第四天:2010 1 15

 

"Ça ressemblait à un bombardement pendant une guerre"

LE MONDE | 15.01.10 | 10h50

Fort-de-France, correspondant

Ils s'appellent eux-mêmes "les rescapés de l'enfer". Les 91 premiers rapatriés français qui ont échappé au séisme d'Haïti sont arrivés, jeudi 14 janvier, à l'aéroport de Fort-de-France, en Martinique, acheminés dans trois avions des forces armées aux Antilles. Tous gardent en mémoire des images effroyables, se sentant presque coupables d'avoir "abandonné" un pays en ruines avec ses dizaines de milliers de morts.

Certains ont été pris en charge au CHU de Fort-de-France. L'établissement hospitalier devrait être utilisé comme base arrière pour venir en aide aux blessés de Port-au-Prince, la capitale haïtienne. D'autres ont trouvé refuge dans un hôtel du sud de l'île, à une trentaine de kilomètres de Fort-de-France. Les membres d'une cellule d'écoute psychologique les entourent.

A l'ombre des palmiers, ils se parlent, tentent de se rassurer. Une véritable solidarité s'est créée entre eux. Une jeune mère propose des vêtements de rechange à une autre qui n'a quasiment rien pu emporter. Certains veulent regagner au plus vite la métropole, alors que d'autres préfèrent attendre leurs proches qui viennent d'être hospitalisés. Beaucoup attendent des nouvelles de ceux qui sont encore à Haïti.

L'un des membres de la cellule d'écoute psychologique, explique que le plus difficile pour ces rescapés reste à venir. Les témoignages le confirment : "Ça ressemblait à un bombardement pendant une guerre. C'était terrorisant : les cris, la souffrance, les pleurs, la ville qui brûle, un vrai paysage d'horreur", témoigne Gilles Zvunka, un ingénieur-expert en radio téléphonie pour Astellia, une société française de conseil

Au moment du séisme, il se trouvait sur un chantier sur les hauteurs de Port-au-Prince. "J'ai décidé de regagner l'hôtel Montana où je logeais. J'ai dû marcher pendant dix kilomètres. Au bout de deux heures, je me suis aperçu qu'il était effondré."

VISION APOCALYPTIQUE

Les yeux rougis par la douleur, Marie-Hélène Lestrohan, retraitée de 64 ans, fait part de son désarroi: "Aujourd'hui, je ne sais rien de mes amis, je ne sais pas s'ils sont morts ou vivants et je ne le saurai pas avant longtemps… Je ne sais pas à l'heure qu'il est si je reverrai Haïti un jour, non pas parce que j'ai peur, mais pour quoi faire ?"

Une vision apocalyptique que Pierre Martinez ne pourra oublier. Professeur en sciences du langage à l'université de Paris-VIII, il dispensait des cours à Haïti lorsque le bâtiment s'est effondré : "J'ai une pensée pour les gens qui vont vivre des heures et des jours de plus en plus difficiles, les gens vont commencer à manquer d'eau, de tout, parce qu'il y a des morts partout, parce que personne n'a la force morale d'enterrer ces morts…"

Plusieurs de ces "rescapés de l'enfer" ont quitté la Martinique jeudi soir pour regagner la métropole où ils seront pris en charge dès leur arrivée par une cellule du Quai d'Orsay.

Hervé Brival

Article paru dans l'édition du 16.01.10

 

Port-au-Prince commence à compter ses morts

LE MONDE | 15.01.10 | 11h24  •  Mis à jour le 15.01.10 | 13h54

Port-au-Prince, Envoyé spécial

Une odeur de mort flotte sur Port-au-Prince, la capitale d'Haïti, dévastée par le séisme du 12 janvier. Une odeur de plus en plus insupportable dans les quartiers du centre et du bas de la ville, réduits à des amas de décombres. Les maisons qui ont résisté sont vides, et souvent fissurées. Rares sont les habitants qui se risquent à y passer la nuit, d'autant que les répliques n'ont pas cessé, deux jours après le séisme qui aurait fait au moins, selon un premier bilan de la Croix-Rouge, entre 45 000 et 50 000 victimes et 3 millions de sinistrés, soit un tiers de la population de ce petit pays des Caraïbes, l'un des plus pauvres du monde.

