconstruction, dit le président français.

M. Sarkozy met ainsi l'accent sur la conférence internationale qu'il a appelée de ses voeux, même si la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, qui veut procéder par étapes, a ouvertement trouvé l'idée hâtive. M. Sarkozy avait annoncé au début du drame qu'il se rendrait en Haïti "dans quelques semaines".

Les liens historiques entre la France et Haïti ne figurent pas en haut de la liste des priorités de Barack Obama. Le président américain est peu tourné vers l'Europe. Il a fait d'Haïti une cause du continent américain. Sans être mauvaise, sa relation personnelle avec M. Sarkozy n'est pas excellente. Mardi, une source gouvernementale brésilienne déclarait à l'AFP que Barack Obama avait suggéré au président brésilien Lula da Silva que les Etats-Unis, le Brésil et le Canada assument "le leadership de la coordination des donateurs". Pas un mot sur la France.

Paris est cependant confiant d'être inclus au final. Mais la situation actuelle contraste à plus d'un titre avec celle de 2004, lorsque les Etats-Unis et la France affichaient un duo diplomatique au chevet d'Haïti. C'était alors pour précipiter le départ du pays du président haïtien Jean-Bertrand Aristide, assailli par une rébellion armée. La relation franco-américaine en avait bénéficié, après les déchirures sur la guerre d'Irak. La France avait déployé pendant quatre mois quelque 900 soldats en Haïti aux côtés des troupes américaines.

Natalie Nougayrède

Article paru dans l'édition du 21.01.10

 

Haïti : scènes de panique après une forte réplique du séisme

LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 20.01.10 | 13h02  •  Mis à jour le 20.01.10 | 22h01

La vie reprend peu à peu ses droits en Haïti malgré la forte secousse d'une magnitude de 6,1 degrés sur l'échelle de Richter qui a frappé le pays dans la matinée du mercredi 20 janvier. Aucun mort n'est pour le moment à signaler, mais les équipes de secours sont "parties immédiatement quadriller Port-au-Prince" pour rechercher d'éventuelles victimes de cette réplique, a indiqué la porte-parole, à Genève, du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU, Elisabeth Byrs.

La secousse qui a frappé à 6 h 03 locales (12 h 03 à Paris) n'a duré qu'une poignée de secondes. Elle a provoqué des scènes de panique dans la capitale haïtienne dévastée. Sur une place publique transformée en immense dortoir, une femme s'est mise à prier dans un mégaphone. Sur une place de Pétionville, dans l'est de la capitale, devant l'Hôtel Kinam, dont les occupants sont sortis en courant, des gens répétaient : "C'est l'Eternel, c'est l'Eternel, c'est l'Eternel."

Un semblant de vie normale paraissait cependant s'instaurer, avec la présence symbolique d'un drapeau haïtien en berne devant le palais présidentiel (voir le portfolio "En Haïti, la vie quotidienne peine à s'organiser"). Certaines rues ont été dégagées, mais plus de 300 campements improvisés ont fleuri dans la capitale. Ils rassemblent environ 370 000 sans-abri, selon l'Organisation internationale pour les migrations.

Dans la journée, les sauveteurs ont continué de fouiller les décombres, alors que les chances de retrouver des survivants sont de plus en plus minces. Jusqu'à présent, les équipes venues du monde entier ont secouru 121 personnes. Des survivants ont encore été sortis des gravats mardi, parmi lesquelles une fillette âgée de 23 jours, sortie vivante des ruines d'une maison à Jacmel par des secouristes français.

Malgré le retour d'un certain calme, la tension reste extrême dans les rues de Port-au-Prince. Mardi, une adolescente a été tuée par la police qui cherchait à disperser des pillards. L'ambassadeur d'Haïti aux Etats-Unis, Raymond Joseph, a réclamé la fin des largages d'aide humanitaire par hélicoptère, qui ont donné lieu à des scènes de chaos (lire sur le blog de la rédaction "Faut-il abandonner le largage des vivres ?").

DÉSENGORGER L'AÉROPORT

Pendant que des milliers de soldats américains poursuivaient leur déploiement dans les régions sinistrées (lire sur le blog "Les Américains ont débarqué à Port-au-Prince"), le navire-hôpital Comfort, qui dispose d'une capacité de mille lits, est arrivé au large de l'île. Entre 30 et 50 victimes du séisme, sélectionnées par les autorités haïtiennes parmi les cas les plus graves, vont pouvoir y être soignées en même temps, a indiqué l'armée américaine.

