第五天:2010 1 16

 

Un bilan incertain mais très lourd

LEMONDE.FR avec Reuters et AFP | 16.01.10 | 09h03  •  Mis à jour le 16.01.10 | 09h03

Le président haïtien René Préval a remercié vendredi la communauté internationale pour sa mobilisation rapide tout en comparant la situation de son pays à celle d'un Etat victime d'une guerre. "Les dégts que j'ai pu constater ici sont comparables aux dégâts que l'ont aurait pu voir dans un pays qui aurait été bombardé pendant 15 ans. C'est comme dans une guerre", a déclaré Préval dans un entretien accordé à Reuters.

Le bilan des victimes du séisme ne cesse lui de s'alourdir."Les corps de plus de 15 000 personnes ont déjà été collectés et ensevelis", a déclaré le premier ministre à la presse après une rencontre avec le secrétaire d'Etat français à la coopération, Alain Joyandet. "Nous nous attendons à ce qu'il y ait au total entre 100 000 et 200 000 morts, même si nous ne connaîtrons jamais le nombre exact", affirme le ministre de l'intérieur Paul Antoine Bien-Aimé. Un décompte précis des victimes est pour l'instant impossible, mais tous les chiffres fournis pointent vers une catastrophe gigantesque, et d'ores et déjà, 50 000 cadavres ont été comptabilisés et ramassés.

"Nous débarrassons les rues des cadavres et nous les mettons dans des fosses communes. Nous avons enterré 40 000 personnes. Nous pensons qu'il y en a 100 000 de plus", a déclaré à Reuters Aramick Louis, secrétaire d'Etat à la sécurité publique. "Il y a encore beaucoup de gens sous les décombres". Les trois quarts de la capitale Port-au-Prince devront être reconstruits, a dit à Reuters le ministre de la santé, Alex Larsen.

 

Course contre la mort dans le chaos de Port-au-Prince

LE MONDE | 16.01.10 | 11h06  •  Mis à jour le 16.01.10 | 14h48

Port-au-Prince Envoyé spécial

Trois jours après le séisme qui a dévasté Port-au-Prince, mardi 12 janvier, des survivants sont encore dégagés des décombres. Samaël Lochard, 5 ans, est l'un de ces miraculés. Son petit corps couvert de poussière blanchâtre est allongé sur une planche dans la cour du centre hospitalier de la Renaissance, où il a été déposé par des sauveteurs haïtiens bénévoles. Le bâtiment à moitié détruit par le tremblement de terre est inutilisable. Douze médecins cubains ont improvisé une salle d'urgence dans la cour, à deux pas de la cathédrale de Port-au-Prince, dont seuls quelques murs sont encore debout.

"Nous l'avons dégagé dans un immeuble de la rue Saint-Gérard. Une équipe de sauveteurs nous avait dit qu'il n'y restait plus de survivants. Nous avons continué à chercher et avons trouvé ce garçon en vie, le fils d'un ancien commissaire de police", raconte Claire Lydie Parent. Maire de Pétionville, une banlieue de la capitale, cette femme dynamique a organisé des équipes de sauveteurs dès les premières heures qui ont suivi la catastrophe.

Alice Anaya, une infirmière cubaine, ausculte doucement le petit Samaël, en état de choc. Elle nettoie ses paupières, collées par le plâtre et lui fait une injonction d'analgésique. "Il est déshydraté, un médecin viendra l'examiner", dit-elle avant de retourner prodiguer les premiers soins à une longue file de blessés. L'équipe cubaine est arrivée dès mardi soir, quelques heures après le séisme, et attend un chirurgien. Dans un bloc opératoire de fortune, sous une bâche, un médecin ampute un blessé. "Il nous manque des antibiotiques, du sérum pour hydrater les patients, des pansements, des seringues", énumère l'infirmière.

