第八天:2010 1 19

 

Les Vingt-Sept promettent 430 millions d'euros

LE MONDE | 19.01.10 | 14h04

Bruxelles Bureau européen

Un test grandeur nature : Catherine Ashton entend être la chef de fil de l'engagement européen en faveur d'Haïti. La toute nouvelle haute représentante des Vingt-Sept pour les affaires étrangères a présidé, lundi 18 janvier, à Bruxelles, une réunion de crise des ministres du développement.

A l'inverse de la chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton, la Britannique a renoncé, à ce stade, à se rendre à Port-au-Prince. "Elle ne veut pas donner dans le tourisme du désastre", justifie son porte-parole, alors que des responsables européens ont fait le déplacement. "Elle a préféré passer un long week-end à Londres", persifle un diplomate du Conseil sous couvert d'anonymat.

Première réunion

Résultat : les demandes d'assistance des Nations unies sont passées par la présidence espagnole des Vingt-Sept, la vice-présidente du gouvernement ayant croisé le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, à Port-au-Prince. Et c'est le commissaire européen sortant au développement, le Belge Karel De Gucht, qui devrait s'envoler mercredi pour Haïti.

Face au déferlement de l'aide américaine, les Européens ont néanmoins tenté de parler d'une seule voix, lundi, près d'une semaine après la catastrophe. A ce stade, ils promettent au moins 430 millions d'euros d'aide, financés au trois quarts sur les fonds communautaires, dont 120 millions d'euros attribués en urgence.

Les Européens examinent l'envoi d'une force de sécurisation des opérations de secours. A la demande de l'ONU, il est question de dépêcher à Port-au-Prince un premier contingent d'environ 150 policiers ou gendarmes. Le gouvernement français avait suggéré d'envoyer jusqu'à un millier de gendarmes. Des effectifs mobilisables, selon Paris, à partir de la Force européenne de gendarmerie, à laquelle participent cinq pays - France, Italie, Espagne, Pays-Bas et Portugal. "Un accord de principe a été dégagé", s'est réjoui M. Joyandet : "Il reste à s'entendre sur les modalités."

Une première réunion des Vingt-Sept chargés des questions de sécurité n'a rien donné lundi ; une deuxième devait suivre mardi. "Les demandes des Nations unies ne sont pas très précises", indique-t-on à Bruxelles. Cette opération viendrait en soutien des 9 000 hommes de la Mission de stabilisation de l'ONU en Haïti, auxquels le secrétaire général de l'ONU souhaite adjoindre 3 500 personnes. Et aux quelque 10 000 soldats américains déployés sur place.

Philippe Ricard

Article paru dans l'édition du 20.01.10

 

Les Etats-Unis, le Canada et le Brésil en pointe en Haïti

LEMONDE.FR avec AFP | 19.01.10 | 10h03  •  Mis à jour le 19.01.10 | 10h14

La suggestion par Barack Obama d'un trio Etats-Unis-Brésil-Canada pour diriger les efforts de coopération des donateurs en Haïti ne veut pas dire une exclusion de la France, affirme Pierre Lellouche, le secrétaire d'Etat aux affaires européennes français. Interrogé sur Canal + sur l'oubli apparent du président américain d'y associer la France et l'Europe, il a répondu : "C'est une tendance qu'il a... non je plaisante. Je crois que, la pire des choses, c'est d'essayer de monter les uns contre les autres. Il faut qu'on travaille tous ensemble." "Il y a une conférence prévue le 25, à Montréal, qui doit préparer une grande conférence internationale de reconstruction, a-t-il rappelé. Personne n'écarte personne. L'Amérique a besoin de l'Europe, et l'Europe des Etats-Unis."

Le président des Etats-Unis, Barack Obama, a appelé lundi son homologue brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, et a suggéré que les deux pays dirigent avec le Canada les efforts de coopération des donateurs en Haïti. Les deux présidents auraient abordé différents aspects de la coordination des donateurs en vue de la reconstruction du pays.