Il reste encore de nombreux cadavres abandonnés sur les trottoirs et de nombreux passants errent, le bas du visage masqué par des foulards pour se protéger de la puanteur des corps en putréfaction. Au coin des rues Capois et Cameau, l'immeuble moderne de la banque Unibank est à moitié effondré. A mains nues, un groupe d'une vingtaine de jeunes dégagent de gros blocs de béton à la base de l'édifice.

" Il y a deux personnes en vie ", s'écrie l'un d'eux. A l'aide d'un long tuyau en plastique, les sauveteurs improvisés parviennent à échanger quelques mots avec les survivants qui demandent de l'eau. Au bout de deux heures d'efforts, deux hommes sont dégagés. Le premier, un employé de la banque, âgé de 26 ans, est indemne, l'autre, un agent de sécurité a du mal à se relever.

Un peu plus loin, d'autres jeunes chargent des cadavres dans des brouettes pour les emmener à la morgue de l'hôpital général. Le spectacle est insoutenable. Des centaines de corps sont empilés. Beaucoup d'enfants. Quelques policiers et des infirmiers tentent de mettre un peu d'ordre. La colère monte. Jeudi, des habitants ont bloqué certaines rues avec des cadavres afin de protester contre "le retard" de l'assistance humanitaire. Et la question de l'insécurité reste sensible. Des coups de feu ont été entendus dans la capitale.

Après deux jours d'état de choc et de totale désorganisation, les premiers secours arrivent dans plusieurs quartiers. Des bulldozers, des pelles mécaniques et des camions d'une entreprise dominicaine ont dégagé la panaméricaine, une route reliant Port-au-Prince à la banlieue de Pétionville. Jeudi soir, ils ont commencé à s'attaquer aux montagnes de décombres proches du Palais présidentiel: c'est là où se trouvaient les bâtiments des principaux ministères du gouvernement haïtien.

Quelques véhicules de la Mission des Nations unies de stabilisation en Haïti (Minustah) circulent sur les grands axes. "Toutes les structures qui auraient pu organiser et dispenser les premiers secours ont été durement touchées", observe un diplomate européen.

Des casques bleus originaires des Philippines et du Bangladesh bloquent la petite route qui mène à l'hôtel Christopher qui servait de quartier général à la Minustah. L'immeuble, un bâtiment de cinq étages, s'est effondré. Depuis mardi, l'ONU ne cesse d'ajouter des noms à la liste des victimes: 36 morts déjà confirmés, 200portés disparus. Mais aussi des rescapés: Tarmo Joveer, garde du corps estonien, a été retrouvé indemne dans les débris par une équipe de secouristes américains, après un calvaire de 36heures.

Un peu plus loin, plusieurs équipes de sauveteurs venues de France, des Etats-Unis et d'Espagne, sont à l'œuvre dans les ruines de l'hôtel Montana, l'établissement qui recevait les délégations internationales. Plus d'une centaine de personnes, dont la propriétaire de l'hôtel, Nadine Cardozo, sont enfouies sous les décombres. "Nadine est en vie, on a pu la localiser dans une poche, sous les décombres", assure son mari Reinhard Rield.

En larmes, Garthe, la sœur de Nadine, prie avec une amie. L'un de ses petits-fils est, lui aussi, prisonnier des ruines de l'hôtel. Quatre membres de l'équipe française de la sécurité civile, qui viennent d'arriver de Brignoles, une commune du Var, sortent un cadavre sur une civière. "Notre chien [secouriste] s'est blessé, nous en attendons un autre", explique l'un d'eux. Un comptable de l'hôtel a pu être dégagé, en vie, par une équipe de sauveteurs espagnols.

Une partie de l'ambassade de France s'est effondrée et le bâtiment principal, fortement ébranlé, attend une inspection. A quelques pas des véhicules écrasés par des blocs de béton, les diplomates organisent, à l'extérieur de l'édifice, l'évacuation des Français. Il y a environ 1400Français recensés en Haïti mais les listes des ressortissants sont enregistrées dans des ordinateurs au sein du bâtiment où il est impossible, pour le moment, de pénétrer. Quatre-vingt onze personnes, pour la plupart des Français malades ou blessés, ont été évacuées vers la Martinique dans les trois avions qui ont apporté les premiers secours envoyés par Paris.