L'armée canadienne, quant à elle, est en train de remettre en état l'aéroport de Jacmel, dans le sud d'Haïti, ce qui doit permettre de désengorger celui de Port-au-Prince, distant d'environ 50 km, a annoncé mercredi le ministre de la défense canadien, Peter MacKay. L'aéroport de la capitale reste pour l'heure la principale voie d'accès de l'aide humanitaire, qui peine à atteindre ses destinataires vu le chaos qui règne dans la ville. Le ministre de la défense américain, Robert Gates, a également ordonné de dégager le port de Port-au-Prince, dans l'espoir de le remettre en service "d'ici une semaine ou deux". La réouverture du port devrait permettre de faciliter considérablement l'arrivée des secours (voir le télézapping "L'aide arrive enfin dans les zones reculées").

Le directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, a appelé les Etats du monde à adopter "une sorte de plan Marshall" pour Haïti, dont la reconstruction pourrait prendre au moins vingt-cinq ans, a estimé mercredi l'ambassadeur de ce pays en Espagne (lire le décryptage "Grandes manœuvres pour la reconstruction d'Haïti"). Selon l'ONU, des promesses de dons de plus de 1,2 milliard de dollars, provenant d'Etats, de personnes privées et d'entreprises, ont déjà été recueillies (lire l'entretien avec le président haïtien René Préval "Un peuple ne meurt pas").

 

Point de vue

En Haïti, l'aide humanitaire doit d'abord s'adosser aux solidarités locales, par Rony Brauman

LE MONDE | 20.01.10 | 13h52  •  Mis à jour le 20.01.10 | 13h52

Aucun pays ne serait en mesure de faire face à un désastre tel que le séisme qui a dévasté Port-au-Prince et sa région. Nous n'avons pas à ce jour l'ensemble des informations ni le recul pour en évaluer l'impact mais nous savons déjà qu'il se classe parmi les grandes catastrophes de ces cent dernières années. Les priorités immédiates de l'aide sont de plusieurs sortes, et aucune ne peut être placée au-dessus des autres, car elles interagissent étroitement.

Il y a bien sûr les soins aux blessés, soins infirmiers aussi bien qu'interventions chirurgicales traumatologiques. Ils nécessitent la mise en place d'unités médicales et de blocs chirurgicaux, en dehors des structures existantes qui sont endommagées et risquent de s'effondrer au cas où surviendraient des répliques violentes. On sait que celles-ci sont fréquentes pendant plusieurs semaines après le séisme initial. De nombreuses équipes médico-chirurgicales, dont certaines incluent des néphrologues pour traiter les "crush syndroms" ou "syndromes d'écrasement", ont déjà été envoyées sur place et ont commencé à travailler rapidement, bien que très tard du point de vue des blessés qui attendaient des soins. Cet aspect des secours est d'autant plus important que les bâtiments hospitaliers ont été détruits ou très endommagés.

Cependant, le travail médical s'étend au-delà de la prise en charge des blessés. D'une part, il faut traiter les malades évacués des hôpitaux et donc privés de soins depuis le séisme. D'autre part, il faut apporter une assistance médicale aux sans-abri regroupés dans des camps de tentes improvisés, où le manque d'eau et de nourriture vient aggraver les conditions sanitaires mauvaises qui prévalaient avant la catastrophe. Rappelons-nous que la prévalence du sida est très élevée à Haïti et que les conditions y sont favorables à l'apparition de foyers épidémiques. Mais attention : nous parlons ici de petits foyers d'infection pulmonaire et digestive, qui sont sans rapport avec le faux péril que représenteraient les cadavres. Ceux-ci sont sans danger, contrairement à une croyance très répandue et déjà véhiculée par la rumeur et les médias.

Il faut donc au contraire rassurer la population et les secouristes sur cette question de façon à éviter la panique que peut créer la présence de cadavres en grand nombre. Leur évacuation est nécessaire pour des raisons sociales et psychologiques mais pas pour des raisons de sécurité sanitaire. Ce point mérite d'être rappelé car, lors du tsunami de 2004, les secouristes ont amplifié la panique au lieu de la contenir, en insistant sur le fait que les cadavres étaient un risque majeur. Le désencastrement des personnes enfouies sous les décombres est désormais hors de propos, la période de survie étant dépassée.

Outre les soins médicaux, quatre autres priorités doivent être adressées simultanément.

1 - La remise en état de fonctionnement du système de télécommunications, le téléphone étant indispensable pour la coordination et l'ajustement des secours ainsi que pour la sécurité du dispositif d'aide, mais aussi pour la réunion et l'information des familles et des proches des sinistrés.