"C'est comme une nouvelle naissance. J'étais dans mon bureau quand la terre a tremblé et j'ai bien cru que je n'en ressortirais jamais", raconte Edwin Paraison, le ministre des Haïtiens de l'étranger. Les membres du gouvernement qui ont survécu au séisme, sortent d'une réunion avec le président René Préval et des représentants de la communauté internationale, au siège de la direction centrale de la police judiciaire. Jouxtant l'aéroport, le bâtiment, épargné par le tremblement de terre, abrite ce qui reste de l'Etat haïtien. C'est là que le président Préval réunit ses ministres le matin pour une réunion de la cellule de coordination stratégique. Le Palais national et la grande majorité des dix-huit ministères ne sont plus que des montagnes de décombres. "Aucun des ministères n'est opérationnel et nous n'avons aucun moyen de communication", ajoute M.Paraison. Le président Préval et son premier ministre, Jean-Max Bellerive, viennent tout juste d'obtenir des téléphones satellite, la seule façon de communiquer en Haïti depuis le séisme.

"Nous sommes tous à la même enseigne, le peuple comme les ministres, la nation a été détruite mais nous allons la reconstruire", assure Patrick Delatour, le ministre du tourisme. Son père et sa mère ont péri, ensevelis dans la maison familiale. "Tout est détruit, la population est dans les rues et il y a très peu d'incidents violents", ajoute-t-il, lui qui s'efforçait depuis plus d'un an de restaurer l'image de son pays pour attirer les visiteurs étrangers.

Pourtant, la tension semble monter dans certains quartiers. Sur le vaste Champ-de-Mars, transformé en un gigantesque campement au centre de la capitale, des groupes de jeunes manifestaient en fin d'après-midi, réclamant de l'eau et de la nourriture. La destruction de la grande prison du centre a permis aux truands de la ville de s'évader. Des habitants dont les maisons sont encore debout disent avoir été pillés. Si des sinistrés cherchent dans les décombres des magasins de quoi se nourrir, des bandes recherchent du matériel stéréo et tout autre objet de valeur.

Outre la capitale, les villes de Jacmel, de Léogane et de Petit-Goâve ont été dévastées, confirme le ministre de l'éducation nationale, Joël Desrosier Jean-Pierre. "Environ 90 % des écoles de ces villes ont été détruites. Souvent, les élèves étaient dans les salles de classe", soupire-t-il. Son ministère est totalement détruit. "Des dizaines de fonctionnaires sont morts, on ne sait pas encore combien. Nous avons dû pratiquer des amputations avec des scies à métaux pour dégager certains survivants. Mon travail de ministre aujourd'hui, c'est organiser les secours, sans bureau, sans téléphone", raconte le titulaire de l'éducation nationale. Son collègue, Paul Antoine Bien-Aimé, le ministre de l'intérieur, a dressé, vendredi, un nouveau bilan du séisme, qui aurait tué entre 100 000 et 200 000 personnes.

C'est la bousculade à l'entrée de l'aéroport de la capitale, dont le contrôle a été cédé temporairement aux Etats-Unis par les Haïtiens. Des dizaines de personnes veulent embarquer dans un avion militaire américain venu décharger de l'aide humanitaire. Les appareils se succèdent sur l'unique piste de l'aéroport Toussaint-Louverture. Beaucoup ne pourront pas atterrir et devront repartir soit vers les Antilles, soit vers Saint-Domingue. Les Nations unies tentent de coordonner l'afflux d'aides, depuis un QG provisoire installé à l'aéroport. Ban Ki-moon, le secrétaire général de l'ONU, a demandé au Guatemaltèque Edmond Mulet de reprendre la direction de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), fonction qu'il occupait avant le Tunisien Hedi Annabi, porté disparu.

Jean-Michel Caroit

Article paru dans l'édition du 17.01.10

 

M. Obama fait de l'aide une "priorité", et envoie 10 000 soldats en Haïti

LE MONDE | 16.01.10 | 14h02

Washington Correspondante

Les Américains ont repris le chemin d'Haïti. Après les interventions de 1994 et de 2004, l'armée américaine est de nouveau à Port-au-Prince. Cette fois, il s'agit de sécuriser la distribution de l'aide humanitaire, mais les responsables à Washington n'excluent pas une mission de maintien de l'ordre si nécessaire.