Lula a pour sa part affirmé qu'il était nécessaire de créer des structures parallèles d'organisation pour aider la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) dans des entreprises qui n'étaient pas les siennes au départ, comme la distribution d'eau et de nourriture. Le Brésil exerce le commandement militaire de la mission en Haïti, où il a déployé environ 1 300 militaires. Après le séisme, les Etats-Unis ont annoncé l'envoi de plus de 10 000 effectifs militaires.

Interrogé sur la visibilité de l'Europe dans l'aide au pays sinistré, Pierre Lellouche reconnaît un "déficit d'image" : "Je suis comme vous, un Européen frustré qui veut toujours que ça aille plus fort et plus vite [et] j'aimerais que cela soit plus visible et plus fort." Il a rappelé que le président de l'Union européenne, Herman Van Rompuy, et la nouvelle haute représentante pour la diplomatie, Catherine Ashton, ne sont en fonctions que depuis quinze jours. Le secrétaire d'Etat à la coopération, Alain Joyandet, affirme, mardi dans un entretien à France-Soir, que la France sera impliquée dans la reconstruction d'Haïti."La France veut être l'un des moteurs de la reconstruction comme nous l'avons été dans les secours", déclare-t-il.

 

La sécurité civile a transformé le lycée français en hôpital de campagne

LE MONDE | 19.01.10 | 10h21

Port-au-Prince, envoyé spécial

Il aura fallu un peu plus d'une nuit au contingent de la sécurité civile pour transformer le lycée français Alexandre-Dumas de Port-au-Prince en un hôpital de campagne. "Un hôpital aux normes européennes, avec bloc opératoire et salle de radio et d'échographie", souligne le colonel de sapeurs-pompiers Michel Orcel.

"La structure du lycée est intacte, mais nous avons suspendu les classes comme tous les établissements haïtiens en raison de la situation et de l'état d'urgence" qui vient d'être décrété par le gouvernement, explique le proviseur, Gérard Arnaud. La plupart des élèves avaient quitté le lycée lors du séisme du 12 janvier, mais au moins quatre d'entre eux sont morts chez eux. "Je n'ai encore localisé qu'une centaine des 340 élèves du primaire. Pour les adolescents, c'est plus facile grâce à Facebook et à Twitter", ajoute le proviseur.

"Nous avons acheminé 38 tonnes d'équipements et avons commencé à installer l'hôpital dimanche [17 janvier] à 18 heures", raconte le colonel Orcel. Les premiers blessés sont arrivés le lendemain matin. Les radios de la capitale appellent les personnes disposant de véhicules et d'essence à les acheminer vers le lycée français. Sous les tentes installées sur les terrains de sport, les dix médecins et les quarante infirmières et paramédicaux sont à l'œuvre. Un chirurgien ampute un blessé dans le bloc opératoire.

"Nous avons une soixantaine de lits et pouvons monter jusqu'à cent si nous avons un complément de personnel", explique le lieutenant-colonel François Vallette, responsable de l'hôpital, qui fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Autonome grâce à un groupe électrogène, il dispose d'un stock de médicaments pour une quinzaine de jours et peut traiter quotidiennement environ 250 patients.

EXPLOSION DES PRIX

"Nous avons 500 membres de la sécurité civile à Port-au-Prince et nous pensons monter à 600", précise le colonel Stéphane Sadak, qui coordonne les opérations. "Notre première tâche a été d'aider à l'évacuation de ressortissants français et de rechercher les survivants dans les décombres", explique le colonel Philippe Cova, chef d'état-major en Martinique. Les sauveteurs français ont dégagé 14 survivants.

Ici et là, de gros engins de chantier commencent à s'attaquer aux montagnes de décombres et l'on voit beaucoup moins de cadavres dans les rues. La distribution de l'aide s'organise peu à peu tandis que le ballet des avions chargés de secours continue à l'aéroport contrôlé par les Américains. Les petites marchandes ont recommencé à installer leurs étals sur les trottoirs dans les quartiers les moins touchés, mais tout le monde se plaint de l'explosion des prix.

La radio annonce que la Banque de la République d'Haïti va rouvrir ses succursales qui n'ont pas été détruites. "Nous nous sommes réunis avec le secteur privé. Ils nous disent qu'ils sont prêts à reprendre leurs opérations, quand ils le peuvent, mais qu'ils ont besoin de sécurité", nous dit le premier ministre, Jean-Max Bellerive. La réouverture des banques et des maisons de transfert est l'une de ses nombreuses priorités pour que les Haïtiens de la diaspora puissent venir en aide à leurs familles.