Le parc de la Primature abrite un vaste campement improvisé. "Ils sont environ 1700 sans abri", dit Immacula Caze. Responsable du protocole du premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive, elle tente d'organiser une distribution de biscuits et de comprimés de purification de l'eau. "Le premier ministre est à l'aéroport où les Nations unies ont installé leur centre de coordination de l'aide internationale, puis il se rendra au Palais où le président René Préval pilote la cellule stratégique de coordination", explique Jude Hervé Day, l'un des conseillers du chef de gouvernement. Les autorités haïtiennes tentent de reprendre pied.

Jean-Michel Caroit

Article paru dans l'édition du 16.01.10

 

Les Américains prennent en charge la coordination de l'aide

LEMONDE.FR avec AFP, Reuters et AP | 15.01.10 | 06h54  •  Mis à jour le 15.01.10 | 07h50

L'un des conseillers à la sécurité nationale du président américain, Barack Obama, a été envoyé, jeudi 14 janvier, en Haïti avec un responsable du Pentagone pour coordonner l'aide américaine sur le terrain après le séisme de mardi, a annoncé la Maison Blanche. Une réunion s'y est tenue pendant plusieurs heures pour "discuter de la coordination des efforts d'aide du gouvernement américain en Haïti", selon un communiqué de la présidence.

Cette réunion regroupait des représentants de différentes agences et administrations américaines, dont l'agence gouvernementale d'aide au développement USAID, le département de la défense ou encore les garde-côtes. Dans la matinée, déjà, le président Barack Obama avait annoncé qu'il mettait toute la puissance des Etats-Unis au service d'Haïti et qu'il allait immédiatement débloquer une aide de 100 millions de dollars.

Un porte-avion américain à propulsion nucléaire, l'USS Carl Vinson avec dix-neuf hélicoptères à son bord, doit arriver vendredi en Haïti, où il servira de base flottante pour les rotations d'hélicoptères apportant de l'aide aux victimes du séisme. Il est équipé d'un système de purification d'eau pouvant produire 15 000 hectolitres d'eau potable par jour, de dizaines de lits médicalisés, de trois salles d'opération et dispose d'un pont d'atterrissage pouvant accueillir un grand nombre d'hélicoptères, selon des officiers américains. La présence de ce porte-avion doit permettre de soulager l'aéroport de Port-au-Prince, qui ne dispose que d'une seule piste et qui est totalement engorgé par le trafic d'avions apportant de l'aide humanitaire et des secours.

LES AMÉRICAINS SE CHARGENT DU CONTRÔLE AÉRIEN

Pour tenter de coordonner les rotations des avions à Port-au-Prince, par où transite l'essentiel de l'aide à Haïti en raison des dégâts subis par le port, était saturé jeudi par l'afflux des secours, les Etats-Unis ont "pris la responsabilité du contrôle aérien". "Nous avons beaucoup de personnel aidant aux chargements et déchargements", a déclaré le porte-parole du département d'Etat, Philip Crowley, ajoutant que les contrôleurs étaient arrivés dans la nuit de mercredi à jeudi. "La bonne nouvelle, s'agissant de l'aéroport de Port-au-Prince, est qu'il fonctionne maintenant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, a commenté M. Crowley. La mauvaise nouvelle est que c'est un aéroport très limité, avec une seule piste et peu d'espace."

"Le nombre d'avions au sol entrave notre capacité à les gérer tous", a expliqué l'officier qui commande le 23e escadron tactique spécial de l'armée de l'air américaine, déployé depuis mercredi soir à l'aéroport de Port-au-Prince. Jeudi, on a compté jusqu'à quarante-quatre avions au sol à différents stades de déchargement d'équipement et d'embarquement des blessés à évacuer.

 

L'aide humanitaire confrontée au double défi de la logistique et de la coordination

LE MONDE | 15.01.10 | 10h21  •  Mis à jour le 15.01.10 | 11h49

La destruction des hôpitaux oblige à acheminer un important dispositif de soins et l'aéroport ne permet les atterrissages qu'au compte-gouttes. Un port hors d'usage, un aéroport sans tour de contrôle et à l'unique piste endommagée, un Etat déstructuré, des organes de l'ONU durement touchés… L'acheminement de l'aide internationale aux victimes du séisme à Haïti est confronté à "un énorme problème logistique", avertit la porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l'ONU, Elisabeth Byrs.