Barack Obama s'est entretenu pendant plus d'une demi-heure vendredi avec le président haïtien René Préval. Les responsables américains insistent sur le fait qu'ils agissent en liaison avec son gouvernement et avec l'ONU, qui "continue à avoir un rôle central", comme l'a assuré M. Obama. Mais il est clair que, pour M. Obama, les Etats-Unis ont une responsabilité particulière. "Nous sommes à un de ces moments où doit s'exercer le leadership américain", a-t-il dit. La secrétaire d'Etat Hillary Clinton devait se rendre sur place samedi pour rencontrer M. Préval, afin de manifester clairement que Washington agit en concertation avec le gouvernement haïtien.

Les parachutistes de la 82e division aéroportée ont pris officiellement vendredi le contrôle de l'aéroport, à la suite d'un accord conclu avec M. Préval, selon le département d'Etat. Le porte-avions à propulsion nucléaire Carl-Vinson est arrivé avec 19 hélicoptères qui ont commencé des rotations de distribution de vivres. Avant lundi, 10 000 soldats devaient être sur place à Port-au-Prince ou au large, selon le chef d'état-major interarmées, l'amiral Michael Mullen.

Depuis le tremblement de terre, le président Obama est apparu tous les jours à la télévision pour faire le point de la mobilisation américaine. S'il avait été contesté pour sa réponse tardive à la tentative d'attentat contre un avion de ligne le jour de Noël, il a cette fois agi immédiatement. Dès mercredi, 24 heures après le séisme, il a tenu une réunion de crise d'une heure avec l'état-major militaire et civil dans la "situation room" qui abrite habituellement les réunions sur l'Afghanistan. Il a exigé une réponse "rapide, coordonnée et agressive" des différentes agences du gouvernement, en leur demandant de faire de l'aide à Haïti une "priorité".

Dès le lendemain, les premiers soldats de la 82e division aéroportée sont arrivés à Port-au-Prince. Le 23e escadron tactique spécial de l'armée de l'air a rétabli le contrôle aérien. Plusieurs centaines de secouristes ont été dépêchés, ainsi que les garde-côtes. Une première aide de 100 millions de dollars d'assistance a été débloquée. Robert Gates, le ministre de la défense, a annulé son déplacement en Australie.

Clairement, la Maison Blanche entend montrer que "ce n'est pas Katrina", comme l'a dit un membre de l'entourage présidentiel. Selon son porte-parole Robert Gibbs, M. Obama estime que la "réponse" américaine au désastre à Port-au-Prince est "importante", non seulement pour la population haïtienne et les Américains qui se trouvaient dans l'île (au nombre de 45 000, dont 850 ont pu être évacués) mais pour ce qu'elle dit "de notre identité en tant que pays et en tant que bons voisins" dans la région.

La Maison Blanche signale aussi qu'elle est consciente que l'après-tremblement de terre n'est pas une crise humanitaire tout à fait comme les autres et qu'elle est potentiellement explosive. Miami ne se trouve qu'à 1 200 km de Port-au-Prince.

Chaque crise en Haïti fait craindre aux Américains un exode massif, à l'image de la fuite de ces boat-people tentant de rejoindre la Floride après le renversement du président Jean-Bertrand Aristide, en 1991. Ils avaient été empêchés d'accoster et renvoyés vers la base navale de Guantanamo Bay.

Les Clinton - qui ont une longue connaissance de l'île où ils ont passé leur voyage de noces en 1975 - ne sont pas pour rien dans la prise de conscience de l'urgence actuelle. Bill Clinton, le président qui a envoyé 20 000 soldats pour restaurer le pouvoir du Père Aristide en 1994 - et aujourd'hui envoyé spécial de l'ONU pour Haïti, a adressé des condoléances au secrétaire général Ban Ki-moon, quelques heures seulement après le séisme, anticipant le lourd tribut payé par l'Organisation.

Son épouse Hillary, qui avait entamé une tournée asiatique, est rentrée d'urgence. Elle a été interrogée sur les offres de retour de M. Aristide, poussé à l'exil en 2004 par une partie de la communauté internationale, dont les Etats-Unis et la France. "Sans commentaire", a-t-elle tranché.