Jean-Michel Caroit

Article paru dans l'édition du 20.01.10

 

Dans les crèches d’Haïti, l’attente des orphelins

LE MONDE | 19.01.10 | 10h21  •  Mis à jour le 19.01.10 | 10h29

Port-au-Prince, Envoyé spéciale

Elle est élégante, Evelyne Midi Jacques, les cheveux lissés et tirés en arrière et la robe de coton blanc, brodée, impeccable. "Dans la poussière, le malheur, le chaos, la femme haïtienne veut toujours rester digne, présentable. C'est une question de respect", dit-elle simplement.

Depuis six jours, elle dort sur le bord de la rue Delma, un quartier populaire, avec 78 enfants de 5 mois à 8 ans. Depuis six jours, elle court, soigne, rassure, console, nourrit, fait face. Depuis six jours, elle lutte contre cette image obsédante qui ne la quittera plus : l'ensevelissement sous les gravats de la crèche Notre-Dame de la Nativité dont elle est la directrice. La perte, en quelques secondes, de 56 enfants.

"On avait fini de laver les petits. Ils étaient tous devant le grand poste de télé pour voir un DVD, Blanche-Neige, ou quelque chose comme ça. Moi, j'arrivais tout juste en voiture. Soudain, il y eut un terrible grondement. Ce bruit ne me sortira jamais de ma tête. Dans l'auto, c'est comme si on était dans la mer, et qu'on allait être englouti. Je suis sortie, me suis cramponnée à la barrière, le garçon de cour m'a alors retenue dans ses bras. "N'entrez pas", m'a-t-il dit. "C'est l'horreur. C'est pas quelque chose à voir. Les enfants sont tous morts"."

Devant elle, un gigantesque nuage noir. Elle s'est précipitée sans pouvoir rien distinguer, elle a appelé à l'aide. Et dans le fatras, le béton, la poussière, guidée par les cris, elle a retrouvé près de 70enfants. Quelques autres émergeront des ruines, un jour plus tard, deux, voire cinq pour une petite fille, Angeline, qui, depuis, couverte de plaies, ne parle guère.

Elle nous montre les ruines, puisqu'on le lui demande. La maison, dit-elle, était jolie et fonctionnelle avec la pouponnière à l'étage. Il n'y a plus de nourrissons. Et ce soir, c'est dans le petit jardin d'une autre maison fêlée qu'elle va installer les enfants. Une maman la suit, hagarde, dont une petite Falah est morte dans la crèche. Une autre arrive qui, désemparée, voudrait lui confier son fils de 8ans. Oui, les enfants de la crèche ont des parents biologiques. Et quelque part en France des parents adoptants.

"Je les connais !, dit Evelyne Midi Jacques. Ils ont déjà tous passé une huitaine de jours avec les petits. Et j'imagine leur angoisse aujourd'hui. Mon Dieu ! Mon téléphone ne fonctionne plus mais c'est un soulagement de n'avoir pas à leur répondre. L'ambassade pourra le faire puisque j'ai donné tous les noms." Elle voudrait plus, en fait, de l'ambassade : un grand coup de pouce pour accélérer les adoptions. "Je veux mettre à l'abri mes petits survivants. Qu'ils partent chez leurs parents français ! Qu'ils quittent ce pays qui ne peut rien leur offrir. Qu'on les évacue au plus vite. On régularisera les papiers ensuite." Les dossiers ? Les agréments ? La procédure ? "De quoi me parlez-vous ? Il y avait des dossiers à tous les stades du processus: parquet, ministère de la justice, ministère intérieur. Mais ils sont tous détruits, enfouis ou brûlés ! Les enfants ne peuvent attendre !"

Dans la cour de l'ambassade de France, ce jour-là, la doctoresse Elcy Faucher qui dirige la crèche Le Foyer du soleil à Pétionville, est venue, elle aussi, solliciter de l'aide. A la différence des autres maisons du quartier, le bâtiment ne s'est pas effondré. Mais il est fissuré et elle a transféré les enfants dans sa propre maison. "Non, dit-elle, elle n'est pas immense. Disons que je me suis accommodée." Le personnel de la crèche a en partie déserté, l'un a perdu sa mère, l'autre son fils, certains une maison. "Je me suis débrouillée, dit-elle. Mais, là, franchement, je vais manquer de nourriture. J'évite le lactose pour les bébés, car je crains les diarrhées. Mais il me faut de l'eau. Mon réservoir se vide !" Elle voudrait surtout que partent d'urgence en France ceux qui y sont attendus. 21 enfants ont déjà fait l'objet d'un jugement d'homologation. "Je connais les parents de 19 d'entre eux, tous venus à Port-au-Prince devant le juge de paix. Qu'on leur envoie donc les enfants ! S'ils sont sortis vivants de cette histoire, il faut les sauver. N'importe quoi ici peut encore arriver. Une réplique. Des épidémies. Il leur faut d'urgence un sauf-conduit !"

Ce lundi, au même moment, le président Sarkozy réunissait en urgence à l'Elysée les représentants de différents ministères concernés par le sujet. Sujet brûlant, vu l'angoisse des familles adoptantes et la pression qu'elles entendent exercer pour une accélération de l'arrivée des enfants.

Sujet planétaire, les Pays-Bas annonçant vouloir rapatrier 109 petits Haïtiens, les Etats-Unis montrant aussi un fort intérêt. Mais sujet polémique, vu la forte demande d'enfants (avec 750 adoptions en 2009, la France est de loin le premier pays d'accueil des petits Haïtiens) et l'extrême vulnérabilité du pays fournisseur ainsi que des familles.

L'Unicef appelle d'ores et déjà les autorités à éviter "toute précipitation". Les orphelins produits par le séisme vont forcément susciter un élan… Le secrétaire d'Etat à la coopération, Alain Joyandet, a affirmé que seuls les enfants haïtiens dont les dossiers d'adoption sont complets seraient évacués vers la France. Et le ministère des affaires étrangères, à l'issue de la réunion de lundi, a montré la même prudence.

A Port-au-Prince, l'ambassadeur Dider Le Bret veut être pragmatique. Il contactait lundi les responsables du Programme alimentaire mondial (PAM) pour que les crèches bénéficient de l'aide et soient desservies. Il préparait une tournée de tous les établissements afin d'établir au plus vite un état des lieux : état de santé des petits, nombre de morts et de blessés.

Enfin, il promettait d'organiser, via les Antilles, le rapatriement des enfants bénéficiant de toutes les autorisations des autorités haïtiennes. Près de 1 500 dossiers seraient actuellement en cours.

Annick Cojean

Article paru dans l'édition du 20.01.10

 

Analyse

Les Etats-Unis en Haïti, une question de leadership

LE MONDE | 19.01.10 | 12h04  •  Mis à jour le 19.01.10 | 12h25

Washington, correspondante

A voir leur président apparaître aussi souvent sur les écrans, les Américains auraient pu croire que la catastrophe s'était produite sur leur sol. Dans les trois jours qui ont suivi le tremblement de terre à Haïti, le président Barack Obama a multiplié les déclarations à la Maison Blanche, envoyé 10 000 soldats, un porte-avions muni de 19 hélicoptères, et débloqué 100 millions de dollars. La marine a été priée de faire des miracles. Le navire-hôpital Comfort, un mastodonte équipé de douze salles d'opérations, n'avait jamais été prêt aussi vite. En moins de 48 heures, il a levé l'ancre pour Port-au-Prince où il devait arriver mercredi 20 janvier.

Barack Obama a d'entrée pris les choses en main – instinctivement, dirait-on presque. S'il a désigné le tout nouveau responsable de l'agence américaine pour le développement USAID, Rajiv Shah, un jeune médecin d'origine indienne, comme coordonnateur, c'est lui qui a déclaré la situation "prioritaire", au point de mériter de retenir à Washington les secrétaires à la défense et aux affaires étrangères, attendus en Australie pour un sommet consacré à l'Afghanistan et à la lutte antiterroriste.

M. Obama a aussi dépêché l'un de ses plus proches collaborateurs, Dennis McDonough, à Port-au-Prince pour coordonner la communication. Il est vrai que les présentateurs des journaux du soir débarquaient, eux aussi, à Haïti (dans quel avion? demanderont certains).

RÉACTION ÉCLAIR BIEN ACCUEILLIE AUX ETATS-UNIS

L'administration Obama a-t-elle devancé l'appel ? S'est-elle indûment précipitée ? Sans doute est-ce l'avis de ceux – Français, Italiens, Brésiliens – dont les avions de secours se sont trouvés déroutés sur les autres aéroports de la région par des Américains croyant par définition bien faire, mais que nulle autorité supérieure n'avait mandatés.

Dans le quotidien USA Today, lundi 19 janvier, les spécialistes de l'US Air Force ont raconté comment ils avaient procédé en débarquant à l'aéroport 24 heures après le tremblement de terre. C'était la pagaille. La tour de contrôle était endommagée. "On est allés voir les pilotes et on leur a dit : hey, nous sommes des contrôleurs de combat de l'armée de l'air. Nous prenons le contrôle de l'aéroport", a raconté le sergent Chris Grove.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les Américains n'ignorent pas qu'on leur a reproché d'avoir évacué en priorité leurs compatriotes et d'avoir privilégié les vols militaires au détriment des secours : la sécurité, autrement dit, plutôt que l'aide humanitaire. Mais tout est rentré dans l'ordre, affirment-ils. Les vols de l'US Army sont désormais programmés de nuit.

Concernant les autres appareils, les priorités sont fixées "par le gouvernement haïtien". Et la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, a signé, lors de sa visite, un accord avec le président René Préval régularisant la prise de contrôle de l'aéroport. L'entretien a eu lieu dans le hangar "saisi" par le sergent Chris Grove et transformé depuis en QG américain.

Autant qu'un impératif humanitaire, Haïti est pour les Américains un impératif de sécurité nationale. A chaque soubresaut concernant la Caraïbe, et notamment Cuba, ils redoutent un exode qui jetterait des centaines de milliers de boat people vers la Floride, à 1 200 km seulement.

Pour justifier son engagement en faveur d'Haïti, Barack Obama a aussi ajouté un impératif moral au nom de "l'humanité commune" partagée par tous les peuples de la Terre. Pour l'image que les Américains se font d'eux-mêmes, et pour celle que leurs voisins ont d'eux, il est nécessaire d'aider au sauvetage d'Haïti, a-t-il dit. C'est une question de leadership.

Même si les deux situations n'ont rien à voir, le parallèle avec l'ouragan Katrina a été dressé, à son avantage – et à la grande satisfaction de la Maison Blanche. La réaction éclair du président – une demi-heure après avoir pris connaissance du séisme, il publiait déjà un communiqué – a été bien accueillie aux Etats-Unis, à quelques exceptions près.

La critique la plus acerbe a été celle de Rush Limbaugh, l'animateur radio de l'ultradroite, qui l'a accusé de courtiser la communauté afro-américaine, à un moment où elle se sent délaissée par son président "post-racial".

LONGUE HISTOIRE SOUVENT TOURMENTÉE

Haïti entretient une longue histoire – et souvent tourmentée – avec les Etats-Unis depuis la première campagne de juillet 1915, décidée par Woodrow Wilson, le précurseur des interventions armées menées au nom de la promotion de la démocratie (l'occupation dura dix-neuf ans).

Les Etats-Unis sont "revenus" en 1994, lorsque Bill Clinton s'est mis en tête de rétablir au pouvoir le Père Jean-Bertrand Aristide, victime d'un coup d'Etat. Puis en 2004 pour chasser le même Aristide devenu un sanglant dictateur. A chaque fois, l'armée américaine a servi d'élément avancé d'une force multinationale de l'ONU.

Saisie d'une ambition de faire "bien", l'administration Obama promet cette fois un engagement à long terme pour en finir avec un mal chronique. A un moment où deux guerres drainent leurs ressources, il est difficile de faire reproche aux Américains de prétendre à une quelconque nouvelle "occupation".

Si l'ONU avait eu des contrôleurs aériens à Port-au-Prince le lendemain du séisme, le sergent Chris Grove n'en serait pas à gendarmer le ciel d'Haïti.

Corine Lesnes

Article paru dans l'édition du 20.01.10

 

Pas de pitié pour Haïti, par Francis Marmande

LE MONDE | 19.01.10 | 13h51  •  Mis à jour le 19.01.10 | 13h51

Pas de pitié pour Haïti. Haïti en a plein le dos de votre compassion. Haïti crève d'être champion du monde de la pauvreté. Haïti et sa "malédiction" vous emmerdent. Pas la moindre malédiction qui pèse sur Haïti. Pas plus que d'injustice divine. Sur tous les tons, les poètes d'Haïti, les jeunes Haïtiens de France, Dany Laferrière dans Le Monde (17-18 janvier) le disent.

Son dernier séisme l'a d'autant mieux frappée que la malédiction d'Haïti porte des noms et des dettes très humains. Tyrans, profiteurs, Etats, la France donnant le bras à l'Amérique depuis 1825, plus l'armée de revanchards qui n'encaisseront jamais Toussaint Louverture, l'insolente révolte d'esclaves et la création de la première république nègre.

De sa voix douce de sage inquiet, Jean Métellus, médecin, poète, égrène les forfaits que son île a subis. Entre les malfaiteurs, il nomme à regret Jules Ferry. Métellus ne vit ni dans le ressentiment ni dans l'idée obscène qu'Haïti serait victime de son sort. Il vit dans l'espoir, et s'en ouvre à Jean-Jacques Bourdin, sur RMC. Bourdin, je n'ai jamais bien compris qui c'était : grande gueule, démagogue ou redresseur de torts ?

Il me suffit qu'il invite Métellus, le jour où la télévision de service public (France 2) se vautre dans un faux débat entre un faux jeton et une faire-valoir haineuse, sur l'inépuisable thème de l'immigration. Eric Besson a donné le matin même "instruction à ses services de suspendre immédiatement toutes procédures de reconduite dans leur pays d'origine des ressortissants haïtiens en situation irrégulière sur le territoire national" ? Sympa, Besson. Continuez de suspendre. Si la corde tient bien, le Nègre ne gigotera pas longtemps.

Cependant que Métellus, auteur d'une Nation pathétique, devisait avec Bourdin, les mails pleuvaient en studio. Bourdin les lisait : "Assez avec Haïti !", piaillaient les mails. "Ça suffit !", râlaient les mails, "Nous aussi, nous avons nos problèmes !". Nous aussi. Oui, braves gens, vous avez raison d'en avoir marre d'Haïti. Marre de la médiatisation de ces René Depestre, Dany Laferrière, Trouillot, Danticat, avec lesquels on vous casse la tête. Marre des musiciens d'Haïti, marre des peintres d'Haïti. Marre de l'intelligence d'Haïti. Vous en avez marre d'Haïti, parce qu'Haïti ne réveille en vous que la pitié, cette grimace du mépris. Ne craignez rien. Dans trois semaines, vous aurez tout oublié d'Haïti.

La scène se passe dans un quartier populaire de Port-au-Prince, Carrefour. Eux là, ceux de Carrefour, tout le monde les a déjà oubliés, de toute éternité. L'une après l'autre, sous les décombres, leurs voix se sont éteintes. Restent quelques Nègres errants qui ont besoin de tout. Passe un camion canadien qui a de l'eau, des vivres, des médicaments. Il s'arrête. Le camion jette un oeil. Pas un Canadien en vue. Le camion s'en va. Nous sommes tous des camions canadiens.

Article paru dans l'édition du 20.01.10

 

Point de vue

Dans les moments tragiques, les Etats-Unis réagissent et apportent leur aide, par Barack Obama

LE MONDE | 19.01.10 | 13h59  •  Mis à jour le 19.01.10 | 13h59

Depuis une semaine, nous sommes tous profondément émus devant les images déchirantes du désastre survenu en Haïti : parents fouillant les décombres à la recherche de leurs fils et de leurs filles ; enfants seuls et apeurés cherchant leur père et mère. Des quartiers entiers de Port-au-Prince sont en ruine et les familles doivent chercher refuge dans des campements de fortune. C'est un spectacle terrible que ces vies dévastées dans un pays déshérité qui a déjà tant souffert.

J'ai tout de suite ordonné un effort rapide, coordonné et pugnace afin de sauver des vies en Haïti. Nous avons déployé l'une des plus vastes opérations de secours de l'histoire récente. J'ai donné pour instruction aux responsables des différentes agences du gouvernement fédéral de faire de cette opération notre priorité. Nous mobilisons actuellement tous les éléments de notre capacité nationale : les ressources des agences de développement, la puissance de nos forces armées, et, surtout, la compassion du peuple américain. Nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement haïtien, les Nations unies et les nombreux partenaires internationaux qui contribuent à cet effort extraordinaire.

Nous agissons par égard pour les milliers de citoyens américains présents en Haïti, ainsi que pour leurs familles résidant aux Etats-Unis ; par égard pour le peuple haïtien, qui a été victime d'une histoire tragique, mais qui a su faire preuve d'une formidable résilience ; et nous agissons aussi en raison des liens étroits que nous entretenons avec un voisin qui n'est distant que de quelques centaines de kilomètres au sud de nos côtes. Mais avant tout, nous agissons pour une raison toute simple : dans les moments tragiques, les Etats-Unis d'Amérique se mobilisent et apportent leur aide. C'est ainsi que nous sommes. C'est ainsi que nous agissons.

Depuis des décennies, le leadership américain est fondé en partie sur le fait que nous ne recourons pas à notre puissance pour soumettre les autres, nous l'utilisons pour les aider à reprendre pied - que ce soit en aidant à la reconstruction de nos anciens adversaires après la seconde guerre mondiale, en parachutant de l'eau et des vivres à la population berlinoise, ou en aidant les peuples de Serbie et du Kosovo à reconstruire leurs vies et leurs pays. Et cela n'est jamais aussi vrai que dans les moments de grands périls et de grande souffrance humaine. C'est pour cette raison que nous avons agi pour aider les Africains à combattre le fléau du sida sur leur continent, ou pour venir en aide aux victimes d'un tsunami catastrophique en Asie. Quand nous ne montrons pas seulement notre puissance, mais aussi notre compassion, le monde nous considère avec un mélange de respect et d'admiration. Cela renforce notre leadership. Cela montre le caractère de notre pays. C'est pour cela que chaque Américain peut considérer cette opération de secours avec la fierté de savoir que l'Amérique agit au nom de notre humanité commune.

En cet instant même, nos équipes de recherche et de sauvetage dépêchées sur le terrain s'efforcent d'extraire les survivants des décombres. Des Américains de Virginie, de Californie et de Floride travaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour sauver des gens qu'ils n'ont jamais vus de leur vie. Nos soldats, marins, aviateurs, marines et gardes-côtes se sont rapidement déployés sur la zone. En collaboration avec nos civils, ils oeuvrent nuit et jour pour mettre en place une entreprise logistique de grande ampleur ; pour acheminer et distribuer de la nourriture, de l'eau et des médicaments afin de sauver des vies ; et pour empêcher une catastrophe humanitaire plus grande encore.

D'autres moyens de secours sont en route. Cette opération de sauvetage et de reconstruction sera complexe et difficile, et il faut du temps pour apporter toutes les ressources nécessaires dans un environnement à ce point dévasté. Mais des équipes de secours, des médecins, des infirmières et des auxiliaires médicaux américains supplémentaires vont arriver pour prendre soin des blessés. De l'eau, de la nourriture et du matériel seront encore acheminés. Un porte-avions est arrivé sur place. Un navire-hôpital a été dépêché. D'autres avions et engins de terrassement serviront à rétablir les communications et à dégager les routes et les ports afin d'accélérer les secours et de hâter la remise en état.

Mais, en ce nouveau siècle, nous ne pourrons répondre seuls à aucun grand défi. Dans cet effort humanitaire, nous oeuvrerons en étroite collaboration avec d'autres pays, afin que notre travail sur le terrain soit le plus efficace possible malgré des conditions très difficiles. Nous collaborerons également avec les Nations unies, qui ont tant fait au cours des années pour assurer stabilité et sécurité en Haïti, et qui ont subi des pertes terribles dans cette tragédie. Et nous travaillerons de concert avec la constellation d'organisations non gouvernementales qui s'efforcent depuis des années d'améliorer la vie du peuple haïtien.

Il est également important de souligner que tous ces efforts seront soutenus par la bonne volonté et la générosité des citoyens ordinaires. Les gouvernements seuls n'y suffiront pas. Un nombre record de dons sont d'ores et déjà arrivés sous forme de textos. L'argent afflue à la Croix-Rouge et dans d'autres organisations humanitaires. Je veux remercier les nombreux Américains qui ont contribué à cet effort, et je veux encourager tous les Américains qui souhaitent apporter leur aide à se rendre sur le site whitehouse.gov pour en savoir plus.

Enfin, au cours des jours, des mois et des années qui viennent, nous devrons travailler étroitement avec le gouvernement et le peuple haïtiens afin qu'ils retrouvent le dynamisme dont ils faisaient preuve avant le tremblement de terre. Il est particulièrement navrant en effet que cette catastrophe soit survenue à un moment où - enfin, après des décennies de conflit et d'instabilité - Haïti montrait des signes encourageants de progrès économique et politique. Dans les mois et les années qui viennent, lorsque les répliques se seront apaisées et qu'Haïti ne fera plus les gros titres dans les journaux et à la télévision, notre mission sera d'aider le peuple d'Haïti à poursuivre sa route vers un avenir meilleur. Tout au long de ce cheminement, les Etats-Unis seront aux côtés du gouvernement haïtien et des Nations unies.

Ce désastre nous rappelle une fois de plus que la vie peut être d'une cruauté inimaginable. Douleur et perte sont bien souvent infligées sans justice ni pitié. Ce "hasard de l'instant" peut frapper chacun d'entre nous. Mais c'est aussi dans ces moments-là, lorsque nous sommes confrontés à notre propre fragilité, que nous redécouvrons notre humanité commune. Nous regardons dans les yeux d'un autre homme et nous nous y voyons nous-mêmes. C'est pourquoi les Etats-Unis d'Amérique prendront la tête de cette entreprise humanitaire mondiale. Cela fait partie de notre histoire, et c'est ainsi que nous répondrons à ce vaste défi.

Traduit de l'anglais par Gilles Berton
© "Newsweek"

Barack Obama est président des Etats-Unis.

Article paru dans l'édition du 20.01.10

 

Point de vue

Haïti, "pupille de l'humanité", par Régis Debray

LE MONDE | 19.01.10 | 13h59

A catastrophe hors norme, réponse hors norme. La remise sur pied d'un peuple entier jeté à terre n'a pas de précédent. Elle ne peut qu'outrepasser, sans bien sûr les invalider, les voies et moyens ordinaires de la solidarité multilatérale.

Mais l'extrême urgence et les meilleurs des sentiments ne doivent pas déboucher sur une prise de contrôle unilatérale d'un petit pays par un très grand, préparant peut-être une remise sous tutelle de type impérial. Une nouvelle conception de l'entraide doit émerger, à l'échelle du siècle.

Au lendemain de la première guerre mondiale, la République a forgé le statut de pupille de la nation, en vertu duquel les descendants de victimes de guerre ont droit jusqu'à leur majorité à la protection morale et à l'aide matérielle de l'Etat, en vertu d'un jugement d'adoption.

En 2010, il n'y a pas de guerre mondiale sur la planète, mais il y a, localement, des dévastations et des détresses collectives d'ampleur équivalente affectant des peuples adultes, dont la planète doit se saisir.

A l'heure de toutes les mondialisations et des "bla-bla" sur le global, il n'y a certes pas de République mondiale, mais il y a ce qu'il est convenu d'appeler une communauté internationale, symbolisée par l'Organisation des Nations unies (ONU). Pourquoi, changeant d'échelle, ne pas déclarer Haïti "pupille de l'humanité" ? Et pourquoi cette instance n'élaborerait-elle pas une

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