Pour tenter d'y répondre, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) a mis sur pied, jeudi 14 janvier, à l'aéroport de Port-au-Prince, une base logistique animée par un corps spécial de quatorze experts de l'OCHA.

Alors que les avions affrétés par plusieurs pays – Brésil, Espagne, France – et des ONG ont commencé à décharger leurs premières tonnes de matériel médical et de produits de première nécessité, le monde humanitaire se souvient que la coordination de l'aide va être aussi importante que l'aide elle-même. Une leçon apprise lors du tsunami de 2004 en Asie.

ENGORGEMENT

Si le tsunami avait obligé les organisations internationales à improviser, le séisme offre un scénario connu, pour lequel les dispositifs d'intervention sont bien rôdés. Mais la catastrophe haïtienne présente deux difficultés : la destruction, inhabituelle, des hôpitaux oblige à acheminer un important dispositif de soins. Et l'aéroport ne permet que des atterrissages au compte-gouttes.

"Il ne faut pas se précipiter : si aujourd'hui à l'aéroport de Port-au-Prince arrivent une dizaine d'avions, ça va créer un chaos beaucoup plus grave encore que le chaos créé par le désastre", prévenait l'ancien premier ministre haïtien, Gérard Latortue, sur France Info, jeudi 14 janvier.

Les vols américains de secours ont d'ores et déjà été suspendus en raison de la saturation de l'aéroport : jusqu'à onze avions effectuaient des cercles dans le ciel d'Haïti, faute de pouvoir atterrir, au risque de se trouver à cours de kérosène. Les opérations au sol ne pouvaient décharger et évacuer les marchandises suffisamment vite pour dégager de l'espace sur le tarmac.

"L'urgence va drainer d'importants moyens, des avions gros porteurs. Cela peut provoquer un engorgement rapide", admet Pierre Salignon, le directeur général de Médecins du Monde. L'ONG devait faire partir vendredi un avion chargé de 40 tonnes de matériel pour Port-au-Prince.

Chacun redoute que l'élan de générosité conduise des ONG, des associations ou la diaspora haïtienne à expédier sur place des chargements moins vitaux, quand la priorité est aux équipements médicaux, avant même la nourriture ou les vêtements. "C'est difficile de faire comprendre aux gens qu'il ne faut pas intervenir tout de suite, que leurs produits doivent attendre, alors que la population manque de tout", soupire Mme Byrs.

"La phase de premiers secours ne représente pas un gros volume logistique; le problème, c'est que les équipes de la deuxième phase, la multitude d'ONG venues couvrir les besoins de base de la population, arrivent parfois trop tôt. Il peut y avoir un encombrement de colis inutiles, on l'a vu lors du tsunami de 2004 : les gens envoyaient n'importe quoi", analyse Frédéric Meunier.

Cet ancien responsable de l'action d'urgence à Handicap International est aujourd'hui consultant et formateur à l'institut Bioforce développement, à Lyon, qui forme les acteurs de l'aide humanitaire. Une vingtaine de ses anciens élèves sont aujourd'hui sur le terrain en Haïti, dont le responsable du pôle logistique chargé de coordonner l'action des agences de l'ONU et des ONG, Baptiste Burgaud.

"C'est son équipe qui doit optimiser les moyens, définir les priorités, engager des discussions pour faire transiter l'aide par les ports et les aéroports de Gonaïves, de Cap-Haïtien ou de Santo Domingo pour délester Port-au-Prince", explique M. Meunier.

"ETAT INEXISTANT, EXSANGUE"

Un rôle d'aiguilleur de l'aide indispensable : vu l'ampleur de la catastrophe, la phase d'urgence promet d'être longue. Un pont aérien et maritime permanent va devoir fournir chaque jour, à plus de deux millions de personnes, des soins médicaux, de l'eau, de la nourriture, des abris, de la sécurité. "Les volumes vont être considérables", prédit M. Meunier.

C'est toute une chaîne de distribution rapide et efficace, avec des centres de tri et des points de stockage principaux et secondaires, qu'il va falloir mettre en place. Plus que lors de n'importe quel autre séisme, un vrai casse-tête. "Nous n'avons pas de camions, pas d'essence, les routes sont coupées; et nous n'avons aucun moyen de loger les milliers d'humanitaires qui vont débarquer !", liste la porte-parole de l'OCHA.