M. Obama a convié son prédécesseur George W. Bush samedi à la Maison Blanche pour lui confier une mission de collecte de fonds en compagnie de Bill Clinton. Pour l'actuel président, c'est une manière de montrer que les républicains, qui lui mènent une guerre impitoyable sur la réforme de la santé, soutiennent certaines de ses initiatives. Et, incidemment, c'est une manière de ramener George Bush sur le devant de la scène, à quelques jours de l'anniversaire de l'investiture du 20 janvier, alors que les sondages n'accordent à M. Obama plus qu'une moitié d'opinions favorables.

Corine Lesnes

Article paru dans l'édition du 17.01.10

 

Haïti : le témoignage bouleversant de l'écrivain Dany Laferrière

LE MONDE | 16.01.10 | 10h40  •  Mis à jour le 16.01.10 | 13h29

Romancier récompensé à l'automne 2009 par le prix Médicis pour L'Enigme du retour (Grasset), Dany Laferrière faisait partie des écrivains invités au festival Etonnants Voyageurs en Haïti, qui devait avoir lieu à Port-au-Prince du 14 au 21 janvier. Après plusieurs jours passés dans la capitale haïtienne, de retour à Montréal, où il réside depuis de longues années, il nous a accordé, vendredi 15 janvier, un entretien.

Où étiez-vous lorsque le séisme s'est produit ?

J'étais à l'Hôtel Karibé, qui se situe à Pétionville, en compagnie de l'éditeur Rodney Saint-Eloi. Il venait juste d'arriver et voulait aller dans sa chambre. Comme j'avais faim, je l'ai entraîné au restaurant et cela l'a peut-être sauvé… Nous étions donc en train de dîner lorsque nous avons entendu un bruit très fort. Dans un premier temps, j'ai pensé que c'était une explosion qui venait des cuisines, puis ensuite j'ai compris qu'il s'agissait d'un tremblement de terre. Je suis aussitôt sorti dans la cour et me suis couché par terre. Il y a eu soixante secondes interminables où j'ai eu l'impression que ça allait non seulement jamais finir, mais que le sol pouvait s'ouvrir. C'est énorme. On a le sentiment que la terre devient une feuille de papier. Il n'y plus de densité, vous ne sentez plus rien, le sol est totalement mou.

Et après ces soixante secondes ?

Nous nous sommes relevés et nous nous sommes dit qu'il fallait s'éloigner de l'hôtel, qui est un bâtiment assez haut, donc peu sûr. Nous sommes alors descendus vers le terrain de tennis, où tout le monde s'est regroupé. Deux ou trois minutes plus tard, nous avons commencé à entendre des cris… Près de l'hôtel, où il n'y avait que peu de dégâts, il y a, dans la cour, de petits immeubles où les gens vivent à l'année. Tous étaient effondrés. On a dénombré neuf morts. Alors qu'on redoutait d'autres secousses, des personnes se sont levées pour commencer à porter secours.

Un énorme silence est tombé sur la ville. Personne ne bougeait ou presque. Chacun essayait d'imaginer où pouvaient se trouver ses proches. Car lorsque le séisme s'est produit, mardi 12 janvier, Port-au-Prince était en plein mouvement. A 16 heures, les élèves traînent encore après les cours. C'est le moment où les gens font leurs dernières courses avant de rentrer et où il y a des embouteillages. Une heure d'éclatement total de la société, d'éparpillement. Entre 15 et 16 heures, vous savez où se trouvent vos proches mais pas à 16h50. L'angoisse était totale. Elle a créé un silence étourdissant qui a duré des heures. Ensuite, on a commencé à rechercher les gens. Nous sommes retournés à l'hôtel et, grâce à la radio américaine et au bouche-à-oreille, on a appris que le palais présidentiel s'était effondré mais que le président Préval était sauf. Mais personne autour de nous n'avait de nouvelles de sa famille.

Comment en avez-vous eu ?