2 - La mobilisation et la mise en oeuvre d'engins de travaux publics, indispensables pour la remise en état d'axes de circulation et de ponts, la sécurisation de bâtiments menaçant de s'effondrer, le déblaiement de terrains pour les sans-abri, le dégagement des bâtiments publics.

3 - La mise en place d'infrastructures de stockage et de circuits de distribution de vivres et d'eau potable. Cet aspect de l'aide est d'une importance primordiale, de nombreuses personnes n'ayant pu s'alimenter depuis plusieurs jours. Outre l'affaiblissement physique et la douleur que représentent ces privations, il s'agit aussi de contenir certaines violences de désespoir que causeront ces pénuries si elles ne sont pas comblées très vite.

4 - Enfin, la remise en état de fonctionnement des installations portuaires doit permettre de passer à un approvisionnement par voie maritime, moins coûteux, plus souple et plus sûr que l'emploi des avions. C'est la condition pour pouvoir hisser les approvisionnements à la hauteur des besoins.

Ces précisions étant apportées, il est utile pour la compréhension de la situation d'aborder des questions plus générales. D'une part, en ce qui concerne le délai entre la catastrophe et l'arrivée des secours internationaux : face à un événement imprévisible et massif comme celui-ci, il est impossible de rassembler immédiatement les moyens matériels et les équipes spécialisées. Deux à trois jours sont nécessaires pour commencer à déployer les premiers secours sur le terrain et plusieurs jours encore avant que le dispositif commence à faire sentir son efficacité, c'est-à-dire parvenir à un nombre significatif de victimes. Même alors, de nombreuses autres victimes restent hors d'atteinte de l'aide internationale, tant celle-ci se déploie progressivement. Plusieurs jours seront encore nécessaires pour assurer une couverture décente des besoins primordiaux.

Mais il faut préciser ici que la solidarité locale joue un rôle essentiel, à Haïti comme partout dans ce genre de situation. La plupart des personnes qui ont été sorties des décombres ont été sauvées par leurs voisins, de même que la nourriture et les autres formes d'entraide ont été assurées par les Haïtiens eux-mêmes. A considérer les reportages, il semble que seule l'aide provenant de l'étranger soit homologuée comme telle, alors que l'aide locale, pourtant primordiale, est ignorée. Il est vrai que la solidarité quotidienne ne fait pas de bruit et n'offre pas de spectacle, contrairement aux rassemblements menaçants et aux scènes de violence.

D'autre part en ce qui concerne la sécurité et le rôle des militaires : dans un pays aussi inégalitaire que celui-ci, et qui a connu une situation de quasi-guerre civile il y a peu, les tensions et les violences sont partout. Les casques bleus ont joué un rôle constructif depuis 2004 en aidant le pays à se stabiliser en contenant puis en faisant reculer les groupes armés, mais les problèmes de fond ne sont pas résolus quand les symptômes reculent. La logistique des forces américaines est très utile mais on peut être sceptique quant à leurs capacités à rétablir l'ordre dans un environnement aussi volatil. On peut aussi avoir quelques doutes sur le discours dominant, selon lequel le gouvernement et les Nations unies seraient décapités et devraient donc être remplacés par une tutelle internationale. Laissons aux Haïtiens le soin de décider sur cette question, l'histoire ayant montré que les interventions étrangères dans ce pays n'ont fait qu'aggraver les problèmes qu'elles devaient résoudre.

Les désastres naturels de grande ampleur sont toujours des scènes sur lesquelles se jouent des stratégies et des rivalités politiques. La Chine affirme son rôle de puissance mondiale émergente en envoyant des secouristes et de l'aide, de même que les pays européens, le Brésil et les Etats-Unis. Il n'y a là rien de scandaleux en soi. Il ne s'agit que d'un reflet des relations internationales de notre temps et il serait absurde de juger de la valeur de ces interventions selon une jauge purement morale. En dépit des frictions et tensions qui résultent de cette situation, on peut dire à ce jour que la mobilisation internationale se fait pour le bénéfice des victimes, même si les secours ne leur parviennent pas encore à toutes.

Ajoutons enfin que Port-au-Prince était déjà une ville sinistrée avant le séisme. Des centaines de milliers de personnes, en particulier celles qui habitent les grands bidonvilles comme ceux de Cité-Soleil ou Martissant y vivaient dans un état indigne. L'exploitation des ressources par la France, bien après l'indépendance, puis le soutien apporté par l'Ouest aux dictatures corrompues qui n'ont fait que poursuivre la prédation coloniale expliquent l'état lamentable dans lequel vit une grande partie de la population. Il faut souhaiter que cette crise majeure représente un nouveau départ pour Haïti. L'aide internationale à la reconstruction, à laquelle il faut songer à se préparer, pourrait fournir une contribution majeure à ce nouveau départ.