Difficile à ce jour d'imaginer une distribution d'aide de grande ampleur. "Pour l'instant, il nous est difficile de nous déplacer dans la ville, le chaos est trop grand, raconte M. Salignon, de Médecins du monde. Au Sri Lanka, en Indonésie, l'Etat avait facilité l'accès des équipes et l'organisation des secours. A Haïti, on a affaire à un Etat inexistant, exsangue."

Une contrainte qui risque de rendre inutiles les leçons enseignées aux acteurs de l'humanitaire par les crises passées. "On oublie souvent qu'on intervient dans un Etat de droit et qu'il faut lui donner un rôle leader dans la gestion des secours pour ne pas discréditer et déstabiliser le gouvernement", cite M. Meunier. "Il est aussi essentiel de mobiliser les ressources et les capacités de la population, de l'associer à la distribution de l'aide pour ne pas créer de l'assistanat."

Ces bonnes résolutions risquent d'être difficiles à respecter, alors que les scènes de violence se multiplient dans les ruines de Port-au-Prince.

Grégoire Allix

Article paru dans l'édition du 16.01.10

 

15 janvier 2010

Une situation sanitaire catastrophique

Brigitte Vasset, responsable au département médical de Médecins sans frontières et membre de l’organisation depuis vingt ans, revient sur la situation sanitaire sur place.

Quelles sont les priorités des équipes de soins ?

Brigitte Vasset : Il faut d’abord sortir les gens des décombres et prendre en charge les blessés qui ont besoin d’une intervention chirurgicale. Beaucoup de personnes souffrent de fractures, mais la situation est toujours assez chaotique. Plus on pourra avoir rapidement des abris, de l’eau et de la nourriture, moins on aura de maladies.

Existe-t-il un risque épidémique lié aux cadavres gisant à l’air libre ?

Brigitte Vasset : Aujourd’hui, les cadavres en eux-mêmes ne transmettent pas de maladies. Les seules épidémies auxquelles j’ai dû faire face en tant que personnel de MSF étaient liées à des inondations. Au Brésil, il y a quinze ans, et l’année dernière aux Philippines, de nombreuses personnes ont contracté la lactospirose, une bactérie transmise par l’urine des rats, mais ce n’est pas le genre de maladies qui menace une population victime d’un tremblement de terre. Ce qu’il faut craindre, ce sont les regroupements de personnes. La proximité multiplie les possibilités d’infections respiratoires. Dans un pays où le système de santé est aussi déficient, il faut faire très attention. On sait par exemple qu’une part importante de la population n’est pas vaccinée contre la rougeole. Il y a également un risque que les bénévoles qui s’affairent dans les décombres se blessent et attrapent le tétanos.

Une partie importante de la population n’a plus accès à l’eau courante (Lire “Rétablir l’accès à l’eau potable, une priorité pour les ONG” ). Quels problèmes cela peut-il engendrer ?

Brigitte Vasset : C’est l’une des principales difficultés. Les pompes à eau sont en panne et les camions qui approvisionnaient les habitants avant le séisme ont un mal fou à circuler. Résultat : les réserves s’amenuisent et il y a un risque que les sinistrés boivent de l’eau contaminée. Cela peut provoquer des diarrhées ou la typhoïde, notamment chez les enfants de moins de 5 ans, qui sont particulièrement exposés aux infections. Le manque d’eau touche aussi les blessés qui ont perdu du sang et auraient besoin d’une perfusion. Dans ce cas comme dans celui des personnes brûlées, la déshydratation peut s’avérer mortelle. Enfin, sans eau saine, difficile de se laver. Les sinistrés risquent d’attraper des maladies cutanées et les blessures de s’infecter. Le manque d’eau est vraiment le premier souci à régler.

Quels soins vos équipes ont-elles pu apporter depuis la catastrophe ?

Brigitte Vasset : Notre centre de traumatologie a été complètement détruit et les deux blocs se sont effondrés. Nous sommes toujours sans nouvelles des 40 personnels et des 30 malades qui s’y trouvaient. Un premier avion avec des médicaments et du matériel a pu atterrir hier matin à Port-au-Prince. D’autres attendent toujours de pouvoir décoller de Saint-Domingue. Depuis le séisme, nous avons mis en place des point d’accueil sous tente. Les équipes sur place ont pu soigner plus de 2 000 personnes plus ou moins grièvement blessées. Une dizaine d’interventions chirurgicales ont également été réalisées.