Grâce à mon ami, le romancier Lyonel Trouillot, admirable. Bien qu'il ait des difficultés pour marcher, il est venu à pied jusqu'à l'hôtel. Nous étions sur le terrain de tennis, il ne nous a pas vus. Il est revenu le lendemain en voiture pour m'emmener chez ma mère. Après quoi, nous sommes passés voir le grand Frankétienne [dramaturge et écrivain], qui avait sa maison fissurée et qui était en larmes. Juste avant le séisme, il répétait le solo d'une de ses pièces de théâtre qui évoque un tremblement de terre à Port-au-Prince. Il m'a dit: "On ne peut plus jouer cette pièce."

Je lui ai répondu: "Ne laisse pas tomber, c'est la culture qui nous sauvera. Fais ce que tu sais faire." Ce tremblement de terre est un événement tragique, mais la culture, c'est ce qui structure ce pays. Je l'ai incité à sortir en lui disant que les gens avaient besoin de le voir. Lorsque les repères physiques tombent, il reste les repères humains. Frankétienne, cet immense artiste, est une métaphore de Port-au-Prince. Il fallait qu'il sorte de chez lui. En me rendant chez ma mère, j'étais angoissé car j'ai vu des immeubles en apparence solides totalement détruits, et aussi d'innombrables victimes.

Même à Pétionville, moins touchée ?

Oui, beaucoup. J'ai commencé à les compter, puis j'ai cessé… C'étaient des piles de corps que les gens disposaient avec soin, le long des routes, en les couvrant d'un drap ou d'un tissu. Après le temps de silence et d'angoisse, les gens ont commencé à sortir et à s'organiser, à colmater leurs maisons. Car ce qui a sauvé cette ville c'est l'énergie des plus pauvres. Pour aider, pour aller chercher à manger, tous ces gens ont créé une grande énergie dans toute la ville. Ils ont donné l'impression que la ville était vivante. Sans eux, Port-au-Prince serait restée une ville morte, car les gens qui ont de quoi vivre sont restés chez eux pour la plupart.

C'est pour témoigner de cette énergie que vous êtes rentré ?

En effet, mais pas seulement. Lorsque l'ambassade du Canada m'a proposé d'embarquer vendredi, j'ai accepté car je craignais que cette catastrophe ne provoque un discours très stéréotypé. Il faut cesser d'employer ce terme de malédiction. C'est un mot insultant qui sous-entend qu'Haïti a fait quelque chose de mal et qu'il le paye.

C'est un mot qui ne veut rien dire scientifiquement. On a subi des cyclones, pour des raisons précises, il n'y a pas eu de tremblement de terre d'une telle magnitude depuis deux cents ans. Si c'était une malédiction, alors il faudrait dire aussi que la Californie ou le Japon sont maudits. Passe encore que des télévangélistes américains prétendent que les Haïtiens ont passé un pacte avec le diable, mais pas les médias… Ils feraient mieux de parler de cette énergie incroyable que j'ai vue, de ces hommes et de ces femmes qui, avec courage et dignité, s'entraident. Bien que la ville soit en partie détruite et que l'Etat soit décapité, les gens restent, travaillent et vivent. Alors de grâce, cessez d'employer le terme de malédiction, Haïti n'a rien fait, ne paye rien, c'est une catastrophe qui pourrait arriver n'importe où.

Il y a une autre expression qu'il faudrait cesser d'employer à tort et à travers, c'est celle de pillage. Quand les gens, au péril de leur vie, vont dans les décombres chercher de quoi boire et se nourrir avant que des grues ne viennent tout raser, cela ne s'apparente pas à du pillage mais à de la survie. Il y aura sans doute du pillage plus tard, car toute ville de deux millions d'habitants possède son quota de bandits, mais jusqu'ici ce que j'ai vu ce ne sont que des gens qui font ce qu'ils peuvent pour survivre.

Comment est perçue la mobilisation internationale ?

Les gens sentent que cette fois, cette aide est sérieuse, que ce n'est pas un geste théâtral comme cela a pu se produire par le passé. On perçoit que les gouvernements étrangers veulent vraiment faire quelque pour chose pour Haïti, et aussi que dans le pays personne ne veut détourner cette aide. Car ce qui vient de se produire est bien trop grave. Il y a tant à faire, à commencer par ramasser les morts. Cela prendra sans doute plusieurs semaines. Ensuite, il faudra déblayer toute la ville pour éviter les épidémies. Mais le problème numéro un, c'est l'eau, car à Port-au-Prince, elle est polluée. Habituellement, on la fait bouillir pour la boire, mais il n'y a plus de gaz.

Les Haïtiens espèrent beaucoup de la communauté internationale. Si des choses sont décidées à un très haut niveau, dans le cadre d'un vaste plan de reconstruction, alors les Haïtiens sont prêts à accepter cette dernière souffrance. La représentation de l'Etat, à travers le gouvernement décimé, étant touchée, c'est le moment d'aller droit vers le peuple et de faire enfin quelque chose d'audacieux pour ce pays.

Propos recueillis par Christine Rousseau

Article paru dans l'édition du 17.01.10

 

Georges Anglade, écrivain québécois d'origine haïtienne

LE MONDE | 16.01.10 | 13h45  •  Mis à jour le 16.01.10 | 13h45

L'écrivain québécois d'origine haïtienne Georges Anglade et sa femme ont péri, mardi 12 janvier, à Port-au-Prince, dans le séisme qui a ravagé Haïti. Il faisait partie de la cinquantaine d'écrivains invités à la deuxième édition du festival littéraire Etonnants Voyageurs en Haïti. Il est à ce jour le seul auteur dont les organisateurs de la manifestation aient à déplorer la disparition.

Figure de la diaspora haïtienne, vivant au Canada, ancien ministre des présidents Jean-Bertrand Aristide et René Préval dans les années 1990, Georges Anglade, âgé de 65 ans, était écrivain et géographe.

Né le 18 juillet 1944 à Port-au-Prince, Georges Anglade avait commencé ses études à Port-au-Prince à l'Ecole normale puis à la faculté de droit. En 1965, il les continue en France, obtenant un doctorat en géographie et une licence ès lettres de l'université de Strasbourg, avant de s'installer au Québec à partir de 1969. Il comptait parmi les fondateurs de l'université du Québec à Montréal (UQAM), où il a enseigné la géographie sociale jusqu'en 2002.

Opposant de la dictature des Duvalier (père et fils), Georges Anglade sera emprisonné en 1974, exilé à deux reprises (1974 et 1991), souvent menacé de mort. Il avait fondé dans les années 1980 à Montréal le Mouvement haïtien de solidarité. En 1990, il rédigea un manifeste retentissant La Chance qui passe, en faveur de la démocratie.

Nommé conseiller, puis ministre des travaux publics sous MM. Aristide et Préval dans les années 1990, il se consacrera ensuite à la littérature. Parmi ses titres publiés chez différents éditeurs de Montréal figurent Les Blancs de mémoire (éd. Boréal), Leurs jupons dépassent et Ce pays qui m'habite (tous deux chez Lanctôt), et aussi Et si Haïti déclarait la guerre aux USA ? (Ecosociété)

En tant qu'écrivain, Georges Anglade est à la fois théoricien et praticien de la lodyans, un genre littéraire majeur en Haïti, dont le modèle remonte à Justin Lhérisson (1837-1907), et qu'il définit ainsi dans l'avant-propos de son essai Les Blancs de mémoire : "La lodyans doit être classée parmi les créations collectives haïtiennes les plus significatives que sont le vaudou, le créole (...), le compagnonnage des jardins paysans, la peinture, le marronnage, la gaguère des combats de coqs, le carnaval (...). Et cette lodyans est le mode littéraire le plus généralisé, le plus populaire, le plus ancien aussi dans l'expression du romanesque de ce peuple profond tel qu'il s'exprime en son pays profond."