Rony Brauman est directeur d'études à la Fondation de Médecins sans frontières, professeur associé à Sciences Po.

Article paru dans l'édition du 21.01.10

 

20/01/2010 à 00h00

Grandeur, dangers et conditions de l’ingérence

Par BERNARD GUETTA. Bernard Guetta est membre du conseil de surveillance de Libération.

Comme on le comprend, ce cri du cœur. Comme on le comprend, cet universitaire haïtien qui s’écriait, lundi, dans les colonnes de Libé : « Qu’on nous mette sous tutelle, n’importe qui, mais vite. » On le comprend car, lorsqu’on n’a plus rien, que tout est à reconstruire dans son pays et qu’il n’y a plus d’Etat pour le faire, plus même ce semblant d’Etat qu’a balayé le séisme, mieux vaut encore une tutelle étrangère que le vide, de riches suzerains qu’une totale anarchie, porteuse de plus de misère et de drames encore.

Venu de la première République noire que le monde ait connu, de cette nation si fière d’être devenue, en 1804, le premier Etat indépendant des Amériques après les Etats-Unis, ce cri était terrible à entendre, mais comment nier la réalité ? Complet abandon de souveraineté, dès vendredi, au soulagement général, parce que c’était l’urgence, le président haïtien a cédé les commandes de l’aéroport de Port-au-Prince aux Américains. L’argent des secours vient de l’Union européenne et des Etats-Unis. Leur coordination se cherche quelque part entre Washington, Bruxelles et l’ONU. Il faut des soldats américains et des gendarmes européens pour assurer la sécurité des survivants et de leurs sauveteurs.

Haïti est, déjà, sous tutelle car dégager les routes et maintenir l’ordre, c’est prendre la police en mains et la suite est écrite. Sauf si ce pays était abandonné à son sort après l’émotion des premières semaines, sauf une telle honte, la tutelle étrangère s’accentuera, inévitablement, car envisager la reconstruction, l’entreprendre, c’est redessiner villes et villages, lancer des appel d’offres, refonder l’économie - gouverner, en un mot. L’ingérence humanitaire deviendra économique et politique car, même dans l’Europe d’après-guerre, l’aide déversée par le plan Marshall avait mis sous dépendance américaine des Etats anciens, solides, avec des syndicats puissants, des partis constitués, une presse pluraliste et une démocratie rodée de longue date.

Haïti est loin de cela. Dans un aussi petit pays, aussi faible et démuni, la logique de la solidarité internationale sera de substituer des autorités étrangères à l’autorité nationale. Tout y poussera parce que les grandes puissances voudront veiller à l’usage de leurs fonds et que, dès lors que ce ne sont plus seulement des ONG qui interviennent mais des Etats, ils ont une obligation de résultat, sur la durée, et doivent pouvoir décider puisqu’ils seront, au bout du compte, responsables de leur action.

On y va parce que la France ne veut pas abandonner un pays francophone à l’influence américaine et que, si l’Union européenne sait faire une chose sur la scène internationale, c’est dispenser de l’aide.

C’est parti, parce que Barack Obama veut continuer, là, à redresser l’image des Etats-Unis, à en faire une puissance bénéfique et non plus belliqueuse et que l’Amérique n’aime pas voir d’autres pays affirmer une présence à ses frontières. Cette compétition entre grandes puissances, entre la vraie grande et l’autre, devrait garantir aux Haïtiens qu’ils ne seront pas abandonnés. C’est tant mieux, mais les problèmes ne font que commencer.

Imagine-t-on Haïti se replacer, durablement et sans heurts, sous l’autorité de ces puissances qui lui avaient fait tant de mal dans l’histoire, de l’Europe d’où étaient venus les colonisateurs espagnols et français, des Etats-Unis qui l’avaient occupée de 1915 à 1934 avant d’y soutenir tant de dictatures ubuesques ? Poser la question, c’est y répondre et, sans même parler des difficultés qu’elles auront à faire taire leurs rivalités, comment l’Europe ou l’Amérique pourraient-elles exporter et enraciner la paix civile, le bien-être et la stabilité dans un pays auquel l’esclavage a légué tant d’antagonismes sociaux, de misère et d’instabilité politique ?

Nécessaire, incontournable, la mise d’Haïti sous tutelle n’est évidemment pas souhaitée que par cet universitaire cité dans le reportage de Christophe Ayad. Même s’ils ne l’expriment pas aussi crûment, beaucoup d’Haïtiens, la plupart sans doute, l’appellent de leurs vœux, comme un moindre mal, mais elle ne peut pas procéder du seul état de fait.

Pour qu’elle puisse contribuer à faire repartir ce pays, elle doit être dite, officielle, demandée par Haïti et organisée par les Nations Unies qui en fixeraient les conditions, les objectifs et la durée, transition vers un retour à la normale sous dix ou quinze ans. Elle doit être approuvée par l’Assemblée générale et supervisée par le Conseil de sécurité. C’est une condition sine qua non, d’autant plus indispensable que, catastrophe naturelle ou pas, d’autres pays auraient besoin que soient réinventés, mais sur une base volontaire, les « mandats » d’antan.

LIBERATION

 

20/01/2010 à 00h00

Haïti : ces cadavres que l’on montre

Par CHRISTIAN EBOULÉ journaliste.

Quand, à l’effroi, au tragique, à la cruauté la plus abjecte, s’ajoute l’indécence, l’impudeur et le mépris télévisuels, alors oui, la douleur que l’on éprouve devient plus qu’insupportable. Fort heureusement, d’abord par Internet, ensuite et bien sûr de façon massive, grâce à la radio et aux chaînes de télévision, le monde entier sait, aujourd’hui, qu’un tremblement de terre d’une ampleur historique s’est abattu sur Haïti. Mais pourquoi diable, ces mêmes chaînes de télévision choisissent-elles de nous montrer, de manière quasiment ininterrompue, ces centaines de cadavres haïtiens, ces victimes innocentes d’un séisme meurtrier et dévastateur ? Pourquoi une telle absence d’égards ? Pourtant, la plupart du temps, lorsqu’il s’agit de victimes occidentales, l’on n’assiste presque jamais à un tel étalage obscène.

Trop, c’est trop ! Les victimes du Sud ont aussi droit au respect de leurs sépultures, quelles que soient, d’ailleurs, les circonstances qui ont entraîné leur mort.

Et puis, quand même, nos sociétés ne sont-elles pas déjà suffisamment anxiogènes et productrices de peurs de toute nature, pour que nous nous infligions, en plus, le funeste «spectacle» de corps meurtris, écrasés, déchiquetés ? Du reste, si nous sommes si assoiffés de sang, si curieux du drame et de la mort des autres, peut-être pour se convaincre qu’on pourrait ainsi exorciser la nôtre, alors exhibons nos propres morts et pas ceux d’ailleurs. Lors du tremblement de terre qui a secoué les Abruzzes en avril dernier, rasant au passage une partie de la ville de L’Aquila, je ne me souviens pas avoir vu en boucle des images de corps, comme c’est le cas, aujourd’hui, avec Haïti.

Les chaînes de télévision qui nous abreuvent d’images actuellement nous ont pourtant abondamment parlé de ce séisme qui a causé la mort de près de 200 personnes. Mais curieusement, à cette occasion-là, et à juste titre, elles ont fait le choix de ne pas «satisfaire» nos instincts voyeuristes. Et qu’on ne vienne pas me dire que c’est une question d’efficacité des services de secours. Non, de grâce !

Plus récemment encore, suite à la mort, malheureuse, d’un de nos soldats en Afghanistan, des chaînes de télévision ont précisé qu’elles ne diffuseraient pas de photos de ce militaire, à la demande de la famille, et par respect pour sa mémoire. Bel acte de civisme. Mais nous aimerions que la même attention soit portée à ces morts du bout du monde, dont on ne se sent pas forcément proches, mais dont le respect dû à leurs familles et à l’humanité que nous avons en commun commande qu’on les respecte.

Alors respectons le peuple haïtien. Respectons ces hommes et ces femmes à qui la nature a repris ce qu’elle leur avait donné de plus cher, c’est-à-dire la vie. Respectons cette terre des Caraïbes, sur laquelle le sort semble s’acharner depuis près de deux siècles. Une terre marquée par un drame «originel», celui de millions de personnes arrachées à l’Afrique - cette terre nourricière qui ne leur a toujours pas tendu la main officiellement - et qui ont été soumises à la barbarie esclavagiste par les puissances européennes d’alors. Une terre qui a vu son peuple se lever, il y a deux cents ans, avec à sa tête quelques-uns de ses plus valeureux enfants, comme Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines, pour s’affranchir du joug esclavagiste et colonial. Une terre qui a entrepris depuis une marche chaotique vers la liberté. Une terre qui croule aujourd’hui sous le poids de la misère et de l’histoire, mais qui est aussi riche d’hommes et de femmes exceptionnels et viscéralement attachés à leur liberté et à leur dignité. Oui, respectons-nous et respectons-les.

LIBERATION
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