Propos recueillis par Elise Barthet

NB : Hier soir à 19 heures (heure locale) à l’hôpital Choscal, dans le bidonville de Cité Soleil à Port-au-Prince, les équipes de Médecins sans frontières ont effectué leur première intervention depuis le séisme : un accouchement par césarienne. La mère et l’enfant sont aujourd’hui en bonne santé, selon Stefano Zannini, le chef de mission sur place.

BRIEND : Très pertinent. Remarque de détail : Au Brésil, il s’agissait de leptospirose, et non pas de lactospirose.

 

"La situation va forcément se compliquer en termes de sécurité" à Haïti

LE MONDE | 15.01.10 | 09h34  •  Mis à jour le 15.01.10 | 15h30

Le Français Alain Le Roy est responsable, depuis 2008, des opérations de maintien de la paix des Nations unies. Il fait le point sur le rôle de l'ONU et des Etats-Unis dans les opérations de secours aux sinistrés d'Haïti.

 

La police haïtienne est invisible, on parle de coups de feu, de scènes de pillage. Craignez-vous des troubles de l'ordre public ?

Les premières 36 heures ont été une période de choc pour la population. La situation était chaotique, mais elle est restée relativement calme. Compte tenu de l'histoire d'Haïti, on ne peut pas exclure de nouveaux pillages et des exactions.

C'est notre rôle, en ce moment, de patrouiller pour essayer, autant que possible, de jouer un rôle dissuasif. Mais il est clair que la situation va forcément se compliquer, en termes de sécurité, au cours des prochains jours.

 

Qui dirige aujourd'hui cette opération de sauvetage ?

Il y a plusieurs opérations, avec plusieurs pays qui envoient une assistance importante.

 

Qui coordonne ?

Les autorités haïtiennes. Mais comme l'essentiel de leurs moyens administratifs ont été détruits, c'est avant tout la Minustah (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti) qui joue ce rôle. Ce sera difficile, à cause de l'ampleur énorme de ces opérations.

 

Les Etats-Unis, qui déploient des milliers d'hommes, des navires et des avions, et assurent désormais le fonctionnement de l'aéroport de Port-au-Prince, n'ont-ils pas tendance à prendre le dessus ?

Nous considérons qu'il est très important que les Etats-Unis soient mobilisés. Et loin de nous l'idée de penser qu'ils en font trop ! Ils apportent énormément à Haïti, et en très peu de temps.

La France est également intervenue très rapidement, avec les unités de protection civile venues de la Guadeloupe puis de métropole. Nous accueillons avec une énorme satisfaction cette aide.

Evidemment, cela pose des problèmes logistiques, mais c'est à nous, en liaison avec ces donateurs, de trouver des solutions.

 

On est toujours sans nouvelle du chef de la Minustah, Hédi Annabi. Au moins 36 employés de l'ONU sont morts, près de 200 sont portés disparus. La mission peut-elle fonctionner ?

Elle fonctionne, même si ce n'est pas à pleine capacité. Il y a 3 000 de nos personnels à Port-au-Prince, essentiellement des militaires et des policiers. Ils font un travail énorme et admirable de dégagement des personnes sous les décombres et de sécurisation des places principales, comme le palais présidentiel, l'aéroport ou le port. Ils patrouillent dans les rues de la ville pour assurer la sécurité.

Tout cela fonctionne. Mais il nous faut maintenant renforcer notre coordination de l'action humanitaire. C'est pourquoi nous envoyons des personnels supplémentaires en Haïti.

Propos recueillis par Philippe Bolopion

Article paru dans l'édition du 16.01.10

 

Haïti : le gouvernement évoque plus de 50 000 morts

LEMONDE.FR | 15.01.10 | 22h32  •  Mis à jour le 15.01.10 | 22h42

Trois jours après le séisme qui a ravagé Haïti, la situation sur place apparaît toujours aussi catastrophique. Dans les rues de Port-au-Prince dévastées, les Haïtiens sont gagnés par la colère et le désespoir. Alors que les promesses de dons et annonces d'aides internationales s'amassent, les secours peinent toujours à arriver aux survivants.

Les autorités haïtiennes ont déjà ramassé près de 15 000 corps dans les artères principales de la capitale, annonce vendredi soir le premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive (lire le reportage Port-au-Prince commence à compter ses morts). Vendredi, le ministre haïtien de la santé publique, Alex Larsen, a évoqué un bilan qui pourrait atteindre 50 000 morts et plus de 250 000 blessés. Une branche de l'OMS annonce quant à elle un bilan pouvant atteindre 100 000 morts si les conditions sanitaires ne s'améliorent pas. Les cadavres jonchent toujours la ville. "Il y a tant de corps dans les rues que les morgues sont pleines, les cimetières sont pleins", a témoigné le chanteur américano-haïtien Wyclef Jean, venu prêter main-forte à ses compatriotes. Si rien n'est fait pour satisfaire les besoins urgents de la population, tels que le logement, l'accès à l'eau et à la nourriture, "on court le risque d'avoir des émeutes", a mis en garde le ministre de la défense brésilien, Nelson Jobim, à son retour de la capitale haïtienne.

PROBLÈMES DE COORDINATION DE L'AIDE

Le principal problème auquel les sauveteurs doivent faire face reste la difficulté à coordonner les secours (lire l'article L'aide humanitaire confrontée au double défi de la logistique et de la coordination). L'Etat haïtien est  quasiment décapité, même si le président René Préval et son premier ministre sont toujours en vie (voir le portfolio Des bâtiments publics détruits ou endommagés). L'aéroport est toujours saturé et les avions ne peuvent y atterrir qu'au compte-gouttes. Les organisations humanitaires craignent aussi de travailler dans des conditions de sécurité précaires (voir le reportage Avec les pompiers français en route pour Haïti). L'information selon laquelle les entrepôts du Programme alimentaire mondial ont été dévalisés a un temps couru avant d'être démentie. Le PAM pense que deux millions d'Haïtiens auront besoin d'une aide alimentaire dans les mois qui viennent, mais il ne peut pour le moment pas utiliser le port de la capitale, qui a été gravement endommagé.

Pendant ce temps, la situation à l'aéroport de Port-au-Prince est toujours difficile malgré la prise en main de la situation par l'armée américaine. L'un des conseillers à la sécurité nationale du président américain, Barack Obama, a été envoyé, jeudi, avec un responsable du Pentagone pour coordonner l'aide américaine sur le terrain (lire sur notre blog Les Américains prennent en charge la coordination de l’aide). Les Etats-Unis devraient disposer de 9 000 à 10 000 soldats sur le terrain ainsi que sur des navires autour de l'île.

LES ÉQUIPES DE RECHERCHE DÉBORDÉES

Dans un communiqué, l'ONU a précisé que plus de 25 équipes de recherche et de secours étaient désormais déployées et que treize autres sont attendues. Mais pour le moment, l'aide se concentre sur les grands bâtiments de la capitale haïtienne, les écoles, les hôpitaux et les hôtels. Dans les rues, les survivants s'improvisent parfois sauveteurs, mais c'est la désorganisation qui règne. Les sinistrés déambulent au milieu des ruines et de la puanteur des cadavres, rendue encore plus insoutenable par la chaleur tropicale qui règne dans l'île (voir le Télézapping Morts et vivants se partagent les trottoirs).

L'ONU s'apprêtait à lancer dans la journée un appel d'urgence à la communauté internationale pour récolter 560 millions de dollars pour Haïti. Ces fonds seront débloqués en urgence pour fournir des vivres, du matériel médical, de l'eau et des tentes. L'organisation a déjà reçu des promesses d'aide à hauteur de 268,5 millions de dollars d'une vingtaine de pays, institutions et entreprises. La moitié de la somme récoltée sera destinée à l'aide alimentaire, a précisé John Holmes, coordinateur à l'ONU des opérations de secours d'urgence.

Alain Joyandet a annoncé vendredi soir que huit français sont morts dans la catastrophe. Quelque 1 400 Français vivent en Haïti, dont 1 200 à Port-au-Prince. Le ministre français de la coopération a dit nourrir de "vives inquiétudes" pour 20 à 30 d'entre-eux que les services consulaires n'arrivent pas joindre. Vendredi près de 150 ressortissants français ont été évacués et ont atterri à Orly (lire l'article Ça ressemblait à un bombardement pendant une guerre).
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