18 juillet 1944

Naissance à Port-au-Prince (Haïti)

 

1969

S'installe au Québec

 

1990

Rédige un manifeste en faveur de la démocratie en Haïti

 

1999

Publie "Les Blancs de mémoire"

 

12 janvier 2010

Mort à Port-au-Prince

 

Alain Beuve-Méry

Article paru dans l'édition du 17.01.10

 

L'aide internationale se déploie dans un climat tendu en Haïti

LEMONDE.FR avec AFP | 16.01.10 | 19h10  •  Mis à jour le 16.01.10 | 20h00

Des milliers d'Haïtiens, terrifiés à l'idée d'un nouveau séisme et craignant la violence des pillards, tentaient samedi 16 janvier de quitter Port-au-Prince, capitale dévastée d'un pays en ruines, où les troupes américaines ont commencé à distribuer une aide humanitaire.

"Les rues sentent la mort. Nous ne recevons aucune aide et nos enfants ne peuvent vivre comme des animaux",  explique Talulum Saint Fils, qui cherche à fuir la capitale avec son mari et ses quatre enfants. "N'importe où, pourvu que ce soit loin de la ville", répète-t-elle. Pour ces Haïtiens, la seule solution est de faire appel à l'hospitalité d'un parent ou d'un ami vivant dans une région moins affectée par le séisme de mardi (Lire le témoignage de l'écrivain Dany Laferrière) .

Mais la province, elle aussi, a été touchée (Lire : "Des dizaines de cadavres nous arrivent de la capitale"). Samedi, l'ONU a annoncé que de 80 à 90 % des bâtiments de la ville de Léogane, à l'ouest de la capitale, avaient été endommagés. Dans cette ville de 134 000 habitants, entre 5 000 et 10 000 personnes, selon la police locale, ont été tuées par le tremblement de terre.

Une autre ville, Jacmel, sur la côte sud d'Haïti, à quelque 40 km de la capitale, est à moitié dévastée, selon la ministre de la Culture, Marie-Laurence Jocelyn-Lassegue (Lire : "Les secours ne sont pas encore arrivés à Jacmel"). Gressier, où vivaient environ 25 000 personnes, et Carrefour (334 000 habitants) à l'ouest de Port-au-Prince, ont été détruites à 40-50 %, selon l'ONU.

LES AUTORITÉS HAÏTIENNES SONT DÉSEMPARÉES

Dans l'ensemble du pays, les responsables haïtiens évaluent le bilan de la catastrophe à au moins 50 000 morts, 250 000 blessés et 1,5 million de sans-abri (Lire le reportage de l'envoyé spécial du Monde sur place : Course contre la mort dans le chaos de Port-au-Prince). Plus de 15 000 cadavres ont déjà été ensevelis, selon le premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive.

Mais quatre jours après la tragédie, les pillages sont de plus en plus fréquents (Lire : "Des hommes armés de machettes font irruption pour voler l'argent"). Quelque 6 000 détenus, dont un grand nombre condamnés à la prison à vie, ont profité du séisme pour s'échapper de prisons en partie détruites (Voir la vidéo).

Les autorités haïtiennes sont désemparées. "Le gouvernement a perdu ses capacités de fonctionnement mais il ne s'est pas effondré", assure cependant le président René Préval, l'air épuisé et les yeux cernés, qui a transféré le siège de son gouvernement dans un commissariat proche de l'aéroport de la capitale. "Nous avons décidé provisoirement de placer le siège de la présidence et du gouvernement dans ce baraquement de police pour être plus près de nos partenaires internationaux", explique-t-il. René Préval s'est félicité de l'aide internationale mais a reconnu que "le problème, c'est la coordination".

Les Nations Unies qui comptent environ 12 000 représentant en Haïti, entre Casques bleus et personnel civil, envisagent de redéployer à Port-au-Prince 5 000 Casques bleus actuellement répartis hors de la capitale. Les Etats-Unis ont quant à eux quelque 4 200 militaires sur la zone et 6 300 soldats devraient rejoindre le théâtre de opérations d'ici lundi (Lire : L'insécurité, inquiétude croissante pour les habitants et les sauveteurs).

Mais des problèmes de logistique et de coordination entravent l'effort d'assistance. La France a protesté officiellement auprès des Etats-Unis à propos de leur gestion de l'aéroport de Port-au-Prince, où un avion-hôpital français a été empêché d'atterrir, a fait savoir samedi le secrétaire d'Etat à la Coopération, Alain Joyandet.

 

16/01/2010 à 19h11 (mise à jour à 20h24)

La France critique la gestion de l'aéroport de Port-au-Prince

Le secrétaire d'Etat à la coopération Alain Joyandet a affirmé avoir protesté officiellement auprès de Washington, après qu'un avion transportant un hôpital de campagne a été refoulé. Le Quai d'Orsay minimise et dément.

La France a protesté officiellement auprès de Washington à propos de la gestion de l'aéroport de Port-au-Prince, où un avion français transportant un hôpital de campagne a été refoulé, a indiqué samedi le secrétaire d'Etat à la Coopération, Alain Joyandet.

"Via l'ambassade américaine, j'ai fait une protestation officielle auprès de Washington", a déclaré M. Joyandet à la presse à l'aéroport de Port-au-Prince, précisant que la même démarche avait été faite depuis Paris.

Le ministre français des Affaires étrangères "Bernard Kouchner a appuyé la démarche", a souligné le secrétaire d'Etat, qui a précisé s'être entretenu avec le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant et le Premier ministre François Fillon et avoir notamment évoqué cette question avec eux.

La France n'a émis "aucune protestation" auprès des Etats-Unis à propos de la gestion de l'aéroport de Port-au-Prince, a affirmé samedi à l'AFP le ministère français des Affaires étrangères, après l'annonce d'Alain Joyandet.

"Il n'y a eu aucune protestation du gouvernement français au sujet de la gestion de l'aéroport de Port-au-Prince", a affirmé le porte-parole du Quai d'Orsay, Bernard Valero.

"La coordination franco-américaine en matière d'aide d'urgence en faveur d'Haïti s'effectue de la meilleure façon possible compte-tenu des très graves difficultés liées aux conséquences dramatiques du séisme ayant frappé Haïti et l'ampleur des dégâts causés", a ajouté Bernard Valero.

L'avion français avait été refoulé vendredi de l'aéroport international, engorgé par des dizaines d'appareils transportant des sauveteurs ainsi que des secours destinés aux victimes du séisme de mardi.

Selon M. Joyandet, l'appareil devrait finalement atterrir dans l'après midi samedi. "Il y a désormais une liste des avions autorisés à atterrir et il est dedans", a-t-il indiqué. L'hôpital de campagne doit ensuite être installé sur le terrain de la résidence de l'ambassadeur français à Haïti.

Paris avait fait pression sur Washington, qui assume la gestion de l'aéroport à la demande des autorités haïtiennes, pour que cet avion puisse atterrir, a expliqué M. Joyandet, car a-t-il expliqué, "il fallait que les avions avec des secours à bord ou destinés à prendre en charge des ressortissants (français) puissent atterrir".

"Il y a eu un problème de coordination et de discernement, c'est tout", a déploré le secrétaire d'Etat. "Quand un avion arrive avec un hôpital de campagne, il doit atterrir, il doit être prioritaire", a-t-il insisté.

Mercredi, le ministère français des Affaires étrangères avait indiqué que les Etats-Unis et la France s'étaient entendus pour coordonner leurs efforts d'aide à Haïti.

M. Kouchner et son homologue américaine Hillary Clinton se sont entendus pour "coordonner les efforts d'aide mobilisés par les Etats-Unis et la France" et "conjuguer les actions des uns et des autres sur place", avait affirmé le Quai d'Orsay.

M. Joyandet a par ailleurs annoncé que cinquante ressortissants français avaient été placés à bord d'un Airbus de l'organisation Action contre la faim (ACF) et qu'une centaine d'autres devaient également quitter Haïti dans la matinée à destination de la Guadeloupe.

Quelque 200 Français qui auraient dû être évacués vendredi étaient restés bloqués et avaient dû passer la nuit à l'aéroport, émettant des protestations, a-t-il précisé.

Selon un bilan fourni samedi par le ministère français de la Défense, 239 ressortissants français ont d'ores et déjà été évacués et 240 personnels de secours et 30 tonnes de fret, ont été acheminés à Haïti.

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