第三天:2010 1 14

 

L'activation d'une faille qui traverse l'île d'est en ouest

LE MONDE | 14.01.10 | 14h00

Le séisme de magnitude 7, qui a frappé Haïti, mardi 12 janvier à 16 h 53 (heure locale), est intervenu à la frontière entre deux plaques tectoniques. Celle des Caraïbes se déplace de deux centimètres par an par rapport à la plaque nord-américaine, prenant en tenaille l'île d'Hispaniola, sur laquelle se trouve Haïti. L'île est parcourue d'est en ouest par un système de failles, notamment des failles "transformantes", situées entre deux plaques coulissant en sens inverse. Dans son plan national de gestion des risques et des désastres, en 2001, le ministère haïtien de l'intérieur citait la faille d'Enriquillo-Plantain Garden, qui traverse la presqu'île du sud d'Haïti. Il soulignait que l'activité sismique passée montrait une accumulation d'énergie due à la longue période de "silence sismique" dans ces failles. "Cette situation crée les conditions susceptibles de déclencher un événement de très grande envergure (7,5 ou plus dans l'échelle de Richter)", lit-on dans ce rapport.

Selon l'US Geological Survey (USGS), c'est précisément sur la faille d'Enriquillo-Plantain Garden que le tremblement de terre est survenu. L'USGS a enregistré six répliques dans les heures qui ont suivi la secousse initiale, et il n'exclut pas, dans les jours et semaines à venir, de nouveaux séismes, de moindre ampleur.

Hervé Morin

Article paru dans l'édition du 15.01.10

 

A Port-au-Prince, une situation "dantesque"

LE MONDE | 14.01.10 | 08h04  •  Mis à jour le 14.01.10 | 10h37

Port-au-Prince, envoyé spécial

Partout ce ne sont que des amas de décombres, des cadavres allongés sur les trottoirs, des cris de douleur et des appels à l'aide. Mercredi après-midi, au lendemain du violent tremblement de terre qui a dévasté Haïti, la capitale, Port-au-Prince, offre un visage de désolation et aucun secours n'est encore arrivé.

Les autorités haïtiennes et la Mission de stabilisation des Nations Unies en Haïti (Minustah) apparaissent totalement dépassées par l'ampleur de la catastrophe qui a brutalement frappé le pays le plus pauvre des Amériques. Les communications téléphoniques sont coupées, et seules quelques radios continuent à informer la population.

Les témoignages éplorés se succèdent sur les ondes, de personnes à la recherche de parents enfouis lors de l'effondrement de centaines d'édifices. Sur l'une des stations de la capitale, le cinéaste Arnold Antonin, l'un des porte-paroles de la société civile, a lancé un appel urgent aux autorités toujours silencieuses 24 heures après le drame. Aucun engin n'était à l'œuvre pour dégager les tonnes de gravats.

La Minustah n'a pas été épargnée par le séisme : une centaine de ses membres a péri lorsque l'hôtel Christopher, qui abritait son quartier général s'est effondré. Selon des rumeurs non confirmées qui circulaient dans la capitale haïtienne, son chef, le tunisien Hedi Hannabi pourrait figurer parmi les victimes.

Personne n'est en mesure d'avancer un premier bilan du désastre. A en croire les témoignages recueillis dans les rues de la capitale, il reste un peu partout de très nombreux cadavres sous les immeubles effondrés. "Plus de 20 % du parc immobilier de la capitale est détruit ou sévèrement endommagé", évalue Georges Michel, journaliste, historien et médecin, qui vient de sillonner les quartiers de Port-au-Prince. "C'est dantesque, on n'avait jamais vu ça", ajoute-t-il.

CAMPEMENT IMPROVISÉ

Tout au long du boulevard de Delmas, large avenue reliant le centre de Port-au-Prince à la banlieue de Pétionville, des milliers d'habitants cheminent avec les maigres possessions qu'ils ont pu sauver, dans les bras ou sur la tête. L'air hagard, ils montent ou ils descendent l'avenue sans savoir où se réfugier.

L'un a chargé un cadavre, enveloppé à la hâte dans des sacs de jute, sur une charrette à bras. Deux jeunes transportent leur grand-mère, blessée à la tête et vêtue d'une chemise de nuit rose, sur une chaise en plastique. "Tous les hôpitaux du bas de la ville sont détruits", dit l'un d'eux.

Effrayés par les fortes répliques, qui continuaient 24 heures après la première secousse, la plupart des habitants ont dormi dehors. Le parc du collège Saint-Louis de Gonzague, non loin d'un commissariat de police complètement détruit, est transformé en un vaste campement improvisé.

Les habitants, dont les maisonnettes ont été balayées par le tremblement de terre, sont allongés sur des cartons, souvent à même le sol, parfois protégés du soleil par des draps.

Ici un terrain de foot, plus loin le terre-plein d'un carrefour, tous les espaces libres abritent désormais ces campements improvisés où des centaines de milliers de sinistrés sont privés de tout, y compris d'eau et de nourriture.

Avenue Christophe, le lycée Jean-Jacques Dessalines s'est effondré. "Il avait plusieurs étages, de nombreux élèves sont morts", affirme Jean Exeme Lundy. "J'ai perdu mon frère Auguste et mon filleul Nick", ajoute-t-il.

Un peu plus loin, rue Capois, le chaos règne à l'hôpital Saint Esprit. Le bâtiment, ébranlé par le séisme, est fermé et des dizaines de personnes, souvent grièvement blessées attendent en gémissant, allongées sur le sol devant l'hôpital. Fransa Jety, une très jeune femme, se précipite en hurlant : "Aidez moi à trouver des antibiotiques, ma fillette est en train de mourir d'une crise de tétanos", implore-t-elle.

La fillette, dévêtue, sur un bout de carton, est agitée de violents frissons. Le docteur Sintécile Benjamin apparaît impuissante. "Je suis venue comme bénévole, mais nous n'avons rien, aucun équipement, pas de médicament", soupire-t-elle. Beaucoup ont les membres brisés, comme Richard Sony, dont les deux jambes sont cassées, ou Monine Leblanc, enceinte de quatre mois, qui pousse de longs gémissements.

DES CADAVRES ALIGNÉS SUR LES BAS-CÔTÉS

La situation n'est pas moins chaotique à l'hôpital installé par Médecins sans frontières (MSF) dans une grande bâtisse à Pacot. L'autre hôpital ouvert par MSF au bas de la ville, Trinité, a été détruit par le tremblement de terre, de même que l'hôpital général.

Des dizaines de personnes tambourinent sur la grande porte métallique de l'hôpital de Pacot. Une femme, le pied transpercé par une grosse latte de bois, git devant la porte. Un pick-up approche chargé de cadavres. A l'intérieur la cour est jonchée de blessés.

"Nous sommes débordés, heureusement que des renforts vont arriver", dit un jeune français de MSF. Lionel Dervil, un commerçant de 38 ans, est venu avec un voisin pour tenter de récupérer le cadavre de son épouse. "Ils nous disent qu'ils doivent d'abord s'occuper des blessés, qu'ils n'ont pas le temps pour les morts", s'impatiente le voisin, Samuel Alexandre.

Sur la route qui descend vers le quartier de Canapé Vert, les cadavres sont alignés sur les bas-côtés. Le bidonville qui ronge la montagne, vers la gauche, semble avoir été bombardé. Une grande partie des petites maisons improvisées en parpaings s'est effondrée.

La plupart des stations service n'ont plus de carburant. Une longue file de véhicules s'est formée devant l'une des rares qui en distribue encore. De spéculateurs à la petite semaine proposent le précieux liquide dans des bidons d'un galon, au double du prix affiché.

Jean-Michel Caroit

Article paru dans l'édition du 15.01.10

 

Rétablir l’accès à l’eau potable, une priorité pour les ONG

LE MONDE | 14.01.10 | 10h36  •  Mis à jour le 14.01.10 | 17h19

Lancer des appels aux dons, tenter d'évaluer l'ampleur des besoins, et, surtout, envoyer sur place équipes et matériels : durant toute la journée du mercredi 13 janvier, les principales organisations non gouvernementales (ONG) françaises se sont mobilisées pour venir en aide aux Haïtiens.

Médecins sans frontières (MSF), qui a déjà accueilli un millier de blessés dans ses différents centres de soins de Port-au-Prince, devait envoyer dans la soirée un hôpital gonflable d'une capacité de 100 lits. Médecins du monde, face à "la gravité de la situation", annonçait l'envoi d'un charter de 40 tonnes de matériel logistique et d'équipements médicaux, ainsi qu'une équipe d'urgence d'une dizaine de médecins, chirurgiens, infirmiers et logisticiens.

La Croix-Rouge française (CRF) va distribuer des produits de première nécessité (couvertures, tentes, bâches, jerrycans) pour 20000 personnes, et "installer dès que possible" une première unité de traitement d'eau pour 40000 personnes.

L'eau, telle est aussi la priorité d'Action contre la faim (ACF). Pour cette ONG très présente à Haïti (une centaine de salariés dans le pays, dont une trentaine dans la capitale), l'aide alimentaire viendra ensuite. "Compte-tenu de l'urbanisation anarchique de Port-au-Prince, de la pauvreté endémique et de la manière dont fonctionne l'approvisionnement en eau dans la ville, il faut s'attendre à de grandes difficultés pour accéder à l'eau potable", estime son directeur, François Danel, en rappelant qu'après le passage des violents cyclones qui avaient affecté Haïti fin 2008, ce problème avait rapidement posé "une question de vie ou de mort" pour les populations. L'ONG, qui a fait partir, mercredi, une équipe d'urgence de six personnes dans l'avion affrété par le Quai d'Orsay, prévoit un nouveau départ d'ici la fin de la semaine, qui permettra d'acheminer mini-usines de filtration et produits chimiques de purification de l'eau.

BIDONVILLES

Reste, sur place, à organiser les secours. Avec deux écueils majeurs. Le premier, qui risque d'être particulièrement aigu dans les zones de distribution alimentaire, a trait à la sécurité. Les pillages se sont multipliés dès la survenue du séisme et risquent, dans les prochains jours, de constituer un handicap supplémentaire pour les équipes d'aide humanitaire.

Le second écueil concerne l'accès aux victimes et aux zones les plus détruites. Port-au-Prince compte en effet deux millions d'habitants, logés pour la plupart dans des bidonvilles situés au-dessus de la ville et inaccessibles aux véhicules… quand il en reste.

"La plupart de nos véhicules ayant été endommagés, notre première urgence va être de trouver les moyens de circuler dans la ville", précise M. Danel. Affirmant que "la structure urbaine de Port-au-Prince et de ses routes d'accès va rendre extrêmement difficile l'accès aux sinistrés", la société française Geosciences Consultants (GSC), spécialisée dans la prévention des risques et des catastrophes naturelles, a mis gratuitement des cartes de Port-au-Prince et de sa région à la disposition des ONG afin de faciliter leur travail

Catherine Vincent

Article paru dans l'édition du 15.01.10

 

Des gendarmes français pour protéger les secouristes et empêcher les pillages

LE MONDE | 14.01.10 | 09h08  •  Mis à jour le 14.01.10 | 09h13

Des gendarmes français pour protéger les secouristes et empêcher les pillages Le très haut niveau d'insécurité d'Haïti inquiète les ONG qui arrivent sur l'île sinistrée

"Depuis mardi soir, nous sommes sur le pied d'alerte. Douze heures après le séisme, les premières équipes étaient prêtes à partir à Haïti." Adjoint au chef du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic), installé à Asnières (Hauts-de-Seine), le colonel Brossard souligne "la rapidité" du dispositif de secours et de sécurité mis en place par la France.

Mercredi 13 janvier en début d'après-midi, 62 sapeurs-pompiers de Martinique et de Guadeloupe, accompagnés de médecins urgentistes, ont décollé de Fort-de-France pour rejoindre l'île des Caraïbes dévastée. Un détachement de 36 militaires de l'escadron de gendarmerie mobile d'Antibes, basés en Martinique, les escorte.

D'autre part, dans la soirée de mercredi, un avion s'est envolé de l'aéroport de Roissy en direction d'Istres (Bouches-du-Rhône), pour embarquer, à destination d'Haïti, 70 militaires de la sécurité civile. Parmi eux, des spécialistes des situations de crise et des systèmes de communication. Six équipes cynophiles font partie de ce détachement.

PLUS DE 350 PERSONNES MOBILISÉES PAR LA FRANCE

Le ministère de l'intérieur devait décider, dans la journée de jeudi 14 janvier, de l'éventuel envoi d'un contingent supplémentaire d'une centaine de sapeurs-pompiers de la région parisienne et du sud de la France, assistés de onze gendarmes et de militaires spécialistes du traitement de l'eau, afin d'installer des postes médicaux avancés dispensant des premiers soins à la population.

En fonction de l'évolution de la situation, un hôpital de campagne pourrait aussi être acheminé vers Port-au-Prince, avec une équipe de 80 médecins, chirurgiens, radiologues et anesthésistes. Ce qui porterait à plus de 350 personnes les forces totales mobilisées par la France.

La mission des premiers groupes de secouristes, décrit le colonel Brossard, est de participer aux opérations de sauvetage et de fouille des décombres. Les renforts auront pour tâche l'assistance médicale et sanitaire à la population haïtienne.

La présence des militaires, elle, s'explique par le très haut niveau d'insécurité qui règne en Haïti, l'un des pays les plus pauvres du monde. Leur mission est de "se placer à la disposition des autorités locales dans une démarche liée à la sécurité des personnes et des biens", indique la gendarmerie nationale.

Ils devront, tout en participant aux opérations de secours, assurer la protection des sauveteurs "face à des actes d'agression", et prévenir "toute tentative de pillage" dans les secteurs dévastés.

Bien évidemment, ils ont aussi pour consigne d'assurer la protection des quelque 1 400 ressortissants français, dont 1 200 dans la capitale. La gendarmerie nationale dispose en temps normal d'un contingent de 31 militaires basés en Haïti, dont 25, chargés de former et d'assister la police locale, participent à la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), les six autres étant affectés à la protection de l'ambassade de France.

Pierre Le Hir

Article paru dans l'édition du 15.01.10

 

L'ambassadeur de France : une situation "épouvantable", des millions de sans-abri

LE MONDE | 14.01.10 | 14h00

Des corps sans vie jonchant les rues dans des quartiers rasés, des survivants sans moyens à la recherche de cadavres dans les décombres... C'est une situation "épouvantable" qu'a décrite, mercredi 13 janvier, au lendemain du séisme dévastateur, l'ambassadeur de France en Haïti, Didier Le Bret.

"Il n'y a aucun moyen actuellement qui est mis en oeuvre, le peu de moyens dont disposait Port-au-Prince, à travers son service de pompiers, a été enseveli dès la première secousse ", a-t-il rapporté devant les caméras de France 2.

"Certaines rues sont jonchées de cadavres et on voit des gens, on voit apparaître une jambe, un bras, dans des tas de ferraille et de béton, raconte-t-il. J'ai traversé à pied deux quartiers, l'un où se trouve la résidence de l'ambassade de France, qui est totalement détruite, et un autre quartier qui s'appelle le Canapé Vert, là où se trouve la résidence du président, et je n'ai quasiment pas croisé une maison qui tenait."

"Il va falloir reloger 2 millions de personnes, poursuit l'ambassadeur. Les gens sont dans la rue et maintenant certains d'entre eux, avec leur seule bonne volonté, cherchent à retrouver les cadavres dans les décombres".

Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a indiqué, mercredi 13 janvier, qu'une cinquantaine de Français qui se trouvaient dans des secteurs particulièrement touchées par le tremblement de terre sont "activement" recherchés par les services de l'ambassade de France à Port-au-Prince.

Selon une source diplomatique, ces personnes se trouvaient notamment dans la partie basse de la capitale, où la secousse semble avait fait le plus de dommages.

"Il y a de l'espoir de retrouver des survivants dans les décombres, veut croire M. Kouchner. J'espère que nous en retrouverons quelques-uns." Quelque 1 400 ressortissants français vivent à Haïti, dont environ 1 200 à Port-au-Prince. Après le séisme, 200 d'entre eux ont été regroupés à l'ambassade de France et à la résidence de l'ambassadeur, a indiqué le ministre. Un hôpital mobile devait être dressé dans les jardins de cette résidence, les hôpitaux locaux étant "tous très endommagés". - (AFP.)

Article paru dans l'édition du 15.01.10

 

La diaspora haïtienne entre angoisse et mobilisation

LE MONDE | 14.01.10 | 14h00

Les premières images d'immeubles dévastés et d'habitants traumatisés ont plongé dans l'angoisse la diaspora haïtienne.

Privés d'une grande partie des liaisons téléphoniques avec l'île, les Haïtiens de l'étranger ont cherché des nouvelles de leurs proches par Internet. Témoignages, photos et appels à l'aide ont déferlé sur le Web, notamment sur le service d'échange de photos Flickr, sur le site de socialisation Facebook et sur le site de microblogs Twitter. Des groupes de soutien et d'appels au don se sont également constitués.

Malgré le manque d'informations, la diaspora s'est rapidement mobilisée. En France, près d'une centaine de membres de la communauté haïtienne se sont réunis à l'initiative de la Plateforme d'associations franco-haïtiennes (PAFHA), mercredi soir à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) pour commencer à organiser l'aide. Entre 70 000 et 90 000 Haïtiens vivent en France métropolitaine, selon l'Agence haïtienne pour le développement local (AHDL).

Au Canada, Michaëlle Jean, gouverneur général, dont la famille a fui Haïti en 1968, fédère les efforts du pays nord-américain et de la communauté haïtienne, tandis qu'aux Etats-Unis, le chanteur américano-haïtien Wyclef Jean a enrôlé une armée de célébrités du cinéma et de la musique, dont le couple d'acteurs Brad Pitt et Angelina Jolie, pour venir en aide à l'île dévastée. - (AFP.)

Article paru dans l'édition du 15.01.10

 

A Haïti, "il y a peu d'architectes et d'ingénieurs pour construire bien"

LE MONDE | 14.01.10 | 10h03  •  Mis à jour le 14.01.10 | 19h02

Patrick Coulombel est un spécialiste de la reconstruction des villes et villages dévastés par des séismes, des cyclones ou des tsunamis. Il préside la fondation Architectes de l'urgence qui, depuis 2001, s'attache à "reconstruire vite mais pas précaire, en adéquation avec l'habitat local, les usages sociaux et les contraintes environnementales". Elle est déjà intervenue au Sri Lanka, à Sumatra (Indonésie), en Iran, en Afghanistan ou à Madagascar.

Patrick Coulombel, qui avait mené une mission en Haïti après le passage de l'ouragan Jeanne, en 2004, devait partir pour Port-au-Prince jeudi 14 janvier.

Quel type de constructions trouvait-on à Port-au-Prince ?

Il y a trois grandes familles de bâtiments. D'abord, un important patrimoine de style colonial, assez beau. Ensuite, beaucoup de gros édifices à ossature en béton construits au XXe siècle. Enfin, il y a l'habitat populaire, des bidonvilles plus ou moins consolidés, souvent situés dans les ravines et à flanc de colline, avec des maisons de tôles, de planches, de briques.

Aucune de ces catégories n'a semble-t-il résisté au séisme : une secousse de 7 degrés, c'est monstrueux. Plus on est proche de l'épicentre, plus les bâtiments subissent un effet de cisaillement par le bas. Plus on s'en éloigne, plus ils entrent en résonance par le haut.

Quelles constructions représentent le principal danger ?

Les bidonvilles ne sont pas ce qui nous inquiète le plus. Les matériaux sont en général assez légers, les constructions sont basses. En revanche, elles n'ont pas d'accroche au sol. Le risque avec les bidonvilles, c'est le glissement de terrain qui peut tout emporter.

Les bâtiments en béton, eux, ont un poids bien plus considérable et ils n'ont pas été construits selon des normes parasismiques. Ce sont de simples structures de poteaux et de poutres. On construit en béton parce que c'est beaucoup moins cher que des structures en acier, qui résistent mieux aux séismes.

Le problème, c'est que contrairement aux apparences, la mise en œuvre du béton est très technique. Mal fait, il peut avoir des conséquences dramatiques. Or la plupart des gens compétents sont partis d'Haïti. Il y a peu d'architectes et d'ingénieurs sur place pour construire bien.

En 2008, une école s'était écroulée toute seule à Pétionville, une banlieue de Port-au-Prince. Le gouvernement avait alors estimé que 60 % des constructions ne respectaient pas les normes de base.

Comment va s'organiser le travail de reconstruction ?

On va d'abord établir des périmètres de sécurité, analyser l'état des édifices, interdire des bâtiments, en renforcer d'autres, dégager les décombres. Essayer de remettre en fonctionnement les centres de santé, les écoles, les infrastructures.

Et il va falloir commencer à penser à l'hébergement de la population. D'abord dans des tentes, au pire sous des bâches en plastique. Enfin, on devra aider les gens à reconstruire leur logement.

Faudrait-il interdire de reconstruire dans les ravines ?

On ne peut pas interdire la construction sur un terrain sans fournir une alternative qui offre la même proximité avec le centre-ville, l'économie. Haïti est une société rurale, où les gens vont s'installer en ville pour avoir accès aux services de santé et d'éducation. Si vous les en éloignez, ils se réinstalleront sur les terrains à risque.

C'est un pays où les gens survivent, celui où j'ai vu les situations les plus dures. Ils prendront le risque.

Peut-on reconstruire l'habitat populaire de manière plus résistante sans atteindre des coûts inabordables ?

Oui, bien sûr. Quand on n'a pas de moyens et très peu de matériaux, il faut construire léger et bas. Si l'aide internationale finance des programmes de reconstruction à grande échelle, on peut mettre en place des systèmes d'auto-construction qui reviennent à 2 000 euros pour une maison de 50 mètres carrés, nous l'avons fait en Indonésie par exemple.

C'est le principe du "cash for work": on définit un modèle de construction avec la population et on paie les gens pour bâtir leur propre logement, avec l'aide de quelques ouvriers spécialisés et notre encadrement, par groupes de cinquante maisons.

Cela permet de distribuer des revenus, c'est essentiel pour relancer la machine économique et pour donner à des gens qui ont faim le temps de se consacrer à leur logement.

Quels sont les pièges à éviter dans ce genre de situation ?

Le premier piège, c'est l'identification du foncier. C'est très difficile de savoir qui exactement a des droits sur quel sol, soit parce que personne ne le sait effectivement, soit parce que les gens sont prêts à tout pour avoir une maison.

Ensuite, il faut faire attention à la manière dont on aborde la communauté. Il faut identifier les interlocuteurs légitimes et faire valider par tout le monde le choix des bénéficiaires des nouvelles maisons, sachant qu'on ne reconstruit jamais tout mais seulement les habitations les plus touchées. Sans ce travail d'enquête sociale, on risque de créer de graves conflits.

Propos recueillis par Grégoire Allix

Article paru dans l'édition du 15.01.10

 

Haïti, la malédiction

LE MONDE | 14.01.10 | 10h51  •  Mis à jour le 14.01.10 | 11h16

C’est un pays dont la naissance sonnait comme une promesse universelle, et qui semble depuis plus de deux siècles condamné au malheur. La proclamation de l’indépendance d’Haïti, première république noire, le 1er janvier 1804, couronnait la première révolte d’esclaves victorieuse de l’histoire.

Les dirigeants avaient décidé de baptiser leur nouvel Etat d’un nom emprunté à la langue des Taïnos, habitants de l’île exterminés par les conquérants espagnols au XVIe siècle: Ayiti, «la terre des hautes montagnes». Signe que leur liberté, chèrement acquise, était la revanche de tous les opprimés de l’histoire.

Pourtant, depuis ce jour lumineux, le pays est marqué par une longue suite de drames et de tragédies, entrecoupée de rares périodes de calme. Une histoire scandée de catastrophes, dont le tremblement de terre du 12 janvier est sans doute l’exemple le plus tragique, mais aussi de tensions sociales, de violences et de crises politiques qui ont fait en deux siècles de la «perle des Antilles» l’Etat le plus pauvre du continent américain.

Au commencement était une colonie, la plus prospère d’entre toutes. Les Français ont commencé à s’installer à Saint-Domingue, sur la partie occidentale de l’île d’Hispaniola, au milieu du XVIIe siècle. La région était déserte, laissée à l’abandon par les Espagnols après la disparition progressive des Indiens, dans le demi-siècle suivant la découverte de l’île par Christophe Colomb.

Les Français y développent avec succès la culture du café et surtout celle de la canne à sucre. A la veille de la Révolution, Saint-Domingue représente les trois quarts de la production sucrière mondiale. Vue de la métropole, la colonie a tout du pays de cocagne : des fortunes inimaginables s’y bâtissent. Mais, sur place, c’est un enfer à ciel ouvert.

ANTAGONISME ENTRE DEUX CLASSES SUBSISTANTES

30 000 colons blancs y règnent sur 500 000 esclaves noirs. Une classe de mulâtres, de 30 000 personnes environ, s’est formée. Elle jouit de tous les droits économiques, mais reste exclue de la sphère politique, au nom de la supériorité absolue des Blancs. Chaque année, 50 000 esclaves sont acheminés sur les côtes du pays, pour pallier le manque de bras et l’effroyable mortalité régnant chez les esclaves.

L’ordre, dans une société si fragile, ne peut être que précaire, fondé sur la terreur et la violence : la Révolution française l’ébranle irrémédiablement. A Paris, alors que le club des amis des Noirs plaide pour l’égalité civique de tous les hommes libres et l’émancipation progressive des esclaves, un puissant parti colonial s’emploie à maintenir le statu quo, au nom du réalisme économique.

Les premiers troubles commencent en 1790, quand un riche mulâtre, Ogé, débarque à Saint-Domingue avec la volonté d’imposer l’égalité civique entre Blancs et mulâtres. Il est capturé et soumis au supplice de la roue le 25 février 1791. Les colons ne perçoivent pas ce coup de semonce. Ils s’enferment dans la défense de la supériorité blanche.

Jusqu’à l’explosion d’une révolte d’esclaves, le 23 août 1791, dans le nord de l’île, à Bois Caïman. En quelques mois, la colonie se désagrège. Une figure forte se dégage à la tête de l’insurrection: celle d’un affranchi d’âge mûr, Toussaint Louverture. La révolution de Saint-Domingue est engagée.

Le 29 août 1793, le représentant de la Convention, Santhonax, proclame la fin de l’esclavage, quelques mois avant son abolition officielle par la Convention, le 16 pluviôse an II (4 février 1794). Toussaint Louverture, revenu dans le camp français après avoir un temps trouvé refuge dans l’armée espagnole, devient vite l’homme fort de l’île. Il rétablit un semblant d’ordre, soutient le redémarrage de l’activité économique et parvient même à annexer la partie espagnole de Saint-Domingue.

Mais la tutelle de Paris sur la colonie devient de plus en plus théorique, ce que Napoléon ne peut tolérer. Il envoie une armée dirigée par son beau-frère, le général Leclerc, et annule l’abolition de l’esclavage, le 20 mai 1802. L’expédition est un désastre : les Français s’emparent de Toussaint Louverture, qui mourra captif au fort de Joux en 1803. Mais ils multiplient les exactions et, décimés par la fièvre jaune, ils sont définitivement vaincus à l’automne 1803.

Le général Jean-Jacques Dessalines déclarera l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804, avant de se faire couronner empereur le 8 octobre. Mais cette victoire laisse le pays exsangue, désorganisé. Alors que Toussaint Louverture avait longuement tenté de rassurer les colons pour les faire revenir, les nouveaux maîtres d’Haïti font massacrer les derniers Blancs, à l’exception des prêtres et des médecins, en février et mars 1804, creusant un fossé de sang infranchissable avec la métropole.

La Constitution impériale du 20 mai 1805 stipule qu’"aucun Blanc, quelle que soit sa nation, ne mettra pied sur ce territoire à titre de maître ou de propriétaire et ne pourra à l’avenir y acquérir aucune propriété". Le nouvel Etat, traité avec la plus grande méfiance par les voisins, se construit comme un monde inversé de la société coloniale.

Les plantations sont désertées : les anciens esclaves refusent de travailler sur le lieu de leur asservissement. L’agriculture haïtienne, naguère exportatrice, se tourne vers des cultures de subsistance moins productives et plus extensives, ce qui entraînera bientôt un mouvement de déforestation désastreux.

Dans le même temps monte un antagonisme entre les deux classes subsistantes, celle de l’élite des mulâtres, qui possède tous les leviers du pouvoir, et celle des descendants d’esclaves noirs. Cet affrontement structurera la société haïtienne, jusqu’à aujourd’hui.

Dessalines est assassiné en 1806, et Haïti se scinde en deux entre la République modérée de Pétion, au Sud, et le royaume autocratique du roi Christophe, bâtisseur du chimérique palais de Sans-Souci, censé rivaliser avec Versailles et détruit – déjà – par un séisme en 1842.

Le pays retrouve l’unité en 1820, sous la présidence de Jean-Pierre Boyer, qui lui fait connaître un quart de siècle de paix relative avant d’être renversé en 1843. Il parvient surtout à écarter définitivement le danger d’une reconquête française : en 1825, Charles X reconnaît l’indépendance d’Haïti en l’échange du paiement de 150 millions de francs-or d’indemnités. Une somme exorbitante, bientôt ramenée à 90millions, qui plombera durablement les finances de la jeune République, définitivement séparée de sa partie orientale en 1844. Haïti réglera cette dette par échéances jusqu’en… 1888 !

De coup de force militaire en révolution de palais, les chefs d’Etat qui se succéderont en Haïti au XIXe siècle, tous issus de l’armée, échoueront à remettre l’économie à flot et à mettre fin aux jacqueries ensanglantant les zones rurales. Les Etats-Unis tenteront à leur tour d’y mettre bon ordre durant une brève période d’occupation (1915-1934). Ils parviennent à pacifier les campagnes, mais la présence américaine est très mal ressentie par les intellectuels, et bientôt par toute la société haïtienne, jalouse de son indépendance. Elle cessera bientôt, les Etats-Unis rendant le pouvoir à la bourgeoisie mulâtre qui fera connaître au pays une brève (et très relative) période de prospérité.

Une nouvelle période de troubles, en 1956-1957, porte au pouvoir un médecin de campagne, connu pour ses travaux d’ethnologue, François Duvalier. Peu d’observateurs soupçonnent qu’avec lui vont s’ouvrir trois décennies d’une dictature qui achèvera de mettre le pays à genoux.

S’appuyant sur la majorité noire, ennemie des mulâtres, qui fournit les gros bataillons de sa milice privée, les «tontons macoutes», Duvalier, dit « Papa Doc » règne sans partage par la terreur et la corruption jusqu’à sa mort, en 1971. Son fils Jean-Claude (« Baby Doc »), 19ans, lui succède. Après une parenthèse de libéralisation, il suit